France

Annonces d’Élisabeth Borne : Avec sa feuille de route, l’exécutif s’empêtre dans ses contradictions

Plus d’un mois après avoir été chargée par Emmanuel Macron de bâtir un nouvel agenda parlementaire, Élisabeth Borne a rendu sa copie ce mercredi, après le Conseil des ministres. En amont de la conférence de presse, les petites mains de Matignon avaient prévenu : il ne fallait rien attendre de très surprenant, ni de très nouveau. La Première ministre doit jongler entre les contraintes – c’est le jeu -, au point que sa feuille de route, sa philosophie pour les fameux « 100 jours » jusqu’au 14-Juillet, semble souvent s’autocontredire. Voyez plutôt.

Côté pile, le président de la République a lancé dans son allocution trois chantiers, sur le travail, l’ordre et le progrès, pour marquer une nouvelle étape de son quinquennat. Côté face, la feuille de route gouvernementale les a transformés en une multitude de petits travaux. Certains concernent des projets de loi à examiner au Parlement, dont la plupart étaient déjà dans les tuyaux, comme la transformation de Pôle emploi en France Travail. D’autres touchent au domaine réglementaire, comme la hausse du Smic, elle aussi déjà annoncée.

Tout est prio ?

Côté pile, Élisabeth Borne « ne croi[t] qu’aux résultats. Nous devons en obtenir dans tous les domaines, et je souhaite qu’ils soient concrets, tangibles, visibles pour les Français. » Côté face, certains points de cette feuille de route concernent uniquement la publication des textes d’applications, voire le simple suivi de mesures ou lois plus anciennes. Sur le sujet hautement prioritaire de l’inflation, par exemple, un simple « point d’étape sera fait mi-juin pour évaluer l’efficacité du trimestre anti-inflation ».

Côté pile, Matignon « assume des priorités, car si tout est prioritaire, rien ne l’est ». Côté face, nous voici avec un catalogue de mesures « complet voire roboratif », décrit l’entourage d’Élisabeth Borne. Dans le triptyque « travail, ordre, progrès », on peut y coller au moins 90 % des sujets.

Projection sous bride

Côté pile, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne assurent vouloir « apaiser » le pays alors que « la loi sur les retraites est encore proche », rappelle Matignon : « Ce n’est pas une période comme les autres. La Première ministre veut réengager le dialogue, et ce ne sont pas que des mots. » Côté face, le président, et même certains ministres, n’hésitent pas à faire des sorties jugées provocantes ou méprisantes. Dernière en date d’Emmanuel Macron lors de sa visite à Vendôme mardi, face aux « casserolades » : « Je n’ai pas non plus le sentiment que des millions de nos compatriotes sont dans les rues aujourd’hui ». Gabriel Attal y est allé aussi mardi, dans l’Hérault : « Ceux qui ont le temps d’accueillir des ministres de 14 heures à 18 heures en pleine semaine, a priori, ce ne sont pas les Français qui travaillent, qui ont des difficultés à boucler les fins de mois »

Côté pile, la Première ministre semble se projeter bien au-delà de ce qui ressemble à une prolongation de son CDD de trois mois – « les 100 jours, ça n’est pas une durée totem », assure Matignon. Côté face, elle a dû se contenter d’une simple et courte conférence de presse à l’issue du Conseil des ministres. 

Peut-être plus symbolique encore : la prise de parole a eu lieu à l’Elysée, et non à Matignon. Certes, sous la Ve République, le ou la cheffe du gouvernement est toujours sous la bride de l’Elysée, et Élisabeth Borne ne fait pas exception. Notons tout de même qu’elle aurait pu peut-être davantage briller ailleurs : pourquoi pas un nouveau discours de politique générale devant l’Assemblée nationale ? En juillet dernier, elle avait, sinon conquis, en tout cas surpris par sa pugnacité.

Tout change pour que rien ne change

Tout ça pour ça, donc ? En réalité, la vraie question est la suivante : pouvait-il en être autrement ? Lors de son interview au 13 heures, fin mars, et lors de son allocution la semaine dernière, Emmanuel Macron n’a donné aucune marge de manœuvre à Élisabeth Borne. Comment élargir la majorité en ne faisant aucune geste sur le programme ? Dans ces conditions, la négociation est vite vue. Alors on repart sur une stratégie « texte par texte », comme depuis dix mois.

Bien sûr, la position de l’exécutif, loin d’une majorité absolue à l’Assemblée, et aux prises avec une importante crise sociale, ne peut être qualifiée de confortable. Mais depuis dix mois, c’est avec cette stratégie que la plupart des projets du gouvernement sont passés. Sans tomber, et sans faire de concessions marquantes aux oppositions. « Il n’y a pas le blocage institutionnel que beaucoup avaient prévu, et pas que dans la presse », fait-on remarquer, tout en euphémisme, à Matignon. La Ve République donne toutes les armes au gouvernement pour avancer, même sans majorité, même sans compromis. Alors pourquoi se gêner ?