Belgique

Faibles revenus, normes intenables, sentiment d’abandon: les agriculteurs belges rejoignent la fronde de leurs homologues européens

En Wallonie, la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA) signale une semaine d’actions dès lundi prochain, avec une province différente ciblée chaque jour de la semaine. “On veut chaque fois mettre en place deux barrages filtrants et un barrage un peu plus bloquant, explique Marianne Streel, présidente de la FWA. Mais on préviendra bien à l’avance des lieux d’actions. L’objectif est de créer le moins d’embarras possibles tout en allant à la rencontre des citoyens pour communiquer sur les difficultés que rencontrent les agriculteurs aujourd’hui.”

De son côté, la Fédération des Jeunes Agriculteurs (FJA) annonce “rejoindre le font commun dès lundi”, mais prévoit aussi des actions propres dès ce vendredi. En signe de ralliement au mouvement de blocage des agriculteurs français, des panneaux de signalisation indiquant les entrées et sorties de communes ont notamment été retournés dans la nuit de jeudi à vendredi. Objectif : faire comprendre “qu’on marche sur la tête” concernant l’agriculture en Europe. La FJA se rendra aussi au cabinet du ministre de l’Agriculture David Clarinval (MR) ce vendredi pour l’inviter à « les écouter”.

Des normes trop contraignantes

Même initiative du côté de la Fédération Unie de Groupements d’Éleveurs et d’Agriculteurs (Fugea), qui se rendra elle aussi au cabinet du ministre ce vendredi. La semaine de protestation commencera ensuite dès dimanche soir avec des groupements d’agriculteurs qui organiseront des actions ciblées et mettront en place des barrages filtrants. Les actions pourraient ensuite monter en puissance jusqu’à jeudi, où une importante manifestation d’agriculteurs est attendue à Bruxelles à l’occasion d’un sommet européen extraordinaire.

Les agriculteurs wallons mèneront des actions la semaine prochaine dans toutes les provinces wallonnes

Comme du côté de la FWA, la Fugea signale que l’objectif n’est pas de rendre la vie impossible aux citoyens, mais bien de se faire remarquer pour espérer être entendus par les autorités belges et européennes. “Les décisions politiques ne tiennent pas du tout compte de l’avis des agriculteurs et de la situation sur le terrain, note avec agacement Philippe Duvivier, président du syndicat agricole. Les normes auxquelles nous devons nous plier sont trop nombreuses et trop contraignantes. Nous avons conscience de l’urgence des défis environnementaux. Mais ça va trop vite, la mise en œuvre est trop compliquée, les exigences administratives de la PAC (Politique agricole commune, NdlR) sont immenses, intenables.”

Jugées “hors-sol”, ces normes ne sont parfois même pas réellement durables, selon les agriculteurs. “Elles ne tiennent que très rarement compte de la science agronomique, souligne Marianne Streel. Le pire exemple est celui de ce qu’on appelle ‘l’agriculture de dates’. Un calendrier nous impose de poser des gestes lors d’une période bien précise. Mais le dérèglement du climat n’est pas pris en compte. Or, on travaille avec du vivant, avec la météo : des périodes où il fait froid, alors qu’il devrait faire doux, ou inversement. C’est impossible de suivre ces dates.”

Moins de 5 % d’agriculteurs de moins de 35 ans

Parmi les raisons de la grogne, les syndicats pointent aussi les importations de produits qui ne sont pas soumis aux mêmes réglementations. Philippe Duvivier relève l’exemple du blé ukrainien : “Évidemment qu’il faut aider l’Ukraine, mais pas au détriment de nos agriculteurs. Ce blé arrive sur nos marchés et est vendu bien moins cher que notre froment.” La présence de ces aliments importés à tendance à tirer les prix du marché vers le bas, tout comme l’industrie agroalimentaire. Avec l’inflation, les coûts de production ont augmenté, mais pas les prix de vente. Résultat : les marges ont diminué et les revenus des agriculteurs sont plus faibles qu’auparavant.

La situation est socialement et politiquement explosive : l’Europe cherche comment éteindre la colère des agriculteurs

Exprimant un ras-le-bol général, les syndicats agricoles s’inquiètent aussi de l’avenir de la profession, pour laquelle la moyenne d’âge des travailleurs est estimée à 60 ans. Précaire et éreintant, avec des terres difficiles d’accès, le métier n’attire plus les jeunes. “En Wallonie, moins de 5 % des agriculteurs ont moins de 35 ans, développe Pierre D’Hulst, chargé de communication à la FJA. Les freins sont nombreux, il faut être passionné, se donner à 200 % pour tenir le coup. C’est un beau métier, indispensable à la société, il est grand temps qu’on le reconnaisse à sa juste valeur.”

À la FWA, Marianne Streel note encore que l’Europe est à un tournant et doit se positionner sur l’avenir de l’agriculture : “Comment veut-on nourrir la population ? Avec des aliments de l’agro-industrie importés de l’autre bout du monde ou bien produits localement par des agriculteurs passionnés ? Dans le deuxième cas, il faut commencer à nous écouter.”