France

« Je m’estime blanchi »… Jugement clément pour deux ténors du barreau, accusés d’avoir voulu tromper la justice

Au tribunal correctionnel de Paris, 

Il est arrivé dans la plus grande salle du tribunal, blanc comme un linge, le regard un peu perdu. Les accolades de ses confrères, venus par dizaines ce mardi après-midi se serrer sur les bancs de la 11e chambre, ne semblent pas en mesure de lever l’angoisse qui se lit sur son visage. Ce n’est pas pour un client que s’inquiète aujourd’hui Me Xavier Nogueras, avocat spécialisé dans les affaires de terrorisme, mais pour sa carrière. Il est accusé avec un autre ténor du barreau, Me Joseph Cohen-Sabban, 45 ans de barre – lui s’est fait une réputation dans les dossiers de grand banditisme -, d’avoir versé un faux document à la justice pour la défense d’un de leurs clients en 2018. 

Côte à côte à la barre, presque immobiles, les deux conseils écoutent la présidente, Isabelle Prévost-Desprez, lire son jugement. Les mots cinglent. « Une désinvolture et une légèreté des plus blâmables », « un véritable dilettantisme », un « amateurisme béat ». Les voilà rhabillés pour le prochain hiver. Les deux hommes sont déclarés coupables de « violation du secret professionnel ». Ce n’est pas une surprise. 

Xavier Nogueras a notamment reconnu avoir remis en main propre une copie de la procédure pénale à l’homme de main de leur client, Robert Dawes, un narcotrafiquant soupçonné d’être au cœur d’un vaste trafic de cocaïne en Europe. Or, ces éléments ont servi à fabriquer des faux documents, qui ont ensuite été versés au dossier. Objectif : amoindrir l’accusation. En vain, puisque le parquet s’est rendu compte de la supercherie et que l’homme a été condamné à 22 ans de réclusion criminelle. « Une erreur gravissime », a reconnu Xavier Nogueras pendant l’audience. Un « tort », a abondé Joseph Cohen-Sabban. Un acte qui va « au-delà de la simple négligence », fustige pour sa part Isabelle Prévost-Desprez.

« Manque criant de professionnalisme »

Pour autant, rien dans l’enquête n’a jamais permis de prouver que les deux hommes savaient que les documents étaient des faux. Or, rappelle la magistrate, la complicité n’est punissable que si son auteur a participé sciemment. Quant à la négligence, elle ne peut être considérée comme une forme de complicité par « abstention ».

 A mesure que la magistrate déroule son argumentaire, la salle commence à se détendre. Isabelle Prévost-Desprez a beau fustiger le « désinvestissement dans ce dossier » et le « manque criant de professionnalisme » des deux avocats, le public, essentiellement composé de robes noires, comprend qu’elle est sur le point de relaxer les deux ténors du chef de complicité de la tentative d’escroquerie au jugement : rien ne prouve qu’ils ont sciemment cherché à influencer le tribunal. Or, c’est sur ce point que se jouaient leurs réputations. Et surtout la suite de leurs carrières.

Bien loin des réquisitions 

Robert Dawes et son « collaborateur zélé », Evan Hugues, sont respectivement condamnés à 5 et 4 ans d’emprisonnement. Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras sont quant à eux condamnés à 15.000 euros d’amende et trois ans d’interdiction d’exercer, assorti de sursis pour « violation du secret professionnel ». Bien loin donc des réquisitions du parquet, qui réclamaient trois ans de prison pour le premier, deux pour le second, assorti pour les deux d’un an avec sursis. Le ministère public avait également demandé cinq ans d’interdiction professionnelle.

Xavier Nogueras, au bord des larmes, tombe dans les bras de son conseil. Joseph Cohen-Sabban, lui, affiche un large sourire. « Je ne voulais pas prendre ma retraite avant d’être blanchi, et je m’estime blanchi », se réjouit-il à la sortie de l’audience. Tous les avocats présents voient également dans cette décision un dernier hommage à Me Hervé Témime, décédé la semaine dernière et qui avait livré, à cette audience, sa dernière plaidoirie. « Il a plaidé pour défendre notre métier », a insisté le conseil de Xavier Nogueras, Me Matthieu Chirez.