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Ligue 1 : La « liberté de parole » inédite des arbitres est-elle un changement clé pour le football français ?

Il nous a suffi de suivre le championnat de France deux jours de suite, dimanche et lundi, pour entendre davantage d’arbitres s’exprimer face aux médias qu’en vingt années d’existence de notre Ligue 1. On exagère à peine tant les interventions de Jérémie Pignard et d’Abdelatif Kherradji, respectivement sur Prime Video et BeIN Sports, ont semblé insolites, et ont apporté un vent de fraîcheur à notre football. « Si c’est vraiment le bas du biceps, c’est main, ça dépend du muscle, a ainsi glissé avec le sourire Jérémie Pignard pour justifier son choix d’accorder l’égalisation nantaise sur le gong, dimanche contre Troyes (2-2), malgré une potentielle main de Mostafa Mohamed sur le coup. Là, une circonférence du ballon touche clairement la manche du joueur, donc cette main n’est pas sanctionnable. »

Rebelote en Ligue 2 lundi lorsque Abdelatif Kherradji a tranquillement expliqué pourquoi il avait accordé le but du Bordelais Zuriko Davitashvili contre Grenoble (3-0), malgré un deuxième ballon se trouvant étrangement en pleine surface iséroise. « J’ai estimé que les acteurs n’avaient pas été gênés par ce deuxième ballon donc j’ai laissé l’action se dérouler », indiquait-il. Deux illustrations symboliques de l’ouverture souhaitée par Antony Gautier directeur de l’arbitrage depuis janvier, et par Stéphane Lannoy, en charge du secteur professionnel. Les deux nouveaux référents de l’arbitrage français ont donné leur accord à Jérémie Pignard et Abdelatif Kherradji avant qu’ils ne décortiquent leur décision controversée.

Media training et communication de crise au programme

« Depuis toujours, les arbitres sont soumis à une obligation de réserve très stricte, note Eric Borghini, président de la Commission fédérale des arbitres et membre du Comex de la Fédération française de football (FFF). Aujourd’hui, ils ont une liberté de parole que je souhaitais personnellement, mais ils vont être formés par des cours de media training et de communication de crise. Il faudra que le message soit uniformisé pour la saison prochaine. Personnellement, je n’ai rien compris à l’histoire de manche de Jérémie Pignard. Mais le simple fait d’avoir parlé a dégonflé le problème ce jour-là. »

Une avancée majeure, même si la FFF aurait souhaité qu’elle s’accompagne d’une sonorisation en direct des arbitres. Il y a six semaines, à l’occasion du match OL-FC Nantes (1-1), les prises de parole de Benoît Millot durant la rencontre avaient été diffusées par Prime Video, tout comme cela sera le cas pour l’arbitre de 41 ans samedi (21 heures), sur France 2 et BeIN Sports, lors de la finale de la Coupe de France entre Nantes et Toulouse. Mais à chaque fois, cette sonorisation de l’arbitre n’apparaît que dans des reportages diffusés en différé, comme cela avait parfois été le cas sur d’autres finales de Coupe (qui a oublié le « je l’ai pas touché » de Brandao ?).

La prestation de Benoît Millot, lors du match de Ligue 1 entre l'OL-FC Nantes (1-1) , le 17 mars à Décines, avait pu être sonorisée, avec la diffusion d'un reportage le lendemain de la rencontre sur Prime Video.
La prestation de Benoît Millot, lors du match de Ligue 1 entre l’OL-FC Nantes (1-1) , le 17 mars à Décines, avait pu être sonorisée, avec la diffusion d’un reportage le lendemain de la rencontre sur Prime Video. – MOURAD ALLILI/SIPA

La sonorisation lancée pour de bon au Mondial 2026 ?

Car l’International football association board (Ifab), l’instance fixant les règles du jeu dans le monde entier, vient de refuser les demandes de la FFF, datant du 19 janvier, pour sonoriser en direct les arbitres de cette finale de la Coupe de France et de l’intégralité de la saison prochaine en Ligue 1. « L’lfab voudra être le premier expérimentateur sur un tournoi Fifa comme la prochaine Coupe du monde, estime Eric Borghini. Le Comex souhaitait expérimenter la saison prochaine une sonorisation en direct permanente en L1, alors que l’Ifab choisira peut-être une sonorisation partielle, par exemple en cas d’intervention du VAR. » Pour le président de la Commission fédérale des arbitres, l’intérêt d’un tel changement serait évident, tant pour l’image de l’arbitrage que pour celle du football.

Les gens s’imaginent que c’est la guerre du début à la fin des matchs entre arbitre et joueurs. Mais quand j’assiste à des matchs de Ligue 1, j’ai une oreillette pour écouter en direct les échanges et ceux-ci sont toujours très corrects. Il faut savoir que depuis plus d’un an, les joueurs ne se défendent plus devant la commission de discipline en mentionnant des supposées provocations d’arbitres. Les clubs savent que toutes les conversations sont enregistrées. Rendez-vous compte, c’est comme si un juge parlait mal à un prévenu. »

N’étant clairement pas maître du dossier de la sonorisation, la FFF peut par contre agir à sa guise sur l’évolution des prises de parole médiatiques de ses arbitres, comme l’a prouvé le dernier week-end de L1 et de L2. « Se taire a pu correspondre à une certaine époque du foot et des institutions, contextualise Eric Borghini. Mais là, il y a des rapports très ouverts et j’ai moi-même une vraie proximité avec les arbitres. »

Antony Gautier, ici lors d'un match de Ligue 1 entre Caen et Montpellier, disputé en septembre 2018.
Antony Gautier, ici lors d’un match de Ligue 1 entre Caen et Montpellier, disputé en septembre 2018. – CHARLY TRIBALLEAU / AFP

« Une plus-value pédagogique » visée

Elu meilleur arbitre de la Ligue 1 en 2009 et 2011, le nouveau boss de l’arbitrage français Antony Gautier constate que dans les autres grands championnats européens, il n’y a que « des initiatives ponctuelles » d’arbitres face aux médias. Là où la France a historiquement toujours coupé le sifflet au corps arbitral, à l’image du long bail de Pascal Garibian à la direction technique de l’arbitrage de la FFF, de 2013 à novembre dernier. Finalement, comment nos arbitres ont-ils vécu ce silence forcé durant toutes ces années ?

Les consignes étaient très claires et nous n’avions pas à avoir d’état d’âme, résume Antony Gautier. Le seul acteur qu’on n’entendait jamais, c’était l’arbitre. Aujourd’hui, on a un changement d’ère, avec une volonté de modernisation, d’ouverture et de transparence de l’arbitrage français. Pouvoir communiquer permet d’amener des éléments factuels précis aidant à la compréhension de tous. La vocation principale est d’apporter une plus-value pédagogique. On accepte toujours mieux ce qu’on comprend. »

Si on a donc eu droit, coup sur coup, aux sorties de Jérémie Pignard et d’Abdelatif Kherradji, il ne faudra pas forcément s’attendre à pareil rythme médiatique dans les prochains mois. « Ces démarches doivent s’inscrire dans un cadre et rester des épisodes ponctuels, lorsque les événements d’un match le justifient, poursuit Antony Gautier. Je ne souhaite pas qu’on systématise ces prises de parole, et que l’arbitre se présente à chaque zone mixte. » Il n’y aura « pas d’obligation » pour un arbitre de répondre à ne serait-ce qu’une sollicitation médiatique chaque saison.

« L’objectif est d’humaniser l’arbitrage »

Eric Borghini, qui imagine que « le diffuseur sera toujours prioritaire », est sur la même ligne : « On va approfondir le sujet afin de formaliser au mieux cette parole de nos arbitres en vue de la saison prochaine. Pablo Longoria m’a par exemple déconseillé de faire parler les arbitres à chaud après un match. » Les expérimentations du week-end, dans ce cadre, semblent pourtant avoir été réussies, même s’il ne s’agissait évidemment pas des affiches les plus explosives de notre championnat. En attendant la sonorisation en direct (en 2026-2027 donc ?), les idées d’ouverture pour le corps arbitral vont-elles aider la réconciliation entre tout le football français et ses arbitres, de Clément Turpin à Stéphanie Frappart, en passant par François Letexier et Jérôme Brisard ?

« Je l’appelle de mes vœux, approuve Antony Gautier. Ce qui m’anime aujourd’hui, c’est de faire tomber les barrières autour de l’arbitrage français, et je pense que ça passe par la communication. » Eric Borghini conclut : « L’objectif est d’humaniser l’arbitrage, mais il faut que tout le monde joue le jeu. Imaginez si les arbitres se font massacrer à chaque fois qu’ils prennent la parole… Je pense qu’on est dans le vrai, mais ça reste une coconstruction. » A laquelle l’Ifab ne souhaite pour le moment pas se joindre.