France

Toulouse : Une marque de tee-shirts naît entre les murs d’une prison

Ils ont un fil à la patte, et d’autres bobines dans leur « petit atelier ». Depuis le mois de janvier, et sauf s’ils ont un rendez-vous avec leur avocat ou une autre obligation administrative, quatre détenus du centre pénitentiaire de Seysses, près de Toulouse, passent une partie de leurs lundis et de leurs mardis devant leur machine à coudre. Ils y fabriquent des tee-shirts et tote bags en tissu recyclé, estampillés Populère, la première marque française de vêtements fabriqués « de A à Z » en prison, avec son logo façon « code barreaux ». « Ils n’avaient jamais cousu, jamais touché une aiguille de leur vie et je suis déjà surprise de leur technicité », confie Mathilde Cervières, la créatrice de cette griffe et nouvelle patronne enthousiaste de ces quatre hommes « âgés de 40 à 60 ans ».

Avec une couturière professionnelle, mais aussi ses souvenirs des travaux d’aiguilles que lui apprenait sa grand-mère, la trentenaire supervise chaque session de fabrication derrière les murs de la prison. Sans pour autant être dépaysée en milieu carcéral. Car cette diplômée en psychologie clinique mais aussi en criminologie, a exercé six ans comme conseillère pénitentiaire. C’est d’ailleurs derrière les barreaux que l’idée de Populère a germé.

Mathilde Cervières, ancienne conseillère pénitentiaire et fondatrice de la marque Populere de vêtements confectionnés en prison.
Mathilde Cervières, ancienne conseillère pénitentiaire et fondatrice de la marque Populere de vêtements confectionnés en prison. – DR

« J’étais en poste à la maison d’arrêt d’Agen en plein confinement et j’ai pu obtenir deux machines à coudre pour créer un petit atelier couture dans le quartier des femmes », raconte-t-elle. A l’époque, il s’agissait de fabriquer des doudous et des lingettes démaquillantes mais l’expérience a convaincu la native de Carcassonne de l’utilité de ce dérivatif. Elle connaît bien la problématique de la récidive et « l’importance que peut avoir une perspective professionnelle en matière de réinsertion ». Au-delà de créer sa marque, elle voulait se lancer « dans un projet social », « inclusif » à la fois pour les détenus et les consommateurs.

La perspective d’un emploi à la sortie

A la prison de Seysses, où quelque 200 détenus travaillent, cet aspect « sociétal » a fait mouche. « Les arguments qui ont pesé sont la possibilité pour les personnes détenues de développer des compétences professionnelles techniques qui faciliteront leur retour à l’emploi à la sortie de détention puisque le secteur de la confection connaît un nouvel essor en France avec la relocalisation des activités textiles, explique la direction interrégionale de l’administration pénitentiaire. Or, les études démontrent que l’accès au travail en détention et à l’emploi à la sortie sont des facteurs majeurs de lutte contre la récidive. La confection de textiles écoresponsables présente en outre l’avantage de valoriser les personnes détenues et donc de constituer un travail très attractif. »

Mathilde Cervières, anticipe déjà les critiques. Ses salariés étant en prison, ils sont forcément moins chers. « Un petit peu en dessous du Smic, reconnaît-elle mais ils bénéficient du nouveau contrat d’emploi pénitentiaire. » Elle doit s’accommoder d’absences, de rythmes, de contraintes que le monde extérieur ne connaît pas.

Pour vraiment lancer le site Internet de Populere, la jeune femme a ouvert un financement participatif. Elle a besoin de recul, de savoir si ses solides tee-shirts, plutôt sobres, et on ne peut plus « Made in Occitanie », plaisent. Son Graal serait de pouvoir dupliquer l’atelier dans d’autres prisons, et, pourquoi pas, de recruter au quartier des femmes. Pour les expéditions par exemple, la promiscuité étant exclue. En attendant, elle se satisfait de l’ambiance « d’entente et d’entraide » qui règne dans son petit atelier carcéral. Et elle se réjouit à l’idée qu’un détenu s’est déjà renseigné sur un CAP Couture, « pour la suite ».