France

Votation sur les trottinettes le 2 avril : Dans les coulisses de la « guerre des trott’ » à Paris

Peu de sujets ont soulevé autant de débats ces dernières années à Paris. Depuis leur arrivée dans la capitale en 2018, les trottinettes en libre-service, ou « free-floating », polarisent l’opinion. Jugées pratiques, utiles et écologiques par leurs défenseurs, elles sont accusées d’être dangereuses, encombrantes et polluantes par leurs détracteurs. C’est la raison pour laquelle la municipalité a organisé une votation le dimanche 2 avril prochain par laquelle les Parisiens vont pouvoir répondre à la question « Pour ou contre les trottinettes en libre-service ? ».

Une consultation loin d’être anodine puisque la municipalité s’est engagée à suivre le résultat de ce vote. Une majorité de « pour » et la Mairie de Paris lancera un nouvel appel d’offres. À l’inverse, un vote « contre » signerait la fin des 15.000 trottinettes en libre-service dans la capitale dès le 1er septembre prochain. Cette question est l’objet d’une lutte féroce entre les opérateurs et la municipalité.

Des conditions de scrutin qui divisent

« On ne va pas cacher que nous n’avions pas senti venir cette votation, explique Xavier Miraillès, directeur des affaires publiques de Lime, l’un des trois opérateurs autorisés à Paris. Nous l’avons appris dans une interview d’Anne Hidalgo donnée à la mi-janvier. Personne n’a pris la peine de nous prévenir en amont. » « La pilule a eu du mal à passer. Les employés que j’ai vus le lendemain étaient désemparés », commente également Nicolas Gorse, directeur général de Dott.

Pourtant conscients que la présence de leurs engins dans Paris faisait encore débat, les opérateurs y ont vu un moyen d’engager la discussion avec toutes les parties : « C’est une industrie encore jeune qui dévoile de nombreux points d’améliorations. Dans un premier temps, nous avons salué cette initiative, souligne Erwann Lepage, directeur des affaires publiques de Tier, mais en découvrant les conditions du scrutin, nous avons déchanté. »

Les conditions ? Des bureaux de vote répartis « seulement » dans les mairies d’arrondissement, une date qu’ils jugent problématique, le 2 avril, jour du marathon de Paris, et un vote cantonné à sa forme physique. « Pourquoi ne pas organiser un vote électronique comme pour le budget participatif ? », s’étonne Xavier Miraillès. Cette dernière solution aurait sans doute davantage mobilisé les jeunes, selon les opérateurs, principaux utilisateurs des trottinettes.

« Hidalgo ne veut pas assumer le coût politique de l’interdiction »

De même, les opérateurs s’indignent de n’avoir vu le règlement publié qu’à la mi-mars, soit deux semaines avant le scrutin, les empêchant de préparer correctement une campagne. « On dirait que tout est fait pour camoufler ce vote et finalement l’orienter vers le contre, il n’y a même pas eu de débat public », souffle Nicolas Gorse. Même le groupe d’opposition au Conseil de Paris Changer Paris, Rachida Dati en tête, s’est mêlé du débat accusant la majorité de vouloir « liquider le sujet et vite ». Selon une membre du groupe, Anne Hidalgo aurait même choisi ce mode de consultation « sans cadre juridique » dans le seul but de se dédouaner du résultat : « Elle ne veut pas assumer le coût politique de l’interdiction et s’aliéner les jeunes. »

Tant pis, les opérateurs n’ont pas attendu d’avoir plus de détails pour défendre leur bilan sur la place publique. Le 16 mars, après dix jours de grève, ils ont publié un communiqué sur des chiffres d’utilisation records dans la capitale, signe d’une « alternative indispensable aux modes de transports existants ». Pour inviter ses utilisateurs à aller voter, l’entreprise Lime a même proposé dix minutes de courses gratuites à tous ses utilisateurs qui prouveraient leur participation au scrutin.

Pour David Belliard, « la régulation ne fonctionne pas »

Une initiative aussitôt condamnée sur Twitter par David Belliard, adjoint l’Anne Hidalgo en charge des transports et des mobilités qui a accusé l’entreprise « d’acheter des électeurs ». L’élu EELV, chef de file des « contres », cristallise les mécontentements des opérateurs. « Je ne suis pas un anti comme j’ai pu l’entendre, mais si cela ne tenait qu’à moi il n’y aurait déjà plus de trottinettes en libre-service à Paris. » Une position que David Belliard justifie par le bilan négatif de l’expérience. « Nous avons cherché à faire de la régulation mais ça ne fonctionne pas. Les problèmes d’accidentologie, l’aspect anxiogène pour les publics sensibles comme les seniors ou les personnes en situation de handicap et d’encombrement de l’espace public n’ont pas été résolus », développe l’élu qui concède tout de même quelques améliorations.

Des améliorations, argument majeur des opérateurs qui avancent des progrès dans tous les domaines. Pour justifier leur bonne volonté, ils brandissent l’Étude sur les usages et usagers de la micromobilité à Paris publiée par 6T-bureau de recherche pour l’Agence de la Mobilité de la Ville de Paris en 2022. « Il montre tous les bénéfices à tirer de nos services », plaide Erwann Le Page.

Des progrès notables à tous les niveaux

Le rapport, en effet, brise certaines idées reçues sur les trottinettes en « free-floating ». On y découvre que la part des utilisateurs ayant eu un accident est deux fois inférieure (26 %) à celle des utilisateurs de Vélib’ (51 %), mais ils ont eu davantage d’accidents graves (9 % des accidentés contre 3 % pour le Vélib’). Surtout, la grande partie de ces accidents ne concernent que l’utilisateur, souvent une simple chute (près de 70 %), et que moins de 10 % de ces accidents impliquent un piéton, argument le plus souvent utilisé par les détracteurs. « Le nombre d’accidents progresse quatre fois moins vite que le nombre d’usagers », se félicite le directeur des affaires publiques de Tier.

Pour arriver à ces résultats, les opérateurs font montre de nombreux progrès technologiques et de contrôle : immatriculation des véhicules, obligation de justifier de sa majorité pour pouvoir prendre un abonnement, limitation de vitesse et instauration de zones « lentes ». Géolocalisée par satellite, la vitesse des trottinettes est restreinte à 6 ou 10 km/h sur les parvis, rues-écoles et zones à forte densité, pour améliorer la sécurité des piétons.

Sur l’aspect environnemental également, ils ont amélioré la durabilité de leurs machines comme le détaille Xavier Gorse : « Les premières trottinettes devaient être ramenées à l’entrepôt pour être rechargée et leur durée de vie allait de 6 mois à 4 ans. Mais avec nos nouvelles batteries amovibles qui ont une durée de vie comprise entre 7 et 10 ans, nous contribuons à décarboner la chaîne logistique. »

Manque de volonté contre manque de collaboration

Même le côté social est mis dans la balance par les opérateurs qui comptent près de 800 salariés sur la capitale à eux trois : « On nous renvoie toujours à 2015 quand l’usage des autoentrepreneurs était massif. Mais c’est terminé depuis 2018. Tous nos salariés sont en CDI ou en CDD. Ils sont actionnaires de l’entreprise au bout d’un an, ils ont des mutuelles, un CSE et des salaires supérieurs à la convention collective », rétorque le directeur général de Dott.

Des progrès qui ne convainquent pas David Belliard : « Ces améliorations ne sont pas directement de leur fait, mais d’un cadre de régulation. Nous avons demandé une limitation à 10 km/dans tout Paris, à l’exception de certains grands axes, ils ont fait une machine à gaz avec 700 zones et des limitations différentes à la place. » Selon l’élu, ce sont les pressions de la Mairie et le rapport de force qui ont mené à la sécurisation grandissante des trottinettes. « Je vois que Lime a présenté une nouvelle technologie pour repérer les utilisateurs qui monteraient à deux. Comme par hasard, deux semaines avant le vote, alors que cela fait deux ans qu’on le leur demande. On ne va pas organiser une consultation tous les ans pour obtenir des progrès. »

Une vision que contredisent les opérateurs. Selon eux, c’est la difficile communication avec la municipalité qui complique les choses depuis plusieurs mois. « En septembre 2022, Emmanuel Grégoire et David Belliard nous ont convoqués pour nous demander des pistes d’amélioration à tous les problèmes évoqués. Le 10 octobre, nous leur avons envoyé un rapport complet, chiffrés de nos propositions. Nous n’avons jamais eu de retour, même pas un mail, malgré nos relances », s’indigne Xavier Miraillès qui met en avant la collaboration de son groupe avec les autres villes dans lesquelles il est présent.

De mauvaises relations que ne nie par David Belliard, lequel qualifie ses rapports avec les opérateurs de « courtois mais difficiles » tout en se défendant de faire de l’interdiction une lubie : « Je comprends la déception. Si on avait pu prolonger l’expérience, nous l’aurions fait. Mais le rapport coût-bénéfice est largement en faveur du coût. » Simplification, apaisement, sécurisation de l’espace public sont ses maîtres-mots : « Est-ce qu’on a véritablement besoin d’avoir ce type de mobilité qui demande énormément de gestion de la part de la collectivité et autant d’espace public dédiés ? » Réponse des Parisiens et des Parisiennes ce dimanche.