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L’Union européenne songe à agir face aux pays qui aident la Russie à contourner les sanctions: « On touche à une corde géopolitique sensible »

La proposition de la Commission doit être débattue une première fois ce mercredi par les ambassadeurs des Vingt-sept auprès de l’Union européenne (UE), mais les négociations pour parvenir à un accord s’annoncent complexes. “On touche à une corde géopolitique sensible”, souligne un diplomate. Par principe, l’UE a évité jusqu’ici de blâmer publiquement les pays qui aident la Russie à éluder les sanctions occidentales, d’autant que la liste peut inclure aussi bien l’Arménie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, que des “coupables” plus sensibles, comme la Turquie ou la Chine. “Mais il faut s’assurer que les sanctions fonctionnent, sinon à quoi bon les adopter ?”, poursuit la même source.

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« Des mesures commerciales »

“Attention, on ne parle pas de sanctionner” des pays, précisent d’emblée plusieurs diplomates, mais bien d’adopter des “mesures commerciales”. Donc d’interdire l’exportation depuis l’UE de certains produits, qui peuvent servir à l’armée russe, vers les pays qui les transfèrent massivement à Moscou.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’UE s’efforce en effet d’éviter que les technologies et produits européens servent l’effort de guerre russe. Cela inclut par exemple les semi-conducteurs, cruciaux pour faire fonctionner tout système électronique, que ce soit d’un hélicoptère, d’un char ou… d’un lave-linge. Alertée par l’Ukraine, l’UE a interdit aussi l’exportation vers la Russie de certains appareils électroménagers, que l’armée russe désassemble pour en recycler les semi-conducteurs.

Sauf que Moscou a trouvé la parade pour s’en procurer via des intermédiaires. “On assiste depuis peu à une augmentation des flux commerciaux très inhabituels entre l’Union européenne et certains pays tiers”, a souligné mardi Ursula von der Leyen. Prenez les tire-lait : les volumes achetés par l’Arménie à des entreprises de l’UE ont quasiment triplé au premier semestre 2022, selon les chiffres publiés par Bloomberg en octobre. Le constat vaut aussi pour le Kazakhstan, dont les importations de tire-lait européens ont augmenté de 633 %. Autre exemple : les frigos. Le Kazakhstan en a importé deux fois plus en 2022 depuis l’UE. Et en a exporté dix fois plus vers la Russie…

Les stratagèmes russes pour contourner les sanctions européennes “sont de plus en plus nombreux et de plus en plus créatifs”, alertaient en février douze États membres, dont la Belgique, dans une lettre adressée à la Commission. L’UE se devait donc de réagir, même si elle espère encore régler ce problème par le dialogue. La proposition de la Commission ne mentionne d’ailleurs aucun pays ou produit. “Il s’agit d’abord d’adopter le cadre légal, ce qui enverrait déjà un signal politique”, explique un diplomate. L’UE serait même prête à apporter une aide technique aux autorités qui se diraient débordées par la situation. Et ce n’est que s’il refuse de coopérer qu’un pays serait frappé de l’interdiction de se procurer certains produits européens. “Cet outil ne sera utilisé qu’en dernier recours et avec prudence”, a insisté Mme von der Leyen.

Quid de la Turquie et de la Chine ?

Politiquement, il sera plus facile de lister l’Arménie ou le Kazakhstan que la Turquie, un pays membre de l’Otan, censé être un allié du camp occidental, mais qui joue un rôle central dans les chaînes d’approvisionnement vers la Russie. Si l’UE décide de s’attaquer sérieusement au contournement des sanctions adoptées contre Moscou, elle ne pourra pas éviter de s’attaquer au cas turc – que ce soit dans ce cadre proposé par la Commission ou par d’autres moyens de pression.

L’autre casse-tête européen est la Chine, qui affiche sa proximité avec la Russie et n’a pas hésité à lui livrer certaines technologies, qui peuvent servir aux armes russes. Partant de ce constant, la Commission a ainsi proposé, dans le cadre d’une autre mesure, de sanctionner huit entreprises chinoises pour avoir fourni à la Russie des composants électroniques importés depuis l’UE, a rapporté le Financial Times lundi. Celles-ci viendraient s’ajouter à une longue liste de plus 500 entreprises principalement russes avec lesquelles le commerce de biens européens à « double usage » (civil et militaire) est interdit par l’UE. Viser dans ce cadre des entités chinoises c’est donc une première, qui n’a pas manqué d’irriter Pékin, le ministre des Affaires étrangères chinois Qin Gang promettant de réagir “strictement et fermement” pour défendre ses entreprises.

Cette réaction chinoise donne donc un avant-goût des défis et tensions géopolitiques auxquels l’Union risque de se confronter, au fur et à mesure qu’elle durcira le ton pour bétonner ses sanctions.

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