Tunisie

Tunisie : le pouvoir fait main basse sur la Banque centrale – Actualités Tunisie Focus

En obligeant l’institution à prêter 7 milliards de dinars à l’État, Tunis dégaine la planche à billets. Inflation garantie.

Il n’y a pas que Javier Milei, l’histrion-président argentin qui entend couper les dépenses publiques à la tronçonneuse, qui veut briser la Banque centrale.

Dans un style plus austère, façon Saint-Just de Carthage, son homologue tunisien Kaïs Saïed vient de passer à l’acte. Ainsi, après la mise à bas du Parlement et de la Constitution, l’emprisonnement de l’opposition, la dernière institution qui lui échappait vient de céder.

Elle semblait jusque-là imperméable aux dégâts collatéraux du coup d’État du 25 juillet 2021. Voici la Banque centrale de Tunisie (BCT) placée sous la férule présidentielle.

Que ce soit sous la dictature Ben Ali – qui lui laissait une relative quiétude – ou durant les dix années de démocratie, elle avait suivi à la lettre l’orthodoxie du Fonds monétaire international (FMI). C’en est fini.

Conséquence de sa gestion prudente, ses réserves en devises atteignaient 118 jours fin janvier, suscitant la convoitise d’un État aux poches percées et vides, alors que le pays traverse une crise de très grande ampleur (inflation, 7,8 % ; chômage, 15,8 % ; une croissance négative au troisième trimestre 2023 de – 0,2 %).

Pour boucler son budget, le pouvoir a décidé d’utiliser la manne de la Banque centrale et de mettre un terme à son indépendance. Le message envoyé au FMI, Banque mondiale & Co est limpide : Tunis ne répond plus.

La tentation de l’argent magique

Quand on n’a plus d’argent, on ressort ce bon vieux mistigri, cette faucheuse de bas de laine : la planche à billets. En ces temps numériques, l’impression de monnaies ne nécessite qu’un jeu d’écriture électronique. L’argent virtuel se fabrique aisément, mais laisse des traces.

La monnaie papier qu’on imprimait à loisir pour combler les dettes exigeait encres, rames, logistique, mais elle pouvait se dissimuler. Virtuel ou réel, l’argent fabriqué artificiellement aboutit au même résultat : une inflation incontrôlée.

Près de 40 % du budget de l’État nécessitent des apports extérieurs. Le gouvernement ne cesse de solliciter les banques tunisiennes pour financer le train de vie national. Celles-ci sont arrivées au plafond de ce qu’elles ont le droit de prêter à l’État : un quart de leurs fonds propres.

En sollicitant l’aide du FMI, puis en refusant l’an dernier le plan de 1,9 milliard de dollars qui lui était proposé, Tunis a aggravé sa situation sur les marchés internationaux. Le pays ne peut plus emprunter – seuls les fonds vautour y sont prêts -, à moins qu’un État se porte garant.

Le raïs de Carthage rend coupable l’Occident de tous les maux de son pays et a décidé de prendre ses distances avec lui. Dans ses tirades du soir – il est un habitué des vidéos mises en ligne à la tombée de la nuit -, Kaïs Saïed ne dissimule pas son mépris pour les institutions « illégitimes » telles que le FMI. Cela s’accompagne de mesures de plus en plus autoritaires.

L’UE se prépare à un « effondrement de la Tunisie »

Il y a un an, jour pour jour, était arrêté à l’aube Khayam Turki, ancien membre du parti Ettakatol (gauche, socialiste), qui voulait fédérer l’opposition face à la dérive autoritaire du président Saïed. Depuis, plus de cinquante personnalités croupissent en prison pour une durée indéterminée. « Il faudra que Kaïs Saïed quitte le pouvoir pour qu’ils recouvrent leurs libertés », explique, en off, un ancien ministre nommé et soutenu par la confrérie des Islamistes.

Le pays est de plus en plus isolé sur la scène internationale, courtisé par la Chine et la Russie.

L’homme s’est emparé de tous les pouvoirs, arguant de « périls immédiats ». En plaçant la Banque centrale sous sa coupe, en la contraignant par voie législative à puiser dans ses réserves en devises (ce qui est illégal) et à fabriquer de l’argent virtuel, il isole un peu plus la Tunisie des institutions et des marchés financiers .

Il y a un an, le vice-président de la Commission européenne et haut représentant aux Affaires étrangères, Josep Borrell, évoquait le scénario d’un « effondrement » de l’économie publique tunisienne.

L’hypothèse d’un non-remboursement de la dette est fixée début 2025. La nouvelle dictature illibérale qui se dessine à Tunis nourrit les départs via la Méditerranée. Un effondrement de son économie multipliera le nombre de migrants tunisiens sur l’île de Lampedusa.

Benoît Delmas, 11 février 2024

Economics for Tunisia, E4T