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Benyamin Netanyahou, pompier pyromane

Le pays a repris le travail, mais dans un esprit d’agitation que l’allocution télévisée du Premier ministre lundi soir n’a pas su calmer. Le chef du Likoud aurait pu y développer un discours fédérateur ; il a choisi de cajoler le complexe d’infériorité d’une partie de sa base, et d’attaquer l’irresponsabilité de l’opposition. “Nous avons la majorité à la Knesset, et le soutien du public” s’est-il vanté, en annonçant qu’il allait suspendre le vote sur la législation, tout en promettant de la faire passer. “Au camp nationaliste, je dis : vous n’êtes pas des citoyens de seconde zone. Continuez à vous exprimer sans répondre aux provocations d’en face.”

Ceci n’est pas un armistice…

Si le monde entier a accueilli l’annonce avec soulagement, le paysage politique israélien n’est pas dupe : ceci n’est pas un armistice, c’est un cessez-le-feu fragile, une trêve pour la succession de fêtes qui peuple le mois hébreu de Nissan. La Pâque juive, puis les journées du souvenir vont faire place au 75ème anniversaire de l’État hébreu le 25 avril. L’opposition a prudemment accepté l’offre d’un dialogue donnée du bout des lèvres par Benyamin Netanyahou, “mais nous avons l’amertume de l’expérience” a précisé Yaïr Lapid, son chef de file. “Nous allons d’abord vérifier que ce n’est pas une manœuvre. C’est la crise la plus importante de l’histoire du pays – nous avons la responsabilité de la résoudre ensemble”.

Chez les manifestants, on veut ménager ses forces tout en préservant l’esprit construit ces trois derniers mois. “Nous sommes conscients que tout mouvement a ses limites, qu’il peut facilement s’essouffler”, explique Ron Sherf, cofondateur du groupe de réservistes Achim leNeshek, Frères d’arme, qui rassemble une vingtaine de milliers de personnes. “Et nous voulons donner une chance aux négociations, même si nous ne croyons pas un mot de ce que dit Netanyahou, poursuit-il. Son gouvernement est assoiffé de pouvoir. Tous les jours, c’est comme s’il nous donnait une nouvelle recette du livre ‘comment devenir une dictature’.”

Les différents groupes qui organisent les manifestations, bien financés, ne tombent pas pour autant tous d’accord. “Nous avons réussi à former une grande coalition autour de la sauvegarde de la démocratie, se félicite ainsi Ron Sherf. Mais on est focalisé sur la réforme judiciaire. La société israélienne vit la plus grande crise de son histoire. Pour l’instant on ne parle pas du jour d’après, quand il faudra recoller les morceaux.”

Des sondages négatifs pour le Likoud

Devant le Parlement lundi soir, deux cortèges, deux marées de drapeaux bleu et blanc. Malgré la fierté de Benyamin Netanyahou, du côté pro-gouvernement, ce n’était pas un soir de liesse pour le Likoud. Le limogeage du ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour avoir eu l’impudence de demander la suspension de la réforme, a fait tiquer son électorat. Il pourrait le payer dans les urnes, dans ce pays où tous les gouvernements subissent une mort prématurée. Selon trois différents sondages publiés dans la foulée de son intervention lundi, le parti du Premier ministre pourrait perdre une dizaine de sièges à la Knesset, et son camp la majorité.

Dans la rue, on voyait surtout des partisans d’Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale. Chef du parti suprémaciste Pouvoir juif, il est le seul à avoir menacé de démissionner, ce qui aurait entraîné la chute du gouvernement. Il a donc pu dicter ses conditions. Dès la semaine prochaine, il recevra le commandement direct d’une nouvelle Garde nationale. Celle-ci s’articulerait autour de réservistes de la police des frontières, et de groupes de protection civile, notamment en Galilée et dans le Néguev, deux territoires que Pouvoir juif a promis de ‘reconquérir’.

On craint qu’il ordonne à ses milices de casser du manifestant. “Mais c’est d’abord les Palestiniens qu’ils vont aller chercher”, soutient Sally Abed, militante de Omdim Beyachad, Debout ensemble, qui promeut la coexistence entre juifs et arabes israéliens. Pourtant les Arabes citoyens d’Israël, un cinquième de la population, ne se mobilisent pas contre le gouvernement. “La militarisation du mouvement en a fait un espace ultranationaliste dans lequel on ne se sent pas accueilli”, regrette Sally Abed. L’idée de milices lâchées dans les rues pourrait faire la différence.