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« Avant, j’étais artiste peintre, je n’avais jamais tenu un fusil en main »: ces bleus ukrainiens formés en 35 jours pour aller combattre

Cinq semaines de formation

Anton fait partie des 600 Ukrainiens formés dans ce camp militaire du sud-ouest de l’Angleterre, dont la position précise est confidentielle. Trois autres camps situés ailleurs dans le pays effectuent le même travail, si bien que chaque semaine entre 600 et 800 Ukrainiens quittent le Royaume-Uni pour la Pologne, d’où ils rejoindront le front en Ukraine. Les cours sont supervisés par les Britanniques mais des militaires de dix autres pays (Australie, Canada, Danemark, Finlande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas et Suède) y participent également. “Nous leur enseignons les rudiments du combat militaire pour améliorer leur capacité de survie et celle d’infliger des pertes à l’ennemi : manier les armes avec précision, se déplacer sur le terrain, soigner des blessures, faire face aux horreurs qu’ils rencontreront et ne pas en réaliser”, explique le Major Sargent, un Britannique. “Le cours durait initialement trois semaines mais les autorités ukrainiennes ont demandé à le prolonger de deux semaines pour parfaire les connaissances de leurs soldats.” Tout en assurant un roulement suffisant pour fournir assez de combattants au front.

Des Ukrainiens formés à la maîtrise du char Léopard 2 : « Les Russes ont raison d’être nerveux »

Son fusil chargé à blanc à la main, Anton rejoint ses camarades dans la tranchée. Ils doivent désormais apprendre à la défendre. “Forcément, vu que je n’avais touché une arme qu’une fois dans ma vie, lorsque j’avais 18 ans, j’apprends à chaque moment”, poursuit-il, de sa voix douce et profonde. “Surtout que les mises en situation me paraissent très réalistes.” Dans une équipe voisine, Mykola, 23 ans, indique aussi “apprendre tous les jours” de sa formation, même s’il a déjà passé une année sur le front, après avoir quitté son travail de commercial dans une entreprise de nouvelles technologies dès l’invasion russe. “Changer de vie était difficile, mais je n’ai pas beaucoup hésité car il me paraissait évident que je devais protéger mon pays.”

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La différence avec les soldats britanniques ou néo-zélandais qui suivent la même formation est leur motivation. Les Ukrainiens savent qu’à la fin de leurs cinq semaines, ils iront combattre.

À ses côtés, Andrii, 26 ans, et Valerii, 35 ans, n’attendent qu’une chose : retourner en Ukraine. Ils sont tous les deux considérés comme de vieux loups de mer, ayant intégré l’armée dès l’invasion russe de la Crimée en 2014. Leur formation diffère de celle de leurs camarades, puisqu’ils viennent parfaire leurs aptitudes au commandement “et voir comment ils réagiront sous la pression”, indique le Major Sargent. Officiers, ils ne retourneront donc pas en première ligne. “Dans une semaine, nous avons terminé notre formation et nous pourrons aller virer ces porcs de Russes de notre pays”, explique le premier, dont la tenue est ornée d’un blason d’un grizzli, son surnom. L’un de ses supérieurs lui indique que ce terme dégradant n’est guère approprié. “Mais ce sont des animaux”, renchérit-il : “Oui, ce sont des porcs !”

Un soutien britannique de longue date à l’Ukraine

Pour Murray Macaulay, un Néo-Zélandais chargé de la formation d’Ukrainiens, “il ne fait aucun doute que la différence avec les soldats britanniques ou néo-zélandais qui suivent la même formation est leur motivation. Eux savent qu’à la fin de leurs cinq semaines, ils iront combattre. Ils veulent donc emmagasiner le plus d’informations pour pouvoir survivre, des connaissances normalement inculquées en seize semaines”. Et notamment à l’usage du combat dans les tranchées, utilisés pour la première fois depuis la guerre de Corée (1950-53), et qui ravivent surtout les souvenirs de la Première guerre mondiale (1914-18). « Tout le monde a en tête les dégâts humains de l’époque, donc on peut aisément imaginer l’horreur actuelle”, regrette-t-il.

Boris Johnson prend des accents churchilliens

Ce programme, au nom officiel Interflex, a été initié en juin dernier à l’initiative du Premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson. Un homme politique encore considéré comme un héros par ces soldats en raison de sa décision d’impliquer son pays derrière l’Ukraine dès la première heure de la guerre. “On l’adore, on écoute même régulièrement les chansons réalisées en son honneur, dans lesquelles des morceaux de ses déclarations ont été intégrés”, confirment en riant Andrii, Valerii et Mykola.

Mais la collaboration entre le Royaume-Uni et l’Ukraine existait avant BoJo : suite à l’invasion de la Crimée, les Britanniques ont déployé des instructeurs auprès de l’armée ukrainienne dans le cadre de l’opération Orbital. Ces formations ont pris fin peu avant l’invasion de février 2022, puis ont été déplacées sur le sol britannique en juillet dernier. Après la formation de 10 000 Ukrainiens l’an dernier, leur objectif est de doubler ce chiffre d’ici à la fin de l’année 2023. Nul doute, l’Ukraine et ses alliés se préparent à une guerre longue.

Ces soldats ukrainiens seront-ils prêts à faire la transition entre la campagne anglaise et le front ukrainien ? “Nous sommes préparés et nous faisons aussi cela pour nos familles, restées en Ukraine”, explique Valerii. “Je suis en contact avec les miens, même s’ils savent que cela ne peut être régulier. Chaque discussion avec eux me redonne de l’énergie. ” Les autres acquiescent.

De retour dans les tranchées, Anton écoute les consignes de son instructeur après ses exercices. “Si j’ai peur ? Je n’avais jamais imaginé devenir soldat un jour, mais je suis ici pour devenir professionnel, je dois donc éviter toute émotion”, affirme-t-il, le regard bleu perçant.