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Allemagne : Avec l’élection d’un maire de droite, Berlin est-elle devenue réac’ ?

Une élection historique mais pas inédite. Le parlement du Land de Berlin a élu pour la première fois depuis 2001 un maire du parti conservateur des chrétiens-démocrates (CDU), Kai Wegner, jeudi. A l’issue d’un scrutin tenu en février dernier, les sociaux-démocrates du SPD, à la tête de la capitale allemande depuis plus de 20 ans, ont subi un revers cuisant avec 18,4 % des suffrages, leur plus mauvais résultat depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La ville est-elle pour autant en train de devenir plus conservatrice ? Pas vraiment. Ce vote « est plutôt le symbole d’une insatisfaction de la population désireuse de changement », explique à 20 Minutes Jean-Pierre Gougeon, professeur des universités et directeur de l’Observatoire de l’Allemagne à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

La sécurité, un thème central de la campagne

Mais si ce changement de mairie ne traduit pas un décalage complet de la population vers la droite, certains thèmes de la campagne municipale sont surtout portés par les conservateurs, comme la sécurité. La CDU a notamment surfé sur les violences qui ont émaillé la nuit de la Saint-Sylvestre dans « des proportions inédites », indique Nathalie Le Bouëdec, professeure en civilisation allemande à l’université de Bourgogne, interrogée par 20 Minutes. Un événement qui a précédé de quelques semaines seulement le scrutin. Le contrat de coalition, formée avec les sociaux-démocrates du SPD, de plus de 100 pages prévoit ainsi un allongement des durées de garde à vue ou encore le développement de la vidéosurveillance.

Hélène Seufert, Française résidente à Berlin depuis 13 ans, relativise ce sentiment d’insécurité. « C’est une ville très sûre, je n’ai jamais peur de prendre les transports, même la nuit, même quand je vais près d’un parc à mauvaise réputation », raconte-t-elle à 20 Minutes. En revanche, « il est vrai qu’il y a des phénomènes qui ont émergé, comme de plus en plus de personnes addicts au crack qui se baladent dans la rue et ce sentiment que les drogués sont plus présents, tout en sachant qu’ils ne sont pas dangereux », ajoute-t-elle.

Le logement a aussi été un point central de la campagne. Avec la gentrification de la ville, les prix des loyers comme de l’achat immobilier dans le centre se sont envolés, rendant difficile pour les jeunes et les salaires modestes de se loger, témoigne Hélène Seufert.

Un désir de changement

Cette victoire électorale ne traduit en revanche pas un engouement pour le CDU, qui d’ailleurs gouvernera en coalition avec le SPD. « C’est plus un vote en faveur de la coalition que du parti », résume pour sa part Hélène Seufert. « C’est une sorte non-décision des électeurs pas contents du gouvernement sortant, ce n’est pas un soutien massif au parti chrétien démocrate », souligne Nathalie Le Bouëdec. « La personnalité de la maire sortante qui avait rassemblé beaucoup d’espoirs à son arrivée a ensuite engendré beaucoup de déçus », développe Jean-Pierre Gougeon.

Par ailleurs, le maire lui-même fait partie des chrétiens démocrates modérés sensible aux questions sociales, selon Jean-Pierre Gougeon. L’insatisfaction de la population a donc mené à un désir de changement, et comme le CDU est le principal adversaire du SPD, c’est naturellement qu’il a pu le remplacer à la tête de la ville. Ce résultat électoral est ainsi davantage celui « d’un clivage qui apparaît dans la population entre les électeurs âgés et les électeurs jeunes ainsi qu’entre le centre et les banlieues, notamment sur ces thèmes très actuels » de l’environnement, la sécurité, le logement, développe la professeure en civilisation allemande.

Une ville toujours vivante et underground

Et malgré ce tournant politique, la ville reste « très libérale, très ouverte, sans jugement de la profession, des études, où il y a une grande diversité et où chacun a sa place », rassure Hélène Seufert. « Berlin est toujours une ville culturelle et artistique très vivante, toujours underground, c’est ce qui fait sa richesse et ça ne risque pas de changer », abonde Jean-Pierre Gougeon.

Malgré un développement du tourisme dans la capitale allemande, « Berlin est toujours une ville fascinante où l’histoire est très présente, une ville forte en émotion », ajoute-t-il. Il reste encore de nombreux espaces culturels, musicaux, qui forgent son caractère, même si on trouve moins de soirées « dans des hangars qui durent 48 heures », concède la Française habitante de Berlin.