Suisse

Le tunnel du Grand-Saint-Bernard au centre d’un imbroglio international

L’intérieur du tunnel routier du Grand-Saint-Bernard. Alamy

Le tunnel routier du Grand-Saint-Bernard, qui relie la Suisse et l’Italie, est mal en point. Mais la contribution italienne pour les travaux de rénovation tarde. Dans le pire des cas, c’est l’avenir même du tunnel qui est en danger.

Ce contenu a été publié le 14 novembre 2023 – 13:00




préciséLien externe qu’il a été question de «la poursuite des travaux conjoints pour l’assainissement du tunnel». Plus direct, Alain Berset a déclaréLien externe qu’il existe «une grande préoccupation concernant le tunnel».

Alain Berset et Giorgia Meloni se sont rencontrés le 5 octobre dernier, en marge du sommet de la Communauté politique européenne à Grenade, en Espagne. © Keystone / Peter Klaunzer

Blocage à Rome

Les problèmes ont commencé en 2017, lorsqu’une poutre de 300 kilos s’est effondrée à l’intérieur de la partie italienne du tunnel. Celui-ci a été fermé pendant trois mois, le temps de réaliser des travaux de sécurité et de lancer le projet de restauration de la dalle de ventilation. Coût des travaux: 52 millions de francs, à répartir à parts égales entre l’Italie et la Suisse. Mais si tout se passe bien au nord des Alpes, à Rome, le dossier est bloqué.

«Nous nous battons depuis 2017, déclare Olivier Français, président de la société qui gère la portion suisse du tunnel. En silence, parce que nous sommes discrets. Et même maintenant, je marche sur des œufs, car je ne veux pas provoquer Rome.»

L’affaire est compliquée et implique pléthore d’organismes publics et paraétatiques. Mais surtout, elle met en cause le gouvernement italien, qui n’a pas su faire face au problème.

Le route couverte précédant le tunnel, côté suisse. Jon Ingall / Alamy

L’Italie n’a jamais payé les 26 millions destinés au chantier. L’enjeu n’est cependant pas uniquement financier. La concession pour la gestion de l’infrastructure doit être renouvelée et si rien n’est fait, les perspectives sont catastrophiques. «Si la situation n’est pas débloquée, les conditions de sécurité ne seront plus réunies et nous serons contraints de fermer le tunnel», s’alarme Olivier Français.

Dossier kafkaïen

Côté suisse, le tunnelLien externe est géré par la Société Tunnel du Grand-Saint-Bernard SA (TGSB), dont les principaux actionnaires sont les cantons de Vaud et du Valais, ainsi que la ville de Lausanne. Côté italien, il s’agit de la Società Italiana per il Traforo del San Bernardo Spa (SITRASB), dont la région autonome de la Vallée d’Aoste détient 63,50%. Les deux sociétés sont actionnaires à parts égales de la Société Italo-Suisse d’Exploitation SA (SISEX), qui gère le tunnel, y compris son entretien, sur la base de la concession signée par les deux pays et des règles établies en 2004 par la Communauté européenne.

Le problème est que la convention bilatérale expire en 2034. Une garantie insuffisante pour obtenir un crédit bancaire et amortir les investissements des chantiers de plusieurs millions – l’actuel, et ceux qui seront ouverts dans les années à venir. Du côté suisse, il n’y a pas de résistance à renouveler l’accord jusqu’en 2070. C’est du côté italien que la situation est problématique.

Le dossier est bloqué à Rome depuis plusieurs années, et récemment la Commission européenne est entrée en jeu. Mais où se trouve le dossier à Bruxelles? Le président de la SITRASB, Edi Avoyer, l’ignore et indique avoir à plusieurs reprises tenté d’obtenir cette information. En poste depuis 2022, il a hérité d’un dossier kafkaïen. «L’approche romaine est différente de l’approche suisse et l’instabilité des gouvernements italiens n’arrange rien», commente le Valdôtain.

Olivier Français confirme, et en profite pour enlever un caillou de sa chaussure. «Il n’est pas toujours facile de travailler de l’autre côté de la frontière, dit-il. En Suisse, les réglementations sont plus simples et, paradoxalement, un chantier y coûte moins cher. En Italie, la cascade de réglementations complique les choses.»

Une commission italo-suisse, composée de personnalités administratives et techniques des deux pays, se réunit une fois par an pour discuter du tunnel. La dernière réunion a eu lieu en octobre 2022. Mais on ne sait pas quand se déroulera la prochaine. «Elle n’a pas été convoquée cette année, car le gouvernement italien doit procéder à de nouvelles nominations; pourtant nous avons insisté», révèle Edi Avoyer.

En Italie, il est impossible d’obtenir cette information, tout le monde se renvoyant la balle, tant dans la Vallée d’Aoste que dans la capitale romaine.

Des personnes bien informées affirment qu’en Suisse, le conseiller fédéral Albert Rösti, qui dirige le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), est déterminé à résoudre cette énigme. Mais aujourd’hui, même le conseiller fédéral préfère garder le silence sur le gâchis du tunnel du Grand-Saint-Bernard.

La route du col du Grand-Saint-Bernard. Berthold Steinhilber / Keystone

Optimisme prudent

Olivier Français, est toutefois satisfait. «Nous avons perdu au moins trois ans, mais depuis 2022, nous avons réussi à gravir les échelons du pouvoir. Maintenant, le dossier est entre les mains des gouvernements, et non plus entre les mains des bureaux techniques et juridiques», se réjouit le président de TGSB.

Edi Avoyer affiche pour sa part un optimisme prudent. «Ces derniers mois, il y a eu une accélération; le gouvernement actuel semblerait chercher une solution», déclare-t-il, tout en soulignant que le conditionnel est de rigueur, compte tenu du passé.

Le président de la SITRASB indique avoir demandé au gouvernement italien un «financement-relais» pour au moins respecter l’engagement pris sur les travaux en cours. Mais Edi Avoyer prévient que si la situation n’évolue pas, l’entreprise qu’il dirige sera contrainte de saisir le tribunal administratif.

L’entrée de la route couverte précédant le tunnel, côté suisse. Keystone / Maxime Schmid

Et même dans ce cas, les délais seront longs. Selon un rapport de l’Observatoire des comptes publics italiens de l’Université catholique de Milan, la procédure dure en moyenne deux ans et trois mois en première instance, et deux ans en seconde instance.

Traduit de l’italien par Olivier Pauchard 

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