France

Grève du 28 mars à Marseille : On a défilé avec Pierrot, ambianceur de manif depuis 1995

« Il est où Pierrot ? Tout le monde l’attend ! » Sur le Vieux-Port de Marseille, tout est prêt pour la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. La sono est branchée. Les bières et les sodas sont soigneusement stockés dans le camion bleu Enedis, derrière la planche à repasser qui fait office de comptoir. La banderole de la CGT Energie est déroulée, les militants derrière, bien alignés. Mais il est impensable pour ces manifestants de partir sans Pierrot. Au loin, enfin, on l’aperçoit, vêtu, comme d’habitude, de ce bonnet vert fluo qui fait que personne ne peut le rater. Sur le chemin, il claque des bises, une fois, deux fois, plein de fois, car tout le monde le connaît.

Vient le temps de la préparation. Pierrot monte dans le camion bleu et s’échauffe. Après des étirements, le militant syndical mime un combat de boxe contre un ennemi imaginaire. Une dernière gorgée d’un breuvage dont on ignore encore la teneur, et Pierrot se jette dans l’arène. Le Vieux-Port prend des airs de ring, version conflit social.

Quand Pierrot apparaît et vient saluer la foule, les enceintes crachent à plein poumons le martial « Eyes of the Tiger ». Le Rocky du jour tape dans les mains, sous les acclamations des manifestants qui scandent son nom. Un camarade lui masse les épaules. Pierrot prend une dernière inspiration, sautille, puis grimpe sur l’échelle pour s’emparer du micro, sur le toit du camion bleu Enedis. Ça y est, la manifestation peut commencer.

La mascotte

Depuis près de trente ans, Pierrot est ambianceur de manif à la CGT à Marseille. « C’est notre mascotte, clame Nicolas Davan, secrétaire général de la CGT Energie Provence. Je le connais depuis toujours ! C’est le plus grande gueule d’entre nous, et il a un vrai charisme. » Avec son micro, Pierrot a tout vécu. Son vrai nom, c’est Pierre Torcol, « parce que je tords les cols », se marre l’intéressé, derrière sa courte barbe blanche. Pierrot se souvient de ce jour où une certaine Martine, ancienne cadre du syndicat, lui avait demandé de haranguer les foules qui marchaient, là aussi, contre une réforme des retraites. C’était en 1995. Et c’était la première fois d’une longue série pour le syndicaliste.  « Je lui ai demandé ce que je devais dire, je savais pas quoi faire ! »

On peut dire que trente ans plus tard, la panne d’inspiration n’est pas vraiment d’actualité pour Pierrot. Déjà, parce que ses slogans et autres messages adressés avec un volume sonore non négligeable, il les a soigneusement préparés et notés sur des feuilles, après s’être renseigné sur l’actualité de ces derniers jours. Au menu ce mardi, en vrac : le dispositif policier, signe selon lui d’une fébrilité gouvernementale, la mobilisation des femmes, ou encore l’affaire Alexis Kohler. « Je parle comme les gens, et je parle de ce que j’entends dans la rue », affirme-t-il.

Animateur syndical

Ladite Martine avait surtout certainement décelé le potentiel bringueur de cet agent Enedis un peu particulier, employé du CE, qui a passé son Bafa dans le cadre de cette entreprise pour animer les centres de vacances à destination des salariés Enedis. « Pierrot, en fait, c’est un animateur syndicaliste, résume à ses côtés Clément, un jeune militant de la CGT Energie Provence. C’est dû à notre organisation. Ça n’existe pas nulle part ailleurs et ça donne ce genre d’énergumènes ! On va pas se mentir, les cortèges, c’est presque mortuaire. Il n’y a pas d’ambiance. Avec lui, c’est le feu ! »

A intervalles réguliers, l’énergumène lance des clappings et des « Aux armes » repris en chœur par des manifestants tout sourire, donnant aux cortèges un air de fête. « Vas y, DJ, lance la musique ! », crie Pierrot. Les enceintes crachent l’indispensable playlist, avec des traditionnels « sons de manifs », mais aussi et surtout des tubes plus actuels, et typiquement marseillais, comme l’indétrônable « Bande organisée » ou le « Tié la famille » de Bengous. Après avoir bu une gorgée d’un liquide trop jaunâtre pour que ce soit de l’eau, Pierrot fait du « Air Guitar » et jette en rock star son tee-shirt. « Allez, fais-moi péter, les artificiers ! » Les fumigènes et pétards se multiplient, et Pierrot se déhanche.

« Avec lui, on s’éclate »

Arrivé devant le Mucem, le syndicaliste quitte son perchoir pour danser et trinquer avec la foule. Tout le monde veut son selfie avec le phénomène des manifs marseillaises. « On a des fans », se marre Clément. Un groupe d’étudiants lui courent après. « C’est une star lui, il met une ambiance de dingue ! », justifie Ewan. « Il est de trop bonne humeur et il a de super slogans », abonde son amie Zoé. Et ils ne sont visiblement pas les seuls à penser pareil. Bien qu’en queue de cortège, une foule compacte, composée de jeunes manifestants, marche derrière le camion bleu Enedis. « Avec lui, on s’éclate », sourit Océane.

Car avec sa personnalité bien particulière et son franc-parler, Pierrot rassemble, bien au-delà de la CGT Energie Provence. « Je suis prof, et je devrais être avec eux, confie Lisa. Mais je préfère défiler derrière le camion bleu. J’adore ce personnage. C’est un showman. » « Et surtout, vous pouvez l’écrire : Pierrot, il parle de ce qu’on vit chacun, contrairement à Macron, abonde Gilles, qui travaille chez Arcelor Mittal. Il sait ce que c’est que vivre avec un petit salaire, ne pas avoir de pouvoir d’achat. Et il est là, dans la rue, pour montrer qu’on peut être digne. »