Belgique

Ursula von der Leyen dans la course à sa succession à la tête de la Commission: des soutiens importants et une difficulté source d’incertitude

Les chances sont élevées de voir Ursula von der Leyen prolonger pour cinq ans son bail à Bruxelles – expression à prendre au pied de la lettre, puisqu’elle s’est fait installer un appartement à côté de son bureau, au 13e étage du Berlaymont. Elle devra, pour ce faire, convaincre deux “collèges électoraux” : celui du Conseil européen, le cercle des chefs d’État et de gouvernement des Vingt-sept, puis celui du Parlement européen.

Beaucoup de soutiens au Conseil européen

”Si elle se lance, c’est qu’elle a sondé les Premiers ministres et chefs d’État”, indique une source européenne. Ursula von der Leyen bénéficiera de l’appui de la douzaine de dirigeants conservateurs membres du PPE, parmi lesquels le Polonais Tusk, le Grec Mitsotakis, le Suédois Kristersson ou l’Irlandais Varadkar… L’Allemande compte également des alliés hors de son camp : elle entretient de bonnes relations avec son compatriote social-démocrate Olaf Scholz et avec le socialiste espagnol Sanchez. Même si elle a pu l’agacer à plusieurs reprises, elle conserve la confiance du président français Macron et de dirigeants libéraux comme le Belge Alexander De Croo. Elle a par ailleurs noué une relation étroite avec la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, dirigeante du parti post-fasciste Fratelli d’Italia.

“Les chefs veulent à la tête de la Commission quelqu’un qu’ils peuvent appeler et qui règle les problèmes. Elle a prouvé qu’elle était capable de faire ça”, poursuit la même source. “Sa Commission a fait preuve de capacité d’anticipation et de réaction”, précise Éric Maurice, analyste politique pour le think tank European policy centre. “Elle a réagi plus vite que le Conseil (l’institution des États membres, NdlR) sur la gestion de crise provoquée par la pandémie de Covid-19”, pointe M. Maurice. Sur le plan sanitaire, la Commission a notamment convaincu les États membres de procéder à des achats communs de vaccins. Elle a aussi pris diverses mesures – dont la suspension des règles budgétaires et en matière d’aides d’État – pour soutenir les économies des États membres, paralysées durant la pandémie, et proposé, sous l’impulsion de Berlin et Paris, un plan de relance financé par des emprunts européens.

Éric Maurice note encore qu’avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Commission avait commencé à préparer des paquets de sanctions contre la Russie, en collaboration avec les États membres. L’exécutif européen a aussi travaillé avec diligence, pour dresser des plans pour réduire autant que possible la dépendance de l’UE aux hydrocarbures russes. “Elle a un bon bilan, et le pouvoir exécutif a été renforcé dans l’Union grâce à elle. Elle écoute énormément, mais elle suit aussi son intuition”, complète une autre source européenne, glissant au passage que la tendance d’Ursula von der Leyen à exercer “un leadership très centralisé” a pu provoquer des crispations.

La présidente du Green deal : avantage ou inconvénient ?

L’eurodéputé belge Philippe Lamberts, co-président du groupe des Verts, prête une autre qualité à la présidente de la Commission : “Sous ses prédécesseurs, Barroso, surtout, et Juncker, la Commission était le secrétariat du Conseil. Elle, elle a une vision”. Les Verts ne lui avaient pas apporté leur soutien parlementaire en juillet 2019, mais ont constaté, avec satisfaction, que la Commission von der Leyen avait fait du Pacte vert (ou Green deal), vaste plan visant à mener l’UE sur la voie de la transition écologique, une priorité de son mandat. “C’est vraiment son initiative. Aucun chef du Conseil européen ne le lui avait demandé, ni aucun groupe au Parlement européen. Elle a montré le cap et l’a maintenu pendant la pandémie, avec la guerre”, salue le Belge.

Comment la Commission propose d’amener l’Union européenne sur le chemin de la (r)évolution verte

La quasi-totalité des textes du Green Deal ont été adoptés, mais Ursula von der Leyen a quelque peu levé le pied sur les mesures environnementales, ces derniers mois. Elle a retiré la proposition de réduction de moitié de l’usage des pesticides d’ici à 2030, qui était bloquée au Parlement et au Conseil. Pour apaiser la colère des agriculteurs, la Commission a proposé d’exempter temporairement des règles liées aux jachères. Si l’Allemande était, en 2019, le choix inattendu du Conseil européen, elle se présentera, en 2024, sous l’étiquette de candidate du PPE. Une famille politique qui, estimant porter la voix d’une partie de son électorat – industriels, PME, agriculteurs, mais aussi citoyens… – remet en cause certaines ambitions du Pacte vert, en particulier dans le domaine des règles environnementales. La candidate von der Leyen va-t-elle devoir désavouer l’action de la présidente von der Leyen ?

Philippe Lamberts n’y croit pas, mais pronostique que la manière de poursuivre la transition verte “sera le sujet principal de la campagne des élections européennes” de juin 2024. C’est aussi, en partie sur l’importance que prendra cette transition verte dans le programme de la prochaine Commission que celui ou celle qui sera désigné pour la présider parviendra à réunir une majorité autour de son nom au Parlement européen.

Une majorité difficile à trouver au Parlement européen

En 2019, Ursula von der Leyen n’avait été élue qu’à une courte majorité de neuf voix par des eurodéputés mécontents de s’être vus imposer une candidate par le Conseil européen. En 2024, les groupes qui l’avaient soutenu – le PPE, les socialistes et démocrates, les libéraux et centristes de Renew – devraient tous perdre des plumes, tandis que les groupes eurosceptiques et d’extrême droite devraient voir gonfler leurs rangs. “Sur 720 députés, on sait déjà qu’environ 250 ne voteront pas pour elle”, souligne une source parlementaire.

Ursula von der Leyen élue de justesse, mais élue quand même, sera la première femme présidente de la Commission

Si elle est à nouveau désignée par le Conseil européen, Ursula von der Leyen devra-t-elle, pour consolider sa majorité au Parlement européen, chercher à convaincre les Verts ? Ou plutôt le groupe des Conservateurs et réformistes européens qui devraient se situer encore plus à droite de la droite qu’il ne l’est aujourd’hui mais pourrait devenir la troisième force de l’hémicycle, derrière les socialistes, mais devant les libéraux ? Ce sera difficile de séduire à la fois les uns et les autres. “C’est l’histoire de la couverture trop courte. Faut-il choisir de couvrir les épaules ou les pieds ?”, poursuit la source parlementaire.

Ursula von der Leyen part avec les larges faveurs du pronostic, d’autant qu’elle ne devrait pas avoir de véritables concurrents pour le poste : choisi par les socialistes, le Luxembourgeois Nicolas Schmit, commissaire aux Affaires sociales et à l’Emploi n’est pas une figure politique de premier plan ; les résultats des libéraux aux élections européennes de juin ne devraient pas leur permettre de réclamer la présidence de la Commission. “Ce serait bien pour la continuité qu’elle puisse effectuer un second mandat, pour qu’elle puisse poursuivre son agenda sur l’Europe de la défense, la mise en œuvre du Green deal, de la transition numérique”, plaide une des sources européennes interrogées.

Affaire conclue, avant même le grand marchandage des hauts postes européens de juin ? “Elle est candidate, elle est la présidente sortante, elle est soutenue par le premier parti européen, mais il faut trouver une majorité qui puisse l’élire au Parlement européen. Et cette majorité sera difficile à trouver avec un résultat qui probablement devra se traduire par une forte progression des partis nationalistes, anti-européens et d’extrême droite aux européennes”, fait observer Éric Maurice.

Qui sait si, en cas de déroute des partis favorables à l’intégration européenne de juin, les chefs ne seraient pas tentés de faire porter le chapeau à celle qui a incarné l’action politique européenne pendant cinq ans. Et de remplacer le “fusible” von der Leyen par quelqu’un d’autre – l’ancien président de la Banque centrale européenne et ex-Premier ministre italien Draghi ? La présidente du Parlement européen Roberta Metsola ? La mise en place d’une deuxième Commission von der Leyen est un scénario probable, pas une certitude.