France

Mariage pour tous : Les couples homos, invités marginaux des noces télévisuelles

Jefferson et Pedro se sont dit « oui » devant le maire, sans se connaître. Ils sont les premiers hommes à s’être unis dans l’histoire de « Mariés au premier regard », l’émission de M6. Quelque 2,1 millions de téléspectateurs ont vécu ce moment d’émotion diffusé lundi soir, presque dix ans jour pour jour après l’adoption définitive de la loi dite « mariage pour tous ».

Ce programme, mis à l’antenne en 2016, qui marie des célibataires se découvrant le jour de la cérémonie car des « experts » ont estimé que leurs profils pouvaient matcher, a attendu sa septième saison pour former un couple gay. « Nous n’avions pas réussi à créer un couple homosexuel avec une compatibilité suffisante lors des précédentes éditions », nous avançait le mois dernier Karen Aboab, productrice artistique chez Studio 89, avant le coup d’envoi de la diffusion des épisodes inédits. Avec une compatibilité de 79 %, Jefferson et Pedro faisaient donc office de parfaits candidats pour cette première. Il n’en demeure pas moi que la production n’a ouvert ses inscriptions aux gays et aux lesbiennes qu’à partir de la saison 5.

« Une cérémonie parmi les autres »

« 4 mariages pour 1 lune de miel », l’autre émission nuptiale emblématique de la télé française, créée en 2011 sur TF1 et diffusée depuis 2020 sur TFX, a été plus prompte à intégrer des couples homos. C’est en novembre 2014, soit un an et demi après la promulgation du mariage égalitaire, que les fidèles de la compétition ont découvert sur leurs écrans l’union de Jocelyn et Jean-Claude. Leur candidature avait cependant été retenue bien en amont puisque la production avait sélectionné les Nordistes dès juillet 2013. « Nous avons demandé aux trois autres mariées juges si cela les dérangeait d’assister à des noces gays. Elles étaient, au contraire, ravies », racontait à l’époque la productrice Aurélie Kasmadjian à nos confrères de 20 Minutes Suisse. Plutôt que de jouer le suspense en programmant l’épisode consacré aux deux époux gays en fin de semaine, elle a fait en sorte qu’il soit diffusé dès le premier jour, le lundi, parce que « pour nous, il s’agissait d’une cérémonie parmi les autres ».

Cette volonté de ne pas se singulariser collait avec les motivations des tourtereaux qui voulaient « donner une belle image d’une union gay » et « casser les clichés », comme le déclarait Jocelyn à l’époque à Télé Star. « Un couple homo ne sort pas forcément en boîte de nuit ! », ajoutait-il. Tony, autre candidat homo de « 4 mariages pour 1 lune de miel », avait le même souci de normativité. « On est comme tout le monde, et on a voulu le montrer. On vit notre vie tranquillement, loin de l’extravagance que certains fantasment », nous déclarait-il en 2016. Ce Niçois n’aurait d’ailleurs pas voulu participer à une semaine spéciale « couples homos » : « Cela n’aurait pas été la même chose. En étant noyé ainsi parmi trois autres duos de mariés hétéros fait de nous un couple normal, même si ce mot n’est pas idéal. »

La production, ITV Studios France, que nous avons contactée pour cet article n’a pas souhaité répondre en détail sur le sujet des couples de même sexe. Elle en fait un non-sujet et s’est bornée à nous rappeler que dans l’histoire du programme, huit couples gays ou lesbiens se sont prêtés au jeu. C’est peu, mais dû au fait que les candidatures non-hétéro seraient ultra-minoritaires parmi toutes celles que la production reçoit. L’hypothèse que les couples d’hommes ou de femmes soient réticents à inviter des caméras pour « le plus beau jour de leur vie » est à considérer. Qu’ils soient frileux à l’idée que des inconnues sous-notent leurs pains surprises avec des commentaires acerbes est aussi à envisager.

Des « Z’amours » homos dès 2003

Le petit écran a encore une bonne marge de progression pour donner de la visibilité aux mariages homos, mais il est possible de voir le verre à moitié plein. La loi Taubira s’est accompagnée d’une légitimation télévisuelle des couples de personnes de même genre. En 1998, alors présentateur des Z’Amours, Jean-Luc Reichmann s’est heurté à l’incompréhension de Michèle Cotta et Alain Duhamel, à la tête de France 2 à l’époque, quand il a proposé de faire participer des couples gays et lesbiens. « On m’a regardé et on m’a dit : « Mais c’est pas possible, on va faire des spéciales homosexuels ? » », a-t-il relaté à Europe 1 il y a quelques années…

Il faudra cinq années pour que le souhait de l’animateur se concrétise. « C’est normal d’accueillir des gens qui s’aiment. On est en 2003, affirmait la productrice Hélène Savidan. A ce jour, on n’a pas de retour négatif. » C’était quelques mois avant le « mariage de Bègles » qui a défrayé la chronique… Jusqu’à ce qu’il disparaisse de la grille de France 2 en 2021, le jeu a régulièrement accueilli des gays et des lesbiennes, quitte à irriter la frange homophobe de ses fidèles téléspectateurs. Pas de quoi intimider l’animateur Bruno Guillon qui a ainsi répondu à un internaute en 2018 : « Si voir des couples LGBT dans Les Z’amours vous gène, sachez que c’est avec un plaisir non dissimulé que j’en recevrai d’autres, beaucoup d’autres. »

Un mariage gay dans « L’amour est dans le pré »

Beaucoup l’ont oublié, mais c’est un couple d’hommes, Steven et Raoul qui a remporté, en 2004, l’unique saison du Chantier, une téléréalité de M6, où plusieurs couples construisaient ensemble une maison mais s’éliminaient au fil des semaines pour en devenir les seuls propriétaires. Qui se souvient également de Benjamin, que sa maman Odile cherchait à caser dans la saison 1 de Qui veut épouser mon fils ? en 2010 sur TF1 – il n’a pas marqué les esprits, contrairement à Giuseppe et sa mère Marie-France.

Beaucoup plus marquant, en revanche, le couple formé par Matthieu et Alexandre, dans la saison 15 de L’amour est dans le pré, en 2020. Aujourd’hui divorcés, ils ont formé le premier couple gay marié de l’émission matrimoniale de M6 qui intègre ces dernières années régulièrement des gays et des lesbiennes à ses castings. Karine Le Marchand fut leur témoin et les caméras de la sixième chaîne avaient été de la noce.

Le risque de l’homophobie

De quoi encourager les agriculteurs célibataires et homos à trouver leur moitié via l’émission ? Guillaume, heureux candidat de la dernière saison en date assure que non. « J’ai croisé des couples hétéros de « L’Amour et dans le pré » dans des salons agricoles et j’ai vu que ce n’était pas du flan. Je me disais que cela pouvait le faire et que j’étais prêt », nous a-t-il confié l’automne dernier. Cependant, « passer à la télévision », c’est aussi malheureusement prendre le risque de s’exposer à de la gayphobie ou de la lesbophobie ? La production sensibilise systématiquement les participants aux mauvais aspects des réseaux sociaux. « On leur dit qu’il y aura des commentaires désobligeants, homophobes, que cela va hélas arriver », nous a expliqué Louise Horellou, l’une des chargées du casting.

« J’ai même reçu des messages haineux émanant de la communauté gay. Des hommes qui me disaient : « Avec une gueule pareille, je ne m’afficherais pas à la télé » ou qui, commentant une photo où j’étais côte à côte avec Alain [autre célibataire gay de la dernière saison], : « Celui-là doit prendre des poings dans le c..l et l’autre avoir un gros paquet », déplorait Guillaume. On voit quelques commentaires comme ça mais, à côté, il y en a des centaines qui sont encourageants, qui saluent le fait qu’on n’ait pas un physique stéréotypé du gay grand et musclé. » Dix ans après le vote de la loi « mariage pour tous », la question de la visibilité télévisuelle des homos et de leurs représentations demeure un enjeu qui n’est toujours pas réglé. Sur ce point, les couples gays et lesbiens ne sont pas les égaux de leurs homologues hétéros.