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Géorgie : Les manifestations expriment « une peur de l’influence russe comme en Ukraine »

C’est la goutte d’eau qui a fait déborder la rue en Géorgie. L’opposition au pouvoir appelle une nouvelle fois à manifester jeudi, après deux jours de heurts. Pourtant, les autorités ont retiré le texte de loi répressif, qui prévoit que des ONG et médias soient obligés de s’enregistrer en tant qu’« agents de l’étranger », à l’origine des crispations dans le pays. Une législation inspirée notamment du modèle russe, même si elle existe aussi dans d’autres pays.

La contestation prend ses racines dans des problématiques plus profondes, un contexte politique « extrêmement polarisé », entre l’opposition et le parti au pouvoir, et qui « s’est exacerbé » à l’aune de la guerre en Ukraine, explique à 20 Minutes Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie au Conseil européen des relations extérieures (ECFR). On a vu des drapeaux ukrainiens flotter aux côtés des couleurs européennes et géorgiennes dans les rassemblements, ainsi que des pancartes « stop Russie ». La résistance ukrainienne contre l’agresseur russe est-elle en train de ruisseler chez d’autres anciens Etats soviétiques ?

Un terreau politique polarisé en Géorgie

La colère d’une partie du peuple géorgien s’inscrit dans un terreau politique très tendu. La société est divisée entre les partisans du parti au pouvoir, le Rêve Géorgien, et une opposition « galvanisée par la guerre en Ukraine et l’emprisonnement de l’ancien président Mikheïl Saakachvili », explique Marie Dumoulin.

Le texte controversé « est une tentative de prise de contrôle de la société civile dans une trajectoire populiste, souverainiste. L’enjeu est plus intérieur qu’extérieur et le prisme déformant qui oppose simplement pro-Russie à pro-Europe ne rend pas compte des vrais clivages », prévient-elle.

Le parti du Rêve Géorgien, au pouvoir depuis 2012, a mis en œuvre différentes politiques ambiguës. Fondé par Bidzina Ivanichvili, oligarque qui a fait fortune en Russie, le parti « montre de plus en plus une tendance prorusse tout en gardant un pied dans la communauté Euro-Atlantique », explique à son tour Samantha de Bendern, chercheuse associée à l’Institut royal des affaires internationales, spécialiste de la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie. L’opposition géorgienne n’abandonnera pas la lutte « tant qu’il n’y aura pas de garantie que la Géorgie soit résolument engagée sur une voie pro-occidentale », ont affirmé plusieurs partis.

Crainte de l’influence russe

Or, le projet gouvernemental apparaît comme un nouveau recul du gouvernement dans les aspirations de la Géorgie à rejoindre l’Union européenne. Assimilé à une loi d’inspiration russe, ce projet de loi a d’autant plus réveillé la grogne de l’opposition. « Dans cette loi, l’opposition géorgienne voit un frein à la volonté d’intégrer l’Union européenne, un pas vers la censure et surtout la main de Moscou », développe Samantha de Bendern.

« Nous sommes Européens, la place de la Géorgie est dans l’UE. Ce gouvernement, qui nous ramène dans l’orbite de la Russie, doit démissionner », témoigne ainsi une Géorgienne Miranda Djanachia interrogée par l’AFP. Ces manifestations expriment « une peur d’une influence de Moscou sur le pays, que la Russie mette la main sur la Géorgie comme elle l’a fait en Ukraine », ajoute-t-elle. Le Kremlin a d’ailleurs partagé dans la matinée ses inquiétudes face au mouvement de contestation, tout en affirmant n’avoir « absolument rien à voir avec cela. »

Le contexte de l’agression russe en Ukraine n’aide pas à apaiser les conflits internes. Impact économique, réaction assez faible contre Moscou et flux de migrants russes qui ont fui la guerre accentuent encore un peu plus les tensions. La guerre a par ailleurs « exacerbé l’influence de Moscou sur Tbilissi », selon Samantha de Bendern. Selon un rapport publié par l’ECFR en décembre, la coalition au pouvoir en Géorgie semble en effet « entrer progressivement dans la sphère d’influence de la Russie ». « Avec la violence de la guerre, les Géorgiens proeuropéens se sont dit « on est les prochains » », abonde Samantha de Bendern.

Géorgie et l’Ukraine, même combat ?

La Géorgie pourrait-elle alors subir le même sort que l’Ukraine ? Samantha de Bendern estime que Tbilissi « fait partie du même projet impérialiste de Moscou » que l’Ukraine. Toutefois, « il y a une vraie différence dans le discours tenu », nuance Marie Dumoulin. A contrario de l’Ukraine, la Russie « n’a jamais nié l’existence même d’une nation géorgienne et même en admettant que Moscou ait le projet de reconquérir la Géorgie, les Russes continueraient à reconnaître cette identité », argumente-t-elle.

La Géorgie et l’Ukraine partagent par ailleurs des points communs, notamment une aspiration européenne et le souhait d’intégrer l’Otan. « Ces deux nations ont tendance à s’identifier, elles ont des liens très forts et d’ailleurs, beaucoup de Géorgiens se battent en Ukraine », souligne Marie Dumoulin.

La révolution des Roses qui a soulevé le peuple géorgien en 2003 a été suivie par la révolution Orange ukrainienne l’année suivante. A l’image de la Crimée, la Géorgie a aussi une partie de son territoire sous occupation russe, comme l’Ossétie du sud qu’elle a tenté de reconquérir en 2008, poussant Moscou à intervenir sur le territoire géorgien pour venir au secours des séparatistes. « Depuis de nombreuses années, nous sommes confrontés au même défi : l’occupation. En ces temps difficiles, le gouvernement et le peuple géorgien sont solidaires de l’Ukraine et de son peuple », avait déclaré dans ce sens le ministre géorgien des Affaires étrangères, cité par Euronews en janvier 2022. C’est pourquoi aujourd’hui, le jaune et le bleu ukrainiens flottent au-dessus de la foule des opposants géorgiens, qui veulent conserver leur indépendance face à l’ours du Kremlin.