France

Réforme des retraites : Pourquoi les macronistes misent encore sur Laurent Berger pour sortir du conflit ?

Cela ressemble à une réunion de la dernière chance. A la veille d’une onzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, Elisabeth Borne reçoit les responsables syndicaux, ce mercredi, à Matignon. Un retour au dialogue inédit après trois mois de crispations et de manifestations contre le texte.

Mais la rencontre pourrait vite tourner au vinaigre, car les syndicats ont prévenu qu’ils ne transigeraient pas sur l’ordre du jour. Si l’exécutif refuse de parler des 64 ans, « on partira », a prévenu Laurent Berger. Pourtant, au sein des macronistes, certains misent encore sur le leader de la CFDT pour une sortie de crise. Un espoir vain ?

Un interlocuteur incontournable

En première ligne depuis le début de la mobilisation, Laurent Berger reste fermement opposé au recul de l’âge légal, mesure phare du projet de loi du gouvernement. « Ce dont on veut parler, ce sont des retraites. Notre exigence est de revenir sur les 64 ans et que le gouvernement retire ou suspende sa réforme (…) afin de repartir sur de bonnes bases », assure-t-il encore dans un entretien à l’Obs, ce lundi. A l’Elysée comme au gouvernement, on considère pourtant le dossier clos depuis l’adoption du texte au forceps avec l’article 49.3 de la Constitution. Malgré cette divergence, certains macronistes poussent pour tendre la main au patron du premier syndicat national (public et privé confondus), le considérant comme un interlocuteur incontournable pour réformer le pays.

La semaine passée, plusieurs poids lourds de la Macronie ont ainsi accueilli favorablement sa demande de « médiation » pour « trouver une voie de sortie ». « C’est bien d’avoir une ou deux personnes pour essayer de retrouver le dialogue et avoir un certain recul », a souligné le président de groupe Modem, Jean-Paul Mattei, lors d’un point presse à l’Assemblée. « Toute main tendue doit être considérée », affirmait également François Bayrou, le patron du parti centriste.

« Un désaccord n’empêche pas de discuter »

Mais au gouvernement, la proposition de médiation était sèchement balayée, comme celle de mettre « sur pause » la réforme pendant six mois. Dans ce jeu de communication à plusieurs bandes, les macronistes insistaient dans le même temps sur leur volonté de ne pas couper les ponts avec l’intéressé. « On peut acter un désaccord, ça arrive, mais ça n’empêche pas de continuer de discuter sur d’autres sujets, il reste quatre ans de mandat… », souffle Benjamin Haddad, député de Paris.

L’exécutif entend vite lancer de nouveaux chantiers, notamment un nouveau projet de loi Travail, pour mieux refermer le chapitre « retraites » qui l’empoisonne depuis des mois. « L’enjeu d’Elisabeth Borne et du gouvernement, c’est de préparer la suite. Sur le sens du travail, des reconversions et des formations professionnelles, sur l’emploi des séniors… Il y a encore beaucoup de choses à construire. Se voir, se parler, garder un esprit constructif, c’est positif », veut croire le porte-parole du groupe Renaissance.

Le Conseil Constitutionnel en arbitre

Car malgré les tensions, voire l’inimitié personnelle entre Laurent Berger et Emmanuel Macron depuis 2017, le camp macroniste n’oublie pas que le patron de la CFDT avait été utile à François Hollande lors de son quinquennat, en défendant notamment la loi El Khomri contrairement à la CGT ou FO. Fin mars, le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, a ainsi appelé Laurent Berger pour prendre la température. « Si les macronistes insistent avec Laurent Berger, c’est qu’ils ont besoin d’être aidés pour sortir de la crise actuelle. Et par ses dernières propositions, il semble imprimer le rythme de l’intersyndical en recherchant une sortie du conflit », assure Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme et des mouvements sociaux.

A la veille de la rencontre avec la Première ministre, la CFDT semble toutefois n’avoir pas bougé de ligne. « On va être très clairs : on veut bien parler des enjeux travail mais on est toujours dans la séquence retraites, donc le dossier sera aussi sur la table. On n’est pas dans l’après, mais à la veille d’une nouvelle mobilisation », prévient Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT en charge des retraites. « L’opposition au texte reste toujours aussi forte, donc on demande toujours un geste d’ouverture avec une pause de la réforme ».

Au sein du camp présidentiel, on espère qu’une validation du texte par le Conseil constitutionnel, le 14 avril prochain, fera tomber la pression. « Cette décision peut modifier l’équilibre des forces, confirme Stéphane Sirot. Laurent Berger, syndicaliste très légaliste, pourrait alors juger que le texte est voté définitivement, et donc légitime ».