Belgique

« Le comportement de Paul Magnette et de Rajae Maouane lors du débat m’a frappé »

Au Nord du pays, c’est Bart De Wever qui a attiré l’attention des médias cette semaine lors des voeux de la N-VA. Celui qui s’est dit candidat Premier ministre a une nouvelle fois entretenu le flou sur une possible alliance avec le Vlaams Belang. De quoi faire ressurgir le spectre d’une Belgique ingouvernable après ces élections…

Dans le cadre de son nouveau rendez-vous « Regard de Flandre », La Libre a interrogé Dave Sinardet, politologue à la VUB. Le fin connaisseur de la politique belge analyse les derniers temps forts de la campagne.

Que peut-on retenir de ce premier grand débat des présidents de parti francophones ?

Différentes choses m’ont frappé. Tout d’abord, les autres partis jouaient un peu le jeu de Georges-Louis Bouchez. Il a bâti toute sa campagne sur l’idée qu’il y a cinquante nuances de gauche et, face à ça, le MR. Il veut un peu se montrer seul contre tous et il a essayé de renforcer cette idée ce mardi soir. Or les autres partis l’ont un peu aidé en le prenant pour cible à certains moments.

Ensuite, j’ai été surpris que des partis de gauche comme le PS et le PTB aient souligné que la politique pour le climat ne devait pas être punitive et que cela ne devait pas coûter trop d’argent aux gens. On voit ça aussi en Flandre. On oppose l’écologie et le social.

Enfin, je suis satisfait que la santé mentale ait été discutée lors de ce débat. Cette thématique n’était jamais à l’avant-plan des débats politiques, ce n’est toujours pas le cas mais l’aborder est déjà un bon début. Cela devient un sujet très important au sein de la société et le politique semble l’avoir compris.

A-t-on eu un bon aperçu des sujets qui allaient véritablement rythmer la campagne ?

Oui. Il est clair que les discussions sur le pouvoir d’achat vont se poursuivre. La réforme fiscale risque aussi de rester au centre de la campagne. C’est un des dossiers importants que le gouvernement n’a pas su trancher. On s’attend à ce qu’il revienne sur la table d’un prochain exécutif. Si le PS et le MR sont à nouveau présents dans la majorité, le compromis qui devrait être fait me semble assez logique. On en a eu un aperçu ce mardi: d’un côté, les libéraux laissent tomber quelques réticences pour taxer davantage le capital ; de l’autre, les socialistes doivent accepter de réformer le marché du travail.

Quand on voit encore lors de ce débat comment Bouchez et Magnette s’opposent constamment l’un à l’autre, peut-on imaginer un exécutif regroupant le MR et le PS ?

On a vu que la stratégie de Magnette, c’était de se positionner contre Bouchez et pas trop contre le PTB. Autant Bouchez veut s’illustrer comme l’homme face aux cinquante nuances de gauche, autant Magnette veut se positionner comme l’alternative à la droite. C’était dans son intérêt de se livrer à un match de boxe contre Bouchez et pas contre d’autres. Mais ce qui m’a frappé c’est qu’entre Ecolo et le PS il n’y avait presque aucun conflit et aucune tension, alors qu’on sait que la relation entre les deux partis dans les gouvernements n’est pas au beau fixe. L’axe PS-Ecolo ne fonctionne pas bien du tout. Pourtant, dans ce débat, on avait l’impression que nous étions face à deux formations politiques qui vont très bien ensemble.

Paul Magnette : “Ce n’est pas pour rien qu’on appelle le MR le ‘mouvement des riches’”

Est-ce déjà un premier signe de ce vers quoi les écologistes et socialistes aimeraient tendre en termes de coalition après le scrutin ?

Je pense qu’en réalité le PS aimerait beaucoup jeter Ecolo dehors. Mais, stratégiquement, ce n’est pas dans leur intérêt. Les socialistes ne vont probablement pas éjecter les écologistes parce qu’alors ils se retrouveraient avec deux partis de gauche dans l’opposition. Ils vont les garder à bord même s’ils les détestent juste pour cette raison et pour former un gouvernement sans le MR.

Dave Sinardet, politologue à la VUB, revient sur cette séquence politique très particulière.
Dave Sinardet, politologue à la VUB ©Photo News 

Georges-Louis Bouchez a quant à lui montré sa volonté de former un gouvernement de centre-droit, incluant la N-VA. Cette volonté est-elle partagée par les nationalistes flamands ?

Contrairement à ce que disait Paul Magnette, Bart De Wever ne veut pas du tout monter au pouvoir avec Georges-Louis Bouchez. Il n’a confiance en lui. Les deux hommes n’ont pas du tout une bonne relation. Le président du MR va jusqu’à la grand-place d’Anvers pour essayer d’amadouer le leader des nationalistes flamands, il va frapper à sa porte mais Bart De Wever n’ouvre pas. Ce qui s’est passé entre eux à Anvers est assez symbolique. La N-VA préférerait une coalition avec le PS car aux yeux des nationalistes, c’est la meilleure manière d’arriver à un deal communautaire. Ce qui n’est pas faux…

Qui est le gagnant de ce débat ?

Je n’aime pas trop me prononcer sur un gagnant ou un perdant. Je dirais que c’est surtout la démocratie qui a triomphé. Ce débat était assez rafraîchissant. On a quasiment parlé que de contenu. C’est bien de discuter de thématiques très importantes pour les Belges et de ne pas faire de la politique politicienne.

Un président de parti s’est tout de même démarqué: Maxime Prévot (Les Engagés) a été particulièrement plébiscité par ses collègues…

On voyait qu’il était dans une situation assez confortable. C’est certainement un des débatteurs qui a tiré son épingle du jeu. Mais c’est aussi un reflet de la réalité. Si les autres partis veulent faire un gouvernement par exemple sans le MR, ils ont besoin des Engagés. On se rappelle qu’en 2019, après les élections, le but était de former un exécutif PS-Ecolo-CDH, mais le CDH a choisi l’opposition. Il est assez clair que les socialistes et les écologistes veulent retenter le coup. Ce qui ne sera pas forcément si facile pour les Engagés. Le parti s’est peut-être plus inscrit dans le centre-droit. Ce n’est plus du tout le CDH de Joëlle Milquet qui était scotché au PS. D’un autre côté, si Bouchez veut que son parti monte dans un gouvernement, il pourrait aussi avoir besoin des Engagés. Prévot est assez sûr d’être dans un exécutif, même si tout peut arriver.

Raoul Hedebouw, qui a l’habitude de s’illustrer dans ce genre d’exercices, s’est montré assez calme lors de ce débat…

Il a été moins clivant qu’à l’habitude. C’est surtout à cause du format du débat à savoir que chaque président pouvait parler une minute et que personne ne pouvait l’interrompre. On voulait justement éviter les petits phrases. Cela n’est pas à l’avantage de Raoul Hedebouw, ni de Georges-Louis Bouchez d’ailleurs. Ils ont tendance à dominer ce genre d’exercices grâce à leur rhétorique et à leur tendance à être très assertif. Ce n’était pas possible ce mardi soir.

« Bart De Wever est prisonnier d’une cage dorée »

Lors des voeux de la N-VA, Bart De Wever n’a plus tout à fait fermé la porte au Vlaams Belang. Il a dit être prêt à ne pas s’allier au parti d’extrême droite, à certaines conditions. Que faut-il en penser ?

Ce n’est pas vraiment nouveau. On voit depuis quelques années que De Wever essaie de rester assez vague sur une alliance avec le Belang. Il sait que tant au sein de son parti que de son électorat actuel et potentiel, il y a différentes visions sur la formation politique de Tom Van Grieken. Une partie de l’électorat nationaliste voudrait voir la N-VA s’allier au Belang, tandis qu’une autre s’y oppose. Il marche donc sur des œufs. Il veut éviter de banaliser le Belang en rendant possible sa montée dans un gouvernement, mais en même temps il ne veut pas clairement lui fermer la porte pour ne pas brusquer certains de ses électeurs.

Il avait déjà émis une condition auparavant à savoir que le Belang devait faire le ménage au sein du parti et écarter les personnalités polémiques. Ça a été fait en partie puisque Dries Van Langenhove est parti, mais Filip De Winter et d’autres sont toujours là. Cette nouvelle condition émise par De Wever est surtout stratégique. On lui pose sans cesse cette question, ce qui est assez irritant pour lui, puisqu’il ne peut pas vraiment répondre. Il renvoie donc la balle aux autres partis en demandant s’ils seraient prêts, quant à eux, à former un gouvernement sans majorité en Flandre.

La N-VA pourrait-elle tout de même monter dans un gouvernement avec le Vlaams Belang ?

Le plan A est d’entrer dans la majorité au fédéral et d’arriver à un accord avec le PS et les autres partis francophones qui devrait aboutir à une réforme de l’Etat. Pour mener cela à bien, les nationalistes ne peuvent pas s’allier au Belang en Flandre. Sinon, le PS et les francophones ne voudront plus discuter avec De Wever. Mais si la N-VA ne parvient pas à mettre en oeuvre son plan A et qu’elle se retrouve dans l’opposition au fédéral, le plan B serait probablement de s’allier avec le Vlaams Belang.

“Si la N-VA monte dans un gouvernement avec le Vlaams Belang, ou dans une majorité sans avancée communautaire forte, elle implose dans les deux cas”

Bart De Wever a fait savoir qu’il était candidat au poste de Premier ministre. L’imaginez-vous au 16 rue de la Loi après le méga-scrutin de juin ?

C’est à nouveau une stratégie de communication de campagne. En 2014, il a tenu des propos similaires. A chaque élection, il se présente comme candidat pour quelque chose, aussi parce que c’est l’une des personnalités nationalistes flamandes les plus populaires. C’est un des responsables politiques les plus populaires en Flandre. Les gens s’attendent à ce qu’ils prennent ses responsabilités. Cette candidature peut convaincre les électeurs. Mais en réalité, l’idée qu’il serait Premier ministre d’un cabinet d’affaires ne me semble pas du tout crédible. Former un gouvernement qui se concentre sur le socio-économique et le budget pour parler du confédéralisme à côté n’est pas réaliste. Le budget, c’est l’essentiel de la politique ! De plus, je ne vois pas quels autres partis seraient d’accord avec cette façon de faire. C’est un projet mort-né.