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Angleterre-France : Dans le dur mais farcis de talent… Que valent vraiment ces Anglais ?

Vous en avez assez du sourire sardonique d’Owen Farrell, l’ouvreur (ou centre) et buteur anglais ? Et bien Steve Borthwick vous en a débarrassé. Plus exactement, le nouveau sélectionneur du XV de la Rose a signé l’acte le plus symbolique de son début de mandat, étrenné lors de ce Tournoi des VI Nations et à moins d’un an de la Coupe du monde : il a relégué sur le banc l’emblématique capitaine de l’ère Eddie Jones pour la réception de la France, samedi à Twickenham. Du jamais vu dans un match important depuis 2015.

L’ancien entraîneur de Leicester avait pourtant confirmé Farrell dans ses fonctions dès son arrivée aux commandes. Mais le début de compétition médiocre du trentenaire aux 104 sélections (à peine 47 % de réussite au pied) l’a convaincu de titulariser le jeune Marcus Smith (24 ans) face aux Bleus. L’imprévisible demi d’ouverture des Harlequins revient en grâce après avoir été aligné lors de la défaite à domicile inaugurale contre l’Ecosse (23-29) puis fait des entrées furtives lors des succès sur l’Italie (31-14) et au pays de Galles (10-20), avant d’être carrément renvoyé dans ses foyers.

Cette valse-hésitation à un poste aussi stratégique, qui n’est pas sans rappeler les tristes heures du XV de France, résume le brouillard dans lequel notre meilleur ennemi se débat depuis la finale du Mondial 2019 perdue face à l’Afrique du Sud (32-12). Encore première du Tournoi 2020, l’Angleterre a enchaîné par une infâme 5e place et une anonyme 3e position les deux années suivantes.

Dans le même temps, les Tricolores, vainqueurs du Grand Chelem l’an dernier, reprenaient du poil de la bête après une décennie 2010 horrible. La tournée de novembre 2022, marquée par un inédit revers à domicile contre l’Argentine (29-30), a scellé le sort du très exigeant mais aussi épuisant Jones, qui a depuis rebondi chez lui à la tête des Wallabies.

Seulement 6e au classement mondial

« Eddie Jones avait des soucis avec les joueurs, il n’y avait plus d’adhésion, juge Yannick Nyanga, nouveau consultant sur France Télévisions, qui a commenté les matchs des Anglais contre l’Ecosse puis à Cardiff. Borthwick [ancien adjoint de Jones] a expliqué qu’il avait récupéré une équipe très marquée. Il a redonné de la liberté aux joueurs, celle de se faire un peu plus de passes. Il a aussi rajeuni l’effectif, en écartant par exemple Billy Vunipola. Je le sens très proche de ses hommes. »

Pour l’instant, ce n’est tout de même pas bien brillant du côté des seuls champions du monde à ce jour issus de l’hémisphère nord (en 2003), relégués à la 6e place au classement de World Rugby. De quoi forcément aiguiser l’appétit de Fabien Galthié et de ses hommes avant de partir à la conquête de Twickenham, qui n’a pas cédé sous les assauts français depuis 2005 (17-18). Interrogé sur le sujet ce jeudi à Marcoussis, le sélectionneur des Bleus a toutefois sorti les violons.

C’est le temple du rugby mondial, là où est né ce sport. L’équipe anglaise est magnifique, même si elle performe moins que les années précédentes. Mais même une équipe anglaise qui ne performe pas fait partie des géants. Quand on nomme les géants du rugby mondial, les Anglais en sont, qu’ils soient à leur top niveau ou dans des moments plus difficiles. Et puis il y a ce qu’on adore chez eux : on les respecte parce qu’ils sont orgueilleux, fiers.

OK, mais que valent-ils au juste ? Faut-il être aussi sévère que Dimitri Yachvili dans Midi Olympique, lorsque le héros de l’exploit de 2005, auteur des 18 points tricolores au pied, évoque une équipe qui « stagne » depuis 2019. Le « Yach » parle d’un « fossé » avec le jeu proposé par les Irlandais, les Ecossais et même les Italiens. Ou encore d’une équipe qui a simplement proposé « 10 minutes intéressantes face aux Blacks lors de la dernière tournée, notamment sur le plan offensif. Mais à part ça, rien, ou pas grand-chose ».

« Je ne suis pas d’accord même s’ils ne sont pas dans une bonne période », réplique Nyanga, lui aussi présent lors de la dernière victoire en date à Londres, voici 18 ans. L’ancien 3e ligne international rappelle la série gagnée en Australie l’été dernier, et parle d’« une bonne équipe, en reconstruction ».

Un réservoir très conséquent

« J’ai aimé ce que j’ai vu sur le premier match face à l’Ecosse, leurs intentions de jeu. Malheureusement, ça ne leur a pas souri. Contre les Gallois, c’était beaucoup plus fermé, avec du jeu au pied, mais les Anglais ont eu le résultat qu’ils espéraient. Ils connaissent d’énormes passages à vide dans les matchs même s’ils démarrent plutôt bien. Ils ont aussi un souci d’efficacité. On sent un manque de confiance, mais ils ont les joueurs pour embêter beaucoup d’équipes. »

Car contrairement à des Gallois en pleine déliquescence, les héritiers de Jonny Wilkinson peuvent s’appuyer sur un réservoir très enviable. « Ellis Genge, c’est le meilleur pilier gauche du monde avec Cyril Baille, et leur meilleur joueur », indiquait Nyanga avant même de savoir que « Baby Rhino » avait été nommé capitaine après la destitution de Farrell, que le manager des Espoirs du Racing 92 appelait d’ailleurs de ses vœux car Marcus Smith « amène de l’incertitude ».

« A la mêlée, Van Poortvliet peut assez rapidement devenir le taulier, ajoute-t-il. Je trouve son jeu au pied très, très bon, et il colle bien à ce que souhaite Borthwick. Leur 3e ligne aile Ludlam m’a bluffé en tant que porteur de ballon. J’ai bien aimé aussi Chessum en 2e ligne. Et ils ont toujours des valeurs sûres comme Maro Itoje et Jamie George. »

Thibaud Flament, qui connaît le sujet sur le bout des doigts pour avoir évolué aux Wasps avant la décrépitude du club de Coventry, veut aussi prévenir tout excès de confiance, toujours malvenu avant d’aller défier nos vainqueurs d’Azincourt et de Waterloo. « L’Angleterre reste une équipe très dangereuse même si elle a été dans le dur, assène le 2e ligne toulousain du XV de France. On sait qu’elle est capable de se reconcentrer sur des choses précises, basiques, pour se relancer. »

Vers un « crunch » soporifique ?

C’est précisément ce que prévoit Nyanga. « Malgré les ambitions de Borthwick dans le jeu, c’est une équipe qui a besoin de résultats. Je ne les vois pas trop prendre de risques face à une équipe de France létale. Ce serait du suicide. Il va y avoir beaucoup de jeu au pied. Ce sera une partie d’échecs afin de se retrouver avec la possession du ballon dans le camp adverse. » Tant qu’on peut battre les successeurs de Will Carling et son horripilant « Sorry Good game », même sur un score de 6-3 ou de 12-9, on veut bien roupiller pendant 80 minutes.