France

Journée de sensibilisation au Covid long : « Je ne suis plus autonome, ma vie est détruite, mais je ne lâche rien »

« Il faudra que j’aille m’allonger après vous avoir parlé. » Ancien militaire et grand sportif amateur de trail, Matthieu Lestage n’a jamais eu peur de l’effort et du dépassement de soi. Il y était même accro. Mais ça, c’était avant. Depuis deux ans et demi, il vit avec un Covid long et désormais, le moindre effort lui coûte au centuple.

Comme lui, plus de 2 millions d’adultes seraient touchés par un Covid long dans l’Hexagone, selon Santé publique France. Une affection dont la prise en charge reste pour de nombreux patients difficilement accessible faute de structures en nombre suffisant. Un Covid sans fin encore nébuleux, pour lequel aucun traitement n’existe à ce jour. A l’occasion ce mercredi de la toute première journée internationale de sensibilisation au Covid long, des patients racontent leur quotidien bouleversé par cette maladie.

« Un épuisement d’une violente intensité »

C’est en octobre 2020 que Matthieu, 42 ans à l’époque, contracte le Covid-19 : « Une primo-infection de trois semaines et demie qui a affecté mes poumons. J’ai failli y passer. » Mais jugé jeune et en bonne santé à ce moment de la pandémie où le chaos règne dans les hôpitaux, Matthieu, sans comorbidités ni antécédents, est renvoyé chez lui « le soir même », raconte-t-il. Quelques jours plus tard, déclaré officiellement guéri du Covid-19, le quadragénaire reste à bout de forces, et ses analyses révèlent un risque accru de thrombose, de phlébite et d’accident cardiovasculaire. « On m’a dit « dans votre état, vous pouvez simplement vous lever pour aller pisser. Là, c’est repos total et surveillance accrue ». Ça a été un choc ! »

Julia, elle, n’a contracté le Covid-19 qu’à l’été 2022. Vaccinée, la jeune femme de 34 ans est « K.-O., tousse beaucoup, respire avec difficulté et atterri [t] aux urgences ». Et développe un mois plus tard les premiers symptômes d’un Covid long. « Comme un état grippal qui revient en boucle, un brouillard cérébral et un épuisement d’une violente intensité. » Des symptômes également décrits par Matthieu, et qui se recoupent avec la définition posée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« Je ne peux plus rien faire »

De quoi chambouler le quotidien de Matthieu et Julia, tous deux en arrêt maladie depuis de longs mois. « Je ne peux plus rien faire, pas de sport, ni marcher ou conduire trop longtemps, ni travailler, détaille Matthieu. Le moindre effort m’épuise. Depuis deux ans et demi, le Covid long a détruit ma vie et mon corps, je ne suis plus autonome, et j’ai un fauteuil roulant quand je suis trop fatigué. Moi qui avais bâti une vie agréable à la campagne, mon Covid long a transformé mon cadre de vie en prison loin de tout. »

Un désarroi partagé par Julia, qui, célibataire, a dû quitter son appartement parisien pour retourner vivre chez ses parents. « Je ne peux pas vivre de manière autonome, je n’ai pas la force de faire mes courses, de cuisiner ni de me concentrer sur la moindre tâche, moi qui ai toujours été très active. Même écouter de la musique ou regarder une série me fatigue et me rend physiquement malade, chaque effort me met par terre. Je me compare souvent à une vieille batterie de smartphone : si je suis rechargée à 100 % je peux lire un peu, marcher quelques pas, mais au bout de 10 minutes je suis à plat et je dois m’allonger trois heures avant de pouvoir refaire quoi que ce soit ! »

Améliorer la reconnaissance et la prise en charge

« Je me suis dit que je ne pouvais pas laisser ma vie s’arrêter à 42 ans, se souvient Matthieu. J’ai fait quelques recherches, j’ai découvert et rejoint l’association de patients #ApresJ20, dont je suis devenu porte-parole. Et j’ai pu intégrer fin 2020 l’une des toutes premières structures dédiée au post-Covid, dirigée par le Pr Dominique Salmon-Ceron, infectiologue à l’Hôtel-Dieu. » Retournée en province, Julia, sur les conseils de son médecin traitant, a sollicité « le seul centre Covid long du département. Mais j’ai dû attendre quatre mois pour décrocher un rendez-vous ». Entre-temps, elle entame une rééducation à l’effort mais fait des « malaises post-effort après chaque séance », une réponse anormalement disproportionnée à l’effort qui provoque un épuisement extrême durant plusieurs jours.

Heureusement, « l’accès au centre et à une rééducation avec un kiné respiratoire a considérablement changé la donne. Au cours des séances, j’ai réappris à respirer sans m’épuiser », ajoute-t-elle. En pratique, « ces cellules d’appui et de coordination Covid long déployées sur le territoire ne suffisent pas à répondre à la demande, ce qui laisse beaucoup de patients en errance thérapeutique, reconnaît le Dr Benjamin Davido, infectiologue médecin référent de crise Covid-19 à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches. Elles ont été très utiles pour faire des bilans exhaustifs. En revanche, sans traitement pour ce syndrome qui reste encore aujourd’hui nébuleux, il y a des limites. » Un constat qui rappelle « l’urgence d’améliorer la prise en charge des patients, et de débloquer des moyens pour favoriser la recherche scientifique sur le sujet », insiste le porte-parole de l’association #ApresJ20.

« Je me sens incomprise »

Un avis partagé par le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui a appelé fin 2022 les Etats du monde à déployer « des investissements dans la recherche », et à « prévoir l’accompagnement médical et psychologique des patients, et des aides financières en cas d’incapacité de travailler ». Julia, elle, redoute déjà l’impact financier du Covid long. « Je suis en arrêt depuis l’été 2022, mon salaire va bientôt être divisé par deux. J’ai l’impression qu’on me punit d’être malade. Et encore, j’ai la chance de pouvoir compter sur mes parents. Mais psychologiquement, le Covid long est pesant : je souffre beaucoup de la fatigue, je me sens incomprise, comme si on me jugeait de ne pas me bouger. »

Dans les faits, « beaucoup de patients, surtout des femmes, s’entendent encore aujourd’hui dire que c’est dans leur tête, que c’est juste un peu de fatigue ou les hormones, c’est inadmissible, condamne Matthieu Lestage. La reconnaissance de la maladie est fondamentale, parce que le moral en prend un gros coup », souffle Matthieu, qui a bénéficié avec sa femme et ses enfants d’un suivi psychologique.

De lents progrès

Sur ce point, « les centres dédiés au Covid long ont un rôle clé pour les patients, qui se sentent enfin écoutés, crus et légitimes, ce qui a aussi son importance sur la voie de la guérison, souligne le Dr Davido. Et selon une étude récente, la majorité des patients sont guéris en moins d’un an ». Mais environ « 20 % des patients présentent encore les critères d’une affection post-Covid 18 mois après l’infection », indique Santé publique France.

Et quand le Covid long dure, « il faut garder l’espoir, ne pas perdre pied, insiste Matthieu. J’avais une vie aboutie, plein de projets, et du jour au lendemain tout s’est effondré. Mais mes proches et l’association m’ont maintenu la tête hors de l’eau, alors je ne lâche rien. » Et si la voie vers la guérison est longue, les progrès sont au rendez-vous, même s’ils sont lents. « Ma kiné me dit que je fais des progrès fulgurants, même si pour moi ce n’est pas assez rapide, s’impatiente Julia. Mais en quelques mois, c’est vrai que mon état s’est amélioré, ma concentration et mon énergie aussi : avant, je marchais 15 minutes en faisant des pauses et aujourd’hui, je tiens 30 minutes d’affilée. »