France

Guerre en Ukraine : Réfugiée à Bordeaux, la famille Horpenchenko espère retrouver Kiev « le plus rapidement possible »

Qui aurait pu prédire il y a un an qu’Olena et ses trois enfants Danylo, Viktoriia et Anna fuiraient leur pays en proie aux horreurs de la guerre pour s’installer à plus de 2.000 kilomètres de chez elle à Gradignan, dans la banlieue bordelaise ? Personne. Comme 65.833 de leurs compatriotes, comme l’indique le ministère de l’Intérieur jeudi, les Horpenchenko ont choisi la France comme terre d’asile. Depuis plus de huit mois, cette famille tente de se reconstruire, d’apprendre le français et de se projeter, loin des bombes et des massacres russes.

Il y a encore un an, Olena Horpenchenko était coiffeuse dans un salon prestigieux à Kiev. « Il fallait attendre des jours et des jours pour se faire couper les cheveux chez elle », confiait Svitlana Poix, bénévole bordelaise d’origine ukrainienne qui faisait office de traductrice lors de la rencontre entre la famille et 20 Minutes. Olena, son mari Dmytro, son fils aîné Danylo, qui a fêté mardi ses 20 ans, porteur de la trisomie 21, et ses filles Viktoriia, 18 ans et Anna, 12 ans étaient « heureux à Kiev », glisse timidement la benjamine.

Viktoriia (à gauche), Danylo et Anna (à droite) avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Viktoriia (à gauche), Danylo et Anna (à droite) avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky. – Olena Horpenchenko

Début décembre, alors que 100.000 soldats russes s’amassaient à la frontière russo-ukrainienne, que les Américains envoyaient 1.700 soldats de la 82e division aéroportée à la frontière polonaise, que l’Europe tremblait à l’idée que Vladimir Poutine puisse envahir une démocratie voisine, les Horpenchenko n’arrivaient à croire qu’une guerre puisse avoir lieu chez eux. « Avec mes trois enfants, mon travail très prenant, je ne faisais pas plus attention à l’actu. Et puis, on ne croyait pas qu’une démocratie avec une croissance dynamique puisse sombrer dans le chaos », explique Olena.

Un départ précipité sous les bombes

Le 24 février dernier, à 3h50, le président russe Vladimir Poutine lançait une « opération militaire spéciale ». C’était le début de la guerre. Dès les premières minutes du conflit, les bombes ont plu sur Kiev, Kharkiv, Mariouol, Dnipro, Odessa, Savayansk et Kramatorsk. « Nous étions dans notre appartement au 12e étage d’un immeuble au nord de Kiev. Nous voyions les bombes tombées sur Irpin et Boutcha. Je n’en croyais pas mes yeux », raconte la mère. Mais pour l’instant pas question de partir. Sauf que tout va basculer le 2 mars pour la petite famille ukrainienne. Le grand-père des enfants, qui s’était réfugié dans sa maison secondaire à Irpin, se pensant plus en sécurité qu’à Kiev, a été tué lors d’un bombardement. « On lui avait pourtant dit de partir », souffle la mère.

Alors, à la suite de ce drame familial, il faut partir, le plus vite et loin possible. Dans sa voiture, Olena a tout juste la place pour quelques valises et ses trois enfants. Le 4 mars, ils sont partis tous les quatre de la capitale, laissant derrière eux leur vie, et le père des enfants, Dmytro, interdit de partir du pays comme tous les autres hommes âgés de 18 à 60 ans.

Mais où aller ? Comme près de huit millions de leurs compatriotes, les Horpenchenko ont pris les routes de l’Europe. A l’origine, la petite famille veut se rendre en Belgique, connaissant quelques personnes à Bruxelles. Elle est partie donc vers le sud, est passée par la Moldavie, la Roumanie, la Hongrie et s’est arrêtée un jour à Vienne. Sur place, elle est aidée et hébergée par la famille d’un prêtre orthodoxe. « Là-bas, on nous a mis en contact avec une association à Toulouse qui recueillait des Ukrainiens mais qui avait aussi des infrastructures pour l’accueil de jeunes comme Danylo », se remémore Olena. Alors direction Toulouse, ou plus précisément Montauban.

La France, terre d’accueil

C’est donc le 11 mars que les Horpenchenko et la France ont fait connaissance. Trois mois après être restés dans une famille d’accueil Mautauban, les quatre Ukrainiens ont finalement déménagé près de Bordeaux. De fait, Viktoriia, la cadette de 18 ans, fraîchement diplôme du bac ukrainien – « avec la mention TB » –, qui pratique à haut niveau l’escrime, a été repérée par le club universitaire d’escrime de Bordeaux, le BEC. S’entraînant hardiment pour espérer intégrer un jour l’équipe olympique ukrainienne, et malgré le manque de sponsors, elle et son nouveau club enchaînent compétitions sur compétitions pour le championnat du monde : le CIP à Paris, des épreuves internationales en Italie, en Espagne, en Suède, etc.

Le reste de la famille a donc suivi Viktoriia et a investi un logement social à Gradignan, après un court passage dans une famille d’accueil. Ici, Danylo, surnommé Danya par ses proches, s’insère dans la vie professionnelle. Cependant, en raison du faible nombre de structures adaptées aux jeunes trisomiques, les ESAT (Etablissement et service d’aide par le travail) le jeune homme est contraint à faire deux heures de transports en commun quotidiennement pour se rendre sur son lieu de travail à Sadirac.  « Pas évident avec sa condition, ça le fatigue énormément », nous glisse sa mère. « Et ils ne sont très aidés ! », s’agace Svitlana, la bénévole qui les accompagne, « les démarches sont très compliquées de base alors imaginez dans une langue que vous ne comprenez pas. Il manque cruellement d’un solide accompagnement social. Par exemple, c’est moi qui leur ai appris que Danylo était éligible à l’Allocation Adulte Handicapé. »

Le portrait de la famille Horpenchenko à Noël en 2021 à Kiev, quelques semaines avant le début de la guerre. De gauche à droite, Dmytro, le père, Anna, la benjamine, Viktoriia, la cadette, Olena, la mère et Danylo l'aîné.
Le portrait de la famille Horpenchenko à Noël en 2021 à Kiev, quelques semaines avant le début de la guerre. De gauche à droite, Dmytro, le père, Anna, la benjamine, Viktoriia, la cadette, Olena, la mère et Danylo l’aîné. – Olena Horpenchenko

La maman, dans le but de reprendre son activité de coiffeuse, suit actuellement des cours de français. Quant à la petite dernière Anna, elle est scolarisée au collège, où d’après ses proches, l’intégration se passe plutôt bien. La benjamine était la seule à parler un peu français en arrivant à Gradignan : elle suivait des cours de français à Kiev.

Une famille séparée par la force des choses

Et le papa ? Qu’en est-il ? Dmytro, après la mort de son père, a choisi de prendre soin de sa mère. Resté en Ukraine, il est aussi sans emploi depuis le début du conflit. « Il était taxi, mais pour fuir, nous avons dû prendre son taxi », détaille Olena, avant d’ajouter : « Encore aujourd’hui, au nord de Kiev, les bombardements continuent. Nous craignons sans arrêt pour la vie de Dmytro. »

Et depuis près d’un an, la famille n’a pas eu l’occasion d’être réunie. A l’inverse de 10.000 déplacés ukrainiens, comme le chiffre l’Office français de l’immigration et de l’intégration, les Horpenchenko n’envisagent pas de retourner en Ukraine tant que le conflit dure. Tous espèrent toutefois reprendre le cours de leur vie à Kiev « le plus rapidement possible ». Et Olena de conclure : « On ne peut cependant pas se projeter, tant le conflit semble s’installer dans le temps. J’espère juste ne pas être à la rue avec mes trois enfants. »