Belgique

Suite aux accusations de racisme et de violence à la police Bruxelles-Midi, les bourgmestres de la zone et le chef de corps lancent un travail de fond

Entre la gestion sécuritaire et sanitaire des abords de la gare Bruxelles-Midi, les violences urbaines, notamment liées aux trafics de stupéfiants – avec les fusillades qui se sont multipliées ces deniers jours, dont une mortelle – et les accusations récurrentes d’abus policiers, les trois bourgmestres des communes concernées ainsi que le chef de corps de la zone de police Midi, Jurgen De Landsheer, sont souvent sollicités. Et régulièrement chahutés.

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Les critiques font partie de la vie politique. C’est le jeu, avance le bourgmestre d’Anderlecht, Fabrice Cumps (PS). Mais quand il y a des inexactitudes ou des déformations de la réalité qui sont véhiculées, ce n’est plus amusant”.

La zone Midi subit un véritable bashing, renchérit le bourgmestre de Saint-Gilles, Jean Spinette (PS). C’est disproportionné, c’est injuste, et c’est lassant”. Et Mariam El Hamidine (Ecolo), la bourgmestre de Forest, d’ajouter : “Nous entendons la colère des citoyens. Mais nous avons l’impression que nous ne sommes pas suffisamment entendus quand nous répondons, comme si nos actions étaient vaines”.

Agir comment et pour faire quoi ? Quand les trois maïeurs ont convié La Libre pour un entretien, il était question d’aborder les accusations de racisme à l’encontre des policiers de la zone, particulièrement au commissariat Démosthène, à Anderlecht.

Avec une information livrée en primeur à La Libre : le Collège de police a demandé à un organisme externe de réaliser un audit sur le fonctionnement des services de contrôles internes et des procédures disciplinaires de la zone Midi. Objectif : analyser l’efficacité des procédures disciplinaires existantes à l’égard des policiers qui ne seraient pas droits dans leurs bottes. Par ailleurs un travail de fond a été mis en place pour collaborer avec les services de la zone dans le cadre d’un plan d’action sur les discriminations, la diversité et les préjugés. Une doctorante spécialisée en la matière a été recrutée au sein du service formation-coaching de la zone de police. Il est également question de mettre en place un plan d’équipement en bodycams pour les interventions.

Double défi

Une nouvelle qui devrait ravir les riverains fâchés avec leurs policiers. Mais l’actualité mouvementée liée au narcotrafic dans les quartiers saint-gillois et anderlechtois a quelque peu changé les plans de communication des bourgmestres et de leur chef de corps.

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Car aujourd’hui, leur défi est double. D’une part, démontrer que leurs policiers ne sont pas animés par des intentions racistes et/ou violentes. Et, d’autre part, rappeler que ces policiers – discrédités par ces accusations – sont actifs sur le terrain pour faire face aux violences qui se sont accrues ces dernières années, malgré des moyens limités.

”Les zones de non-droit, ça n’existe pas”

Finalement, les deux problématiques sont liées, explique Jean Spinette. Ces fusillades sont une sorte de rappel. Notre ennemi commun, c’est la criminalité qui gangrène nos quartiers. Et les policiers qui sont injustement ciblés sont ceux qui font en sorte de rendre nos rues plus agréables”.

”Certains évoquent l’existence de zones de non droit, poursuit Fabrice Cumps. C’est faux, parce que nos policiers vont partout. Aucun quartier n’a été abandonné aux organisations criminelles”.

Preuve, avancent-ils, que la police ne reste pas les bras croisés face aux faits de violences, les patrouilles sont présentes au quotidien. Et c’est notamment ce qui a permis d’identifier 78 lieux de deals (ou hotspots) sur l’ensemble de la zone et procéder à plus de 2 000 interpellations depuis juillet 2023.

Même si ce n’est pas ce que les gens vont retenir en voyant l’actualité récente, nos policiers font un travail exceptionnel, défend le chef de corps, Jurgen De Landsheer. Mais nous faisons face à une forme de criminalité beaucoup trop dense et extrêmement organisée. Ce n’est pas un phénomène micro-local, mais des bandes urbaines liées à des réseaux qu’on peut qualifier de mafieux. Pour arrêter une personne, cela prend 40 à 50 heures de travail pour un policier, sans compter le temps de l’enquête qui vient après. Les criminels le savent et n’hésitent pas à adapter leurs façons d’opérer pour éviter les contrôles ou les interpellations. Si on démantèle un lieu de deal, un autre ouvre plus loin dans la foulée. On agit comme on peut, mais on sait que c’est aussi ça, la réalité du terrain”.

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Selon Jurgen De Landsheer, cette “réalité du terrain” démontre aussi que le répressif, seul, n’est pas la panacée. “Le travail sera efficace s’il est également préventif. Nous devons travailler avec tous les acteurs concernés. Au niveau local, régional, fédéral et même avec Europol s’il le faut. Mais d’abord et avant tout, avec les citoyens”.

Et pour travailler avec les citoyens, il faut donc rétablir une relation de confiance entre policiers et riverains.

Se pose alors une question : comment la police peut-elle être efficace si son image auprès de la population est égratignée par des faits de violence et de racisme ?

”La perception que l’on peut avoir de la police, ça n’est pas la réalité”

”Ne nous voilons pas la face, poursuit Mariam El Hamidine. Il y a eu des cas problématiques de racisme, la presse en a fait largement état. Mais il s’agit de cas isolés qui ne représentent en rien l’ensemble des forces de l’ordre. Mais ça, nous avons beau le répéter, le message semble inaudible”.

Jurgen De Landsheer ajoute : “Les deux cas relatés et qui reviennent fréquemment datent de 2015 et de 2020. Et nous sommes en 2024. Deux cas avérés en près de dix ans, cela démontre bien qu’il n’y a pas, contrairement à ce que certains aiment distiller, un racisme structurel au sein de notre zone de police”.

Les deux cas en question sont, d’une part, l’affaire de ces policières qui se sont filmées en train de traiter des lambda de “macaques” durant une patrouille et, d’autre part, le cas de ce policier qui a durement molesté un individu menotté au commissariat Démosthène. “Ces cas sont graves. Et personne n’a jamais excusé ou justifié la chose, assure le chef de corps. Mais il s’agit d’affaires déballées dans la presse alors que des sanctions avaient déjà été prises à l’égard des policiers concernés. Pourtant, on parle d’impunité, comme si nous n’avions rien fait et que nous cautionnons tout cela”.

Notons que les policiers concernés par les faits n’ont pas été écartés des rangs de la police. Les policières ont été frappées de sanctions disciplinaires et le policier auteur des coups a, lui, bénéficié d’une suspension du prononcé par la justice.

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Quid des informations selon lesquelles l’un des policiers impliqués dans la mort d’Adil à Anderlecht, serait, lui aussi, accusé de racisme ? “Nous ne pouvons pas communiquer sur ce dossier. Mais il y a des informations non vérifiées qui circulent à propos de cette affaire. Et c’est dommage”, répondent nos interlocuteurs.

Ce manque d’informations sur l’affaire Adil couplé aux sanctions jugées trop faibles par les riverains pour les autres dossiers où des policiers ont été pointés du doigt ne sont-ils pas des éléments qui pourraient alimenter une colère légitime, interroge-t-on ? “Je ne sais pas s’il s’agit d’une colère légitime ou pas, mais ce que je sais, c’est qu’il y a des procédures à respecter. Aussi graves soient les accusations, nous ne pouvons pas renvoyer des policiers avant que ces procédures aboutissent, réagit Jean Spinette. Durant ces enquêtes, internes ou externes, les policiers concernés font un pas de côté ou voient une partie du salaire saisi. On dira que ça ne suffit pas, mais nous faisons que ce que les procédures permettent. Faire plus, comme un licenciement pour voir, ensuite, ces policiers ne pas être condamnés nous expose à des procédures caduques qui pourraient renforcer le sentiment d’impunité. Ceci dit, cela ne doit jamais légitimer la thèse selon laquelle le racisme est institutionnalisé au sein de notre police. C’est scandaleux d’affirmer cela. Et c’est l’argument principal avancé par nos détracteurs”.

Les jeunes qui dénoncent un délit de faciès ou des contrôles abusifs et répétés seraient-ils des affabulateurs ? “Nous répétons que l’attitude de certains policiers n’est pas le reflet de l’ensemble de nos forces de l’ordre, insistent nos interlocuteurs. Nous ne nions pas l’existence d’une forme de racisme au sein de la société. La police est, peut-être, l’institution contre laquelle beaucoup ont décidé de réagir parce qu’il s’agit d’une fonction régalienne. Mais il n’y a rien qui démontre un racisme structurel tel qu’il est dénoncé”.

Et Jurgen De Landsheer d’ajouter : “Chaque année, nous recevons près de 350 plaintes. Il y en a dix ou onze qui concernent des accusations de racisme ou de discrimination. La perception que l’on peut avoir de la police, ça n’est pas la réalité”.

Visite inédite avant le conseil de police

Mais ces explications sur la lourdeur des procédures administratives ou sur les bonnes intentions de la zone de police ne suffiront sans doute pas à apaiser les citoyens. Les bourgmestres et le chef de corps en sont bien conscients. Alors, ils ont décidé d’agir autrement.

Ce lundi 19 février, un conseil de police est prévu. Mais avant, les conseillers de police de la zone seront invités au commissariat Démosthène. Les cellules seront visitées et les procédures mises en place par les policiers seront davantage explicitées. “Nous voulons démontrer que nous sommes totalement transparents. Les procès médiatiques que nous subissons n’aident personne. L’actualité nous le rappelle : le danger vient du grand banditisme, pas de nos policiers”.