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« Je me retourne et je vois des explosions », « J’ai pleuré », « Je voyais la mort » : récits glaçants d’évacués du Soudan

Lorsque démarrent les hostilités il y a douze jours entre les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo et l’armée régulière d’Abdel Fattah al-Burhane, l’universitaire vient de rejoindre l’île de Touti, au milieu de la capitale soudanaise, où elle effectue des recherches pour sa thèse.

« A peine arrivée, je me retourne et je vois des explosions, j’entends de fortes détonations, des échanges de tirs », raconte la jeune femme aux cheveux bouclés, rencontrée par l’AFP mercredi matin à Paris, parmi 245 évacués du Soudan.

Rentrer à son hôtel est trop dangereux. Leila Oulkebous, 28 ans, est accueillie par une famille soudanaise qui, sans la connaître, l’héberge, la nourrit et surtout tente de l’apaiser pendant plus d’une semaine, alors que la guerre fait rage. « C’est grâce à eux que j’ai pu amortir le choc ».

Touti, là où Nil bleu et Nil blanc se rencontrent pour devenir le Nil, n’a pas de caserne et n’est donc pas une cible pour les deux camps, dit-elle. « Mais on entendait les explosions partout dans la ville. L’île, c’était comme une caisse de résonance ».

La sécurité y reste très relative. Un obus tombe un jour sur une maison proche. « Toute une famille est morte ».

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« Palpitations »

Entre les claquements incessants des balles et le grondement plus espacé de l’artillerie, « ceux qui étaient à l’extérieur avaient peur de prendre des balles, et ceux qui étaient à l’intérieur craignaient les obus ». Alors Leila Oulkebous et ses hôtes vivent « cachés sous des lits ».

« J’ai pleuré, j’avais des palpitations, le souffle coupé », raconte-t-elle. « Je voyais la mort. Je me suis dit que c’était fini pour moi ». Jusqu’à ce qu’un membre de l’ambassade de France, qui habitait sur l’île, vienne la secourir.

Nicolas Forgeard-Grignon, un consultant en agriculture en mission au Soudan, réside, lui, dans un hôtel de Khartoum, parmi une dizaine d’étrangers, quand une escouade des FSR prend soudainement possession du bâtiment.

« Quand des canons antiaériens (placés dans l’enceinte de l’hôtel, NDLR) se mettent à tirer, ça fait un boucan pas possible », se souvient-il.

Mais « après on s’habitue. C’est un bruit de fond », comme un « orage », remarque-t-il. « On oublie ce qui se passe dehors parce qu’on n’a aucune prise. On essaie de se recentrer sur ce qu’on peut faire, d’assurer l’alimentation, l’eau… »

Agé de 42 ans, Nicolas Forgeard-Grignon confie avoir eu de la chance dans son malheur, car son hôtel disposait de réserves de nourriture conséquentes, d’eau dans les robinets, et même d’internet.

« Je connais des gens qui ont passé cinq jours dans le noir », observe son collègue Merry Davieaud, 32 ans, qui avait déjà réalisé « plus de 70 séjours » au Soudan, y compris durant le coup d’Etat de 2021, qui a porté MM. Burhane et Daglo au pouvoir.

Un putsch « très rapide, se souvient-il. On avait géré notre propre extraction. » Le Soudan, malgré sa vie politique turbulente, reste selon M. Davieaud très sécurisant, avec un faible niveau de délinquance. « J’ai moins peur de marcher à Khartoum avec du cash que dans le métro à Paris », assure-t-il.

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« Grande tristesse »

Mais la situation depuis douze jours a radicalement changé, dans une agglomération de plus de 5 millions d’habitants dont les deux camps se disputent le contrôle. Plus de 459 personnes ont été tuées et plus de 4.000 blessées, selon l’ONU.

Les trois évacués estiment que les civils ne sont pas une cible des belligérants, mais plutôt des « dommages collatéraux » car « les deux camps veulent le soutien de la population », selon Nicolas Forgeard-Grignon.

En témoigne l’évacuation des ressortissants étrangers par la France, durant laquelle les deux camps ont assuré à tour de rôle la sécurité du convoi.

Un militaire français a toutefois été blessé lors d’une mission de reconnaissance entre l’aérodrome et les points de regroupements des ressortissants, a indiqué l’état-major français.

Reste la population soudanaise, à qui tous trois ne cessent de penser. Au décollage de l’avion l’ayant emmené dimanche du Soudan, Merry Davieaud confie avoir été « content de partir », tout en ressentant « une grande tristesse » pour ses connaissances sur place, dont il ne sait pas « à quelle sauce (elles) vont être mangées ».

Leila Oulkebous reste en contact avec la famille l’ayant hébergée, qu’elle regrette d’avoir « lâchée » faute de pouvoir l’aider. Et de vanter un peuple soudanais « généreux, résistant, un peuple extraordinaire ».