France

Comment les jeunes réfugiés ukrainiens poursuivent leur scolarité

Salle de classe ou tour de Babel ? Afghans, Péruviens, Géorgiens, Américains… Et depuis plus d’un an, des Ukrainiens se croisent et se côtoient dans ce cours particulier dispensé au lycée Fénelon, à Lille, dans le Nord. Ils ont entre 15 et 18 ans. Chacun a son parcours, sa tranche de vie. « Cette année, j’ai 14 nationalités différentes dans les groupes débutant, intermédiaire ou avancée », explique Delphine Caron, professeure spécialisée dans l’enseignement du français pour les étrangers.

Dans ce lycée où elle enseigne depuis six ans, ces cours hebdomadaires n’ont rien d’académique. « Le principe, c’est le bain linguistique basé sur une pédagogie multimédia avec les smartphones. Ces téléphones sont de véritables couteaux suisses de l’apprentissage : on a l’image, l’audio, la traduction », souligne l’enseignante qui privilégie aussi le jeu de rôle et la mise en situation. Aller chercher une baguette au marché, par exemple. « L’objectif est de les rendre autonomes très vite dans la langue », assure Delphine Caron.

Réseau d’accompagnement spécifique

C’est un dispositif méconnu qui facilite l’intégration de tous ces élèves étrangers : le Casnav. Mis en place par l’Education nationale, il en existe dans chaque académie. Celui de Lille dispose de 78 UPE2A (unité pédagogique pour enfant allophone arrivant) dans le Nord et le Pas-de-Calais. Son rôle : organiser la scolarité des enfants nouvellement arrivés en France en renforçant l’apprentissage du français.

Le Casnav de Lille est l’un des plus importants de France, avec celui de Versailles. Grâce à ce réseau d’accompagnement spécifique, l’Education nationale peut faire face à l’arrivée massive d’enfants réfugiés. Comme c’est le cas depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022.

Un an plus tard, à la mi-février, 461 Ukrainiens étaient ainsi suivis dans ce dispositif. Leur nombre s’est stabilisé ces dernières semaines. « Avec un rythme d’arrivée entre quatre et sept par semaine, l’académie de Lille va enregistrer un record en dépassant les 4.000 arrivées en 2023, toutes nationalités confondues », annonce Reinold Masure, responsable académique du Casnav. Des régions ont connu une vague migratoire ukrainienne plus importante, mais le jumelage entre la ville de Lille et celle de Kharkiv a néanmoins attiré de nombreuses familles.

« J’ai rapidement fait des progrès »

C’est le cas de Zhasmine K. qui suit ses études au lycée Fénelon où elle assiste aussi aux cours de renfort en français organisés par le Casnav : deux fois quatre heures, par semaine. A 15 ans, la jeune fille a suivi son père et sa mère qui avaient des amis à Lille. « En arrivant en France, je n’avais aucune connaissance de la langue, explique-t-elle en ukrainien. Le français, c’était difficile, mais j’ai rapidement fait des progrès. L’ambiance au lycée aide vraiment à apprendre une langue étrangère. » 

Les enseignants de lycée font de leur mieux pour l’aider à s’intégrer, en imprimant notamment les cours en ukrainien. « ça me permet à Anna, une amie ukrainienne et moi de mieux comprendre, précise la jeune fille. En arrivant à Lille, c’est mon père, qui parle français, qui m’aidait pour mes cours, maintenant je me débrouille moi-même. » Preuve que ce dispositif d’accompagnement fonctionne, même s’il a dû s’adapter. « Les Ukrainiens ont bousculé notre manière de faire, avoue Reinold Masure. Ils sont arrivés sans suivre les filières habituelles, souvent en voiture. Beaucoup étaient logés chez des particuliers et non en foyer. »

« On a du mal à les suivre »

Or ces lieux d’apprentissage, animés par une centaine d’enseignants spécialisés, sont traditionnellement situés près de ces foyers d’accueil. « Il faut ajuster le réseau géographiquement car parfois, les enfants logent à la campagne, note Reinold Masure. L’académie a mis en place, par exemple, un microdispositif de 50 heures supplémentaires par élève isolé. » Autre difficulté structurelle, le suivi des élèves. « On a du mal car ils sont très mobiles et très autonomes, poursuit le responsable. A la rentrée scolaire, en septembre 2022, on s’est aperçu, par exemple, qu’un tiers des élèves était parti pendant les vacances. C’est compliqué de construire un parcours scolaire dans ces conditions. »

D’autant que pour la quasi-totalité des jeunes migrants ukrainiens, le lien avec le pays n’est pas rompu, contrairement à d’autres. Ils continuent à suivre une scolarité à distance, comme le confirme Zhasmine. « Une fois par semaine j’ai un cours en ligne avec un professeur ukrainien », indique-t-elle à 20 Minutes. L’autre raison de cet engagement fluctuant, c’est que le niveau scolaire français est un peu en décalage. « Les cours que je suis actuellement au lycée, je les ai étudiés il y a deux ans en Ukraine », assure Zhasmine. « Ils ont souvent un très bon niveau en maths », confirme Reinold Masure. Mais pas que.

« Nous ne savons pas quand il sera possible de revenir dans notre pays »

« Les enfants ukrainiens passent le bac à l’issue de la première, souligne le responsable. Il n’est donc pas rare d’accueillir des ados qui ont déjà le diplôme à 16 ou 17 ans. Faut-il les envoyer au lycée ou à l’université ? On a un peu cafouillé au début, c’est vrai. Heureusement, un principal adjoint qui avait déjà travaillé en Ukraine nous a aidés à former tout le monde pour pouvoir réagir au mieux. Maintenant, on privilégie les formations post-bac, malgré le jeune âge. »

Pour la famille de Zhasmine, le bac reste encore un objectif lointain. « Le plus important était d’inscrire Zhasmine à l’école pour ne pas perdre de temps, car nous ne savons pas quand il sera possible de revenir dans notre pays. Le stress joue aussi son rôle, car le déménagement était imprévu et forcé », témoigne Iryna, sa mère.

Après un an dans le nord de la France, l’intégration reste quand même compliquée. « Je passe la plupart de mon temps avec Anna, reconnaît Zhasmine. Je ne communique pas beaucoup avec des Français parce que mon niveau n’est pas suffisant pour suivre une conversation. » Zhasmine et son amie Anna se plaignent aussi de « moqueries » subies par certains lycéens français soutenant l’invasion du président russe Vladimir Poutine. Mais ce contexte géopolitique offre aussi des raisons d’espérer. Dans un collège lillois, un Russe et une Ukrainienne, réunis dans la même classe, sont devenus les meilleurs amis du monde, nous confie le principal qui préfère garder l’anonymat.