FranceSport

NBA : « French bashing », style de jeu… Pourquoi Rudy Gobert fait-il autant débat ?

Sur le papier, l’affaire est classée. Rudy Gobert s’est excusé et a purgé sa peine d’un match de suspension lors de la défaite des Timberwolves face aux Lakers, en play-in de NBA (108-102 après prolongation). Kyle Anderson, qui avait été frappé par le Français lors du match de dimanche contre les New Orleans Pelicans, a publiquement pardonné et le patron des Wolves, Tim Connely, a également passé l’éponge après ce qu’il a qualifié d’« événement malheureux » dans le quotidien local Star Tribune.

Tout ce petit monde (façon de parler, pour des basketteurs) est désormais tourné vers le même but, même si Gobert, en délicatesse avec son dos, reste incertain : taper Oklahoma City dans la nuit de vendredi à samedi pour gagner le droit d’aller se frotter à Denver, numéro 1 de la conférence Ouest, au premier tour des play-offs.

Il n’empêche : pour de nombreux observateurs, la réaction du pivot des Bleus, traité de « bitch », entre autres joyeusetés, par Anderson, illustre la frustration née d’une saison pour l’instant loin des attentes des Wolves. Lesquels ont lâché du lourd l’été dernier afin d’attirer la star de 30 ans, au salaire proportionnel à ses 2,17 mètres (38 millions de dollars par an, soit 34,4 millions d’euros) : cinq joueurs (Malik Beasley, Patrick Beverley, Walker Kessler, Jarred Vanderbilt et Leandro Bolmaro) ainsi que quatre choix au premier tour de draft… Et tant pis si la franchise de Minneapolis comptait déjà un joueur phare dans la raquette, Karl-Anthony Towns, dont la complémentarité avec le Tricolore laisse comme prévu à désirer.

Les stats de Rudy Gobert ces deux dernières saisons.
Les stats de Rudy Gobert ces deux dernières saisons. – Sofascore

« Les fans sont irrités car nous avons été déçus par la qualité de jeu de Gobert, compte tenu de la quantité de joueurs que nous avons lâchés pour l’engager, explique Jay de la Rosa, l’un de ces supporteurs marris. Nous espérions avec anxiété qu’il élèverait le niveau de notre défense et aiderait notre équipe à s’améliorer afin de nous assurer l’avantage du terrain pour les play-offs. »

Depuis 2004, les Wolves n’ont prolongé que deux fois leur saison au-delà de la phase régulière, en 2018 et en 2022, sans dépasser le premier tour des play-offs. Par rapport à l’an dernier, si l’équipe est passée de la 24e à la 18e défense de la Ligue, elle encaisse plus de points (115,8 par match contre 113,3) en raison de « l’opération portes ouvertes » cette saison en NBA. Au rebond, le domaine de « Gobzilla », le progrès n’est pas flagrant : 44,7 par match en 2021-2022, 45,9 en 2022-2023 et toujours une 23e place à ce classement spécifique. A titre personnel, les stats de Gobert ont sérieusement chuté par rapport à celles qu’il affichait lors de son dernier exercice chez les Jazz.

Cible de nombreuses personnalités de la NBA

En janvier, le truculent Charles Barkley avait raillé sur ESPN « le pire échange de l’Histoire », une saillie à ajouter à la longue liste des critiques essuyées depuis son arrivée en NBA, en 2013, par l’ex-pivot de Cholet, pourtant élu trois fois meilleur défenseur de la Ligue (2018, 2019, 2021). Shaquille O’Neal, autre glorieux ancien à la langue bien pendue, mais aussi Daymond Green, fameux défenseur des Golden State Warriors qui n’a pas davantage fait vœu de silence, ont de longue date le médaillé d’argent olympique à Tokyo dans leur ligne de mire.

« Il ne faut pas surinterpréter les choses, même s’il ne s’agit pas non plus de minimiser quoi que ce soit, prévient Kalem Mauvois, fondateur de Crescendo Management, l’agence qui gère les relations publiques de Gobert. La NBA est une machine médiatique qui génère énormément de buzz. Ça peut aller dans le positif ou dans le négatif, dans des délais assez courts. La grande force de Rudy, c’est d’entendre, de voir les critiques mais de pouvoir ensuite en faire fi pour continuer sa route. Ce n’est pas nouveau. »

Au moment d’expliquer cette cote de désamour, Mauvois invoque une pincée de « French bashing » mais aussi un argument typiquement américain : « Rudy a beaucoup joué dans de « petits marchés  » [les franchises des Jazz et des Timberwolves], qui sont traités avec moins d’intérêt par les médias et sous des angles parfois caricaturaux, dans le très positif ou le très négatif. »

Il faut dire que Gobert y a parfois mis du sien, comme lorsqu’il s’était amusé à toucher plusieurs micros en conférence de presse en mars 2020, à l’aube de l’épidémie de coronavirus. Deux jours plus tard, il devenait le premier joueur NBA testé positif au Covid-19. Sur un plan purement sportif, le principal reproche tient à la nature même de son jeu, comme le pense Andrew Neururer, créateur du site Let’s Talk Minnesota Sports qui suit toutes les tribulations des Twins (baseball), des Vikings (football américain) et donc des Timberwolves.

Pas assez « flashy » pour les fans américains ?

« La NBA est devenue un sport à rythme élevé et à score élevé, et c’est tout le contraire du style de Rudy Gobert », avance Neururer, qui vient au secours du Français. « Il a joué blessé au dos et je ne pense pas que l’histoire avec Anderson se serait produite dimanche sans ce problème qui a vraiment affecté son humeur. » « Sa défense est excellente et il fait beaucoup de petites choses qui aident une équipe à gagner, poursuit-il. Malheureusement, les fans ne le voient pas. »

Comme ils ne voient pas « l’attention obsessionnelle », dans la préparation physique et l’alimentation, avec laquelle ce taulier des Bleus entretient un physique exceptionnel et fragile, selon Kalem Mauvois. « Ce n’est évidemment pas glamour », reconnaît le patron de Crescendo Management, qui souligne aussi les efforts de Gobert pour essayer d’améliorer ses stats offensives. « A la base, cela ne fait pas partie de ses qualités. Mais ce sont des choses sur lesquelles il travaille et où il a beaucoup progressé au fil des années. »

Rudy Gobert face aux critiques (allégorie).
Rudy Gobert face aux critiques (allégorie). – Kerem Yucel / EFE / Sipa

La personnalité réservée du natif de Saint-Quentin ne facilite pas non plus la conquête d’un milieu rempli de grandes gueules. « Ce n’est pas un joueur qui sort beaucoup, il s’occupe de ses affaires », reprend Mauvois, pour lequel la NBA « est comme une grande cour d’école ».

« Quand un gamin vient d’ailleurs, on le traite avec plus ou moins d’égards. Mais Rudy était extrêmement apprécié de la fan base d’Utah, où il a grandi presque comme un enfant du pays. Désormais, c’est une nouvelle fan base. Il est perçu comme un joueur acheté cher et qui doit donc apporter des résultats. Ceci dit, il y a des liens qui se nouent dans la durée. Mike Conley, qui évoluait avec lui à Utah et l’a rejoint à Minnesota [en février dernier] était ainsi ravi de le retrouver. »

Pour l’instant, le mariage entre Gobert et la franchise de Minneapolis ressemble à une mésalliance. Mais, dans le basket comme dans le foot et dans à peu près tous les domaines, le mal-aimé du jour peut tout à fait devenir la star de demain (et vice-versa).

« Cette année est peut-être perdue pour les Wolves, en raison d’une mauvaise alchimie et des blessures, remarque Jay de la Rosa. Mais son contrat va durer quelques années de plus, il y a donc une chance que le temps soigne ce qui est actuellement fracturé. » Même sentiment du côté d’Andrew Neururer. « Je pense qu’il peut vraiment retourner la situation », observe le fondateur et rédacteur de « Let’s Talk Minnesota Sports ». Dès cette nuit, contre le Thunder d’Oklahoma ?