Tunisie

Financement direct du Trésor par la Banque Centrale : recentrer la problématique – Actualités Tunisie Focus

Le projet de loi modifiant les statuts de la BCT, soumis récemment par le « gouvernement » à la coupole autorise l’Institut d’Emission à titre exceptionnel, à accorder au profit du Trésor, des facilités d’un montant total de DTN 7 milliards, d’une maturité de dix ans dont trois années de grâce et sans intérêts (!).

Toutes les sphères du pays réel, comme celles d’ailleurs du pays légal, placent le débat autour du projet, sur le vieux terrain prétendument conquis, de l’indépendance de la banque centrale. A tort à mon humble avis, car c’est plutôt de la crédibilité de l’institution qu’il s’agit, plus exactement.

L’enjeu premier pour une banque centrale ne réside pas comme on a tendance à le croire, tant dans son indépendance, que dans sa crédibilité aux yeux du consommateur, des opérateurs économiques, de la communauté financière et des observateurs de tous horizons. Une institution de la République, telle la banque centrale, est crédible lorsqu’elle agit en cohérence avec son mandat légal.

En 2006, lorsque les statuts originels ont interdit tout concours à l’Etat, ce n’était pas pour affermir l’indépendance de l’institution, mais pour assurer une nécessaire cohérence avec son nouveau mandat, celui de préserver la stabilité des prix. Il est en effet, de ces vérités immédiatement perceptibles que le fait de poursuivre l’objectif de stabilité des prix et de juguler les velléités inflationnistes du gouvernement, se concilierait mal, sinon trop peu, avec la latitude d’injecter ex-nihilo et sans contrepartie réelle, des quantités supplémentaires de monnaie pour- de surcroît – financer le déficit budgétaire.

Il suffit pour s’en convaincre, de rappeler que les statuts de Béni M’tir dans leur version de 2006 avaient maintenu, comme second mandat de la politique monétaire, l’objectif de « prêter appui à la politique économique de l’Etat », dans le cadre d’un équilibre – du moins textuel – heureux entre le mandat de l’Exécutif en matière économique et plus particulièrement, budgétaire et celui assigné à la Banque centrale. Il est fortement regrettable que la cohérence d’ensemble qui habitait dans les statuts des pères fondateurs fut délogée dix ans plus tard, indument et …impunément.

L’article 7 des statuts actuels est inédit et dénote d’une compréhension assez primaire des choses, notamment lorsqu’il confond entre la stabilité des prix et la stabilité financière (!).

Pour plus de littérature sur les souffrances de l’actuel article 7 des statuts, je renvoie à mon article paru sur les colonnes du journal « Leaders » en mars 2016, sous le titre « Apologie pour la citadelle : propos pédagogique sur le projet de refonte des Statuts de la Banque Centrale de Tunisie » et dont je livre ici un petit extrait.

(…) « Rappelons d’abord ce que disent les Statuts actuels sur le mandat de la Banque centrale relatif à la politique monétaire.

Suivant l’article 33, « La Banque Centrale a pour mission générale de préserver la stabilité des prix ». L’alinéa premier de l’article 34 enchaine comme suit : « La Banque Centrale prête son appui à la politique économique de l’Etat ».

Ces dispositions définissent les objectifs de la politique monétaire « préserver la stabilité des prix » et « prêter appui à la politique économique de l’Etat ». Cela veut dire en substance que l’objectif de la politique monétaire, n’est pas unique ni indépendant et que l’Institution doit prendre en considération les objectifs assignés aux autres instruments de la politique économique et qui concourent tous à la réalisation de ce que les économistes appellent « le carré magique » : croissance de la production nationale, plein emploi, équilibre extérieur et stabilité des prix. Ces dispositions semblent d’ailleurs, avoir nourri le débat à l’occasion de la réforme de 2006, l’arbitrage ayant finalement profité à la cohabitation des deux objectifs.

Curieusement toutefois, le § commenté, pourtant lourd de charge, comme expliqué plus haut, ressurgit dans l’article 29 du projet, qui siège dans le chapitre intitulé « Rôle de Conseiller Economique et Financier du Gouvernement ».

Ce transport effectué dans l’indifférence, d’une disposition clé de la loi, car elle est au cœur du mandat de la Banque centrale, vers un chapitre réservé aux « attributions consultatives » de l’Institution, étonne car il dénature fondamentalement le sens de ladite disposition, son substratum. On n’appuie pas la politique économique de l’Etat par des conseils, des propositions et des alertes. Non. L’effet utile de l’article 34 des Statuts actuels, devenu l’article 29 dans le projet, est autre ; Il est aussi double.

D’abord, tirant les conséquences de la cohabitation des objectifs de préservation de la stabilité des prix et de soutien à la politique économique de l’Etat, l’article 34 met en place les canaux de communication entre les responsables de la politique monétaire (la Banque centrale) et les responsables de la politique économique (le Gouvernement) en conférant aux premiers l’initiative de proposer aux seconds toute mesure de nature à favoriser la réalisation des objectifs de la politique économique («carré magique») et d’être consultés toutes les fois que l’Exécutif délibère sur des questions intéressant la monnaie ou le crédit.

Ensuite, cet article organise la résolution des conflits qui pourraient naitre entre le Gouvernement et le Gouverneur lorsque la conduite des affaires monétaires et partant, la cohérence entre les deux politiques est menacée par le fait du Gouvernement. Arrive alors le § 3 qui permet au Gouverneur d’alerter le Président de la République et de solliciter son arbitrage, en sa qualité de Chef de l’Exécutif et de dépositaire de la prérogative constitutionnelle d’« orienter la politique générale de l’Etat». (…).

L’exposé des motifs passe sous silence cette modification pourtant capitale, comme si elle était de pure forme, alors qu’elle constitue la problématique essentielle autour de laquelle des arbitrages politiques devraient être faits. La question est au cœur du débat sur la gouvernance monétaire et au-delà, sur la gouvernance économique. La politique monétaire aura-t-elle pour seule préoccupation la stabilité des prix ? Ou devra-t-elle aussi intégrer dans ses paramètres, les autres objectifs de la politique économique ? L’enjeu est de taille, car dans le premier cas, la politique monétaire sera plus indépendante, alors que dans le second, elle le sera moins.

Pour nous, le premier § de l’article 29 en cause, devrait soit disparaitre complètement si l’intention du pays légal était d’affranchir la politique monétaire du souci de prendre en considération les objectifs assignés aux autres instruments de la politique économique, soit maintenu, mais alors en le réintégrant dans son siège d’origine, tout en établissant une hiérarchisation claire et non équivoque entre l’objectif de stabilité des prix et celui du soutien à la politique économique de l’Etat ».

Samir Brahimi