France

Réforme des retraites : La médiation est-elle un scénario réaliste de sortie de crise ?

Tenter de s’entendre après plus de deux mois de conflit ouvert grâce à une médiation. C’est le cap proposé par Laurent Berger sur France Inter mardi matin au gouvernement. Le leader de la CFDT a soumis l’idée à l’exécutif, le jour de la dixième mobilisation nationale contre la réforme des retraites. « Il faut prendre un mois, un mois et demi [de pause], pour demander à une, deux, trois personnes de faire de la médiation », a déclaré le dirigeant syndical, appelant à un « geste d’apaisement pour trouver une voie de sortie ».

La médiation, cette « intervention destinée à amener un accord », selon le Larousse, est fréquemment utilisée lors de différents familiaux, de querelles de voisinage… Ou de conflits immobiliers. « On donne la parole à chacun, on écoute. Chacun s’exprime. Après, les gens ont besoin de se retirer pour parler et faire des propositions. On débat, et on laisse tout ça se décanter, détaille Georges-François Rousseau, président de la fédération de la médiation et fondateur d’Adem, une société experte en médiation immobilière et reconnue par la Cour d’Appel de Paris. Mais pour discuter, il faut être deux. »

« Nul besoin de médiation », estime Véran

Et, c’est justement là que ça se corse. Quelques heures après l’appel du pied des syndicats, l’exécutif a balayé la demande. « Nous saisissons la proposition de Laurent Berger de se parler, mais directement. Nul besoin de médiation », a indiqué le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, alors que les députés MoDem, membres de la majorité présidentielle, se sont prononcés en faveur de l’arbitrage d’une tierce personne.

« Ça peut exister au niveau local, avec le préfet ou un ministre qui se déplace pour tenter de régler un conflit social mais je n’ai pas le souvenir de mouvements sociaux nationaux qui s’achèvent par une médiation menée par une tierce partie. En général, quand il y a un conflit entre le gouvernement et le mouvement syndical, ça discute dans le cadre de négociations, de sommets sociaux. La situation actuelle illustre à la fois le degré de blocage et le degré d’obstination du pouvoir en place », commente Stéphane Sirot, historien et spécialiste des mouvements sociaux.

L’exécutif, dans l’attente d’une décision du Conseil constitutionnel sur la réforme, ne saute pas sur l’opportunité d’une discussion arbitrée. Par cohérence au vu de l’énergie dépensée lors du parcours législatif du texte, ou par entêtement ? « Une médiation, du point de vue de l’exécutif, c’est difficile à envisager, pourtant ce n’est pas forcément une mauvaise idée. Il n’a plus de majorité parlementaire, il y a une crise sociale larvée, difficile à maîtriser. Le deal pourrait être : « on accepte de rediscuter retraites, et en échange, vous nous aidez à avancer » », analyse Benjamin Morel, docteur en sciences politiques à l’ENS.

Sans médiation, ça se terminera par « un vainqueur et un vaincu »

Il resterait alors à se mettre d’accord sur la personnalité dudit médiateur. « Un médiateur ne s’immisce pas dans le fond, il est là pour retrouver du liant et arriver à se parler, c’est ça qui est important. Il faut quelqu’un qui ne soit pas impliqué », a commenté le président de groupe centriste Jean-Paul Mattei. Georges-François Rousseau est du même avis : « Un médiateur doit faire preuve de psychologie, d’observation. Il doit savoir écouter, ne pas porter de jugement. Et orienter dans le sens du consensus. »

« Il faudrait aller chercher des personnalités éminentes, soit des universitaires qui connaissent bien le sujet, soit des anciens ministres du Travail, soit des personnalités assez consensuelles pour déminer le dossier », précise Benjamin Morel.

Si le statu quo persiste, difficile de se projeter sur une sortie de crise par le haut. « Si les bouées lancées par l’intersyndicale sont rejetées, ça se terminera par un vainqueur et un vaincu. Quel qu’il soit, ça posera un problème. Ça laissera le champ politique et social dans un état de délabrement avancé, d’autant que la question démocratique s’est greffée au débat des retraites », note Stéphane Sirot.

« Sur le papier, le gouvernement a gagné. Mais avec des mobilisations qui perdurent et des actions violentes hors syndicat qui continuent, le sujet retraites pourrait rester longtemps au centre des préoccupations, d’autant plus si les partis partent à la course aux signatures pour un référendum d’initiative populaire, prédit Benjamin Morel. Il pourrait y avoir une sorte de paralysie du pouvoir. Mais les acteurs politiques en sont de plus en plus conscients, ils vont chercher une voie pour éviter ce scénario. »

Ce mardi matin, l’intersyndicale comptait envoyer une proposition écrite de médiation à Emmanuel Macron. Pour l’heure, l’Elysée semble avoir une préférence pour la ligne directe.