Suisse

Des petits drones pour inspecter les stocks de matières premières

En quelques minutes, le drone peut inventorier en les scannant le volume de tous les stocks déposée en vrac dans un immense entrepôt de matière premières. TINAMU

Aujourd’hui, les drones sont devenus bien plus que des jouets, des espions ou des machines à tuer. Ils témoignent de l’ère de l’automation industrielle. Exemple d’une start-up suisse qui les envoie faire des inventaires de matières premières.

Ce contenu a été publié le 29 août 2023 – 15:15




TinamuLien externe, start-up issue de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), qui fournit le software de ces drones inspecteurs. La Suisse est déjà connue pour ses fabricants de drones, mais on sait moins qu’on y écrit aussi des logiciels de vol très performants. C’est le créneau de Tinamu, choisi dès le départ, avec l’idée «de ne pas dépendre d’un fabricant en particulier, mais d’être capable d’automatiser des drones de toutes marques», précise Denis Libouton.

De toutes marques, mais désormais, ce seront d’abord des Parrot, et plus précisément le modèle ANAFI Ai, qui utilise le réseau 4G comme système de transmission. Cette machine que l’on trouve dans le commerce pour 4 à 5000 francs peut ainsi éviter les interférences quand elle vole à proximité de structures métalliques – ce qui est bien pratique pour inspecter l’intérieur d’un hangar.

L’envol

Au mois de mai dernier, Tinamu annonce la signature d’un partenariat technologique avec la marque française. Parrot, c’est le premier fabricant à avoir proposé, dès 2010, un drone-jouet commandé par smartphone. Aujourd’hui, l’entreprise s’est spécialisée dans les drones professionnels et militaires. Elle réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 40 millions d’euros et emploie quelque 170 personnes.

Et puis en juin, Tinamu et ses dix salariés annoncent une levée de capital d’un million de francs suisses pour poursuivre leur expansion. C’est que la start-up n’avait pas attendu Parrot pour enregistrer ses premiers succès. Un peu par chance, elle a déjà réussi à mettre un pied dans la porte d’un des géants mondiaux des matières premières, Trafigura, dont le centre opérationnel est à Genève.

«Par notre réseau, nous avions entendu dire que Nyrstar, filiale de Trafigura cherchait une solution d’inventaires pour ses stocks», raconte Denis Libouton. Nyrstar, groupe de fonderie et de commerce de métaux, est un des leaders mondiaux du zinc et du plomb, et traite aussi le cuivre, l’or ou l’argent. Les Suisses vont donc présenter leur solution dans l’entrepôt de la multinationale au port d’Anvers, et elle est acceptée.

«Nous avons choisi le système de Tinamu en raison de sa vitesse et de sa précision», nous confirme (par écrit) un porte-parole de Nyrstar. L’entreprise avait testé d’autres solutions, comme des relevés photographiques ou au radar, mais elles généraient trop de données, difficiles à traiter rapidement. «Comme la solution de Tinamu est automatisée, notre personnel sur place n’a pas besoin d’apprendre à piloter des drones, et comme ceux-ci ne dépendent pas du GPS, ils peuvent opérer à l’intérieur d’un entrepôt couvert», ajoute le porte-parole.

Il nous confirme également que Nyrstar «prévoit de travailler avec Tinamu sur d’autres sites dans le monde».

Coup d’essai, coup de maître

Et ce n’est pas tout: avant même de décrocher la timbale avec la multinationale, Tinamu avait déjà convaincu – sans vraiment le chercher – un poids lourd en Suisse. Avant d’aller présenter son système chez Nyrstar à Anvers, la start-up avait besoin de le tester en grandeur nature. «Nous sommes donc allés voir une société de génie civil et matériaux de construction près de Zurich et notre solution les a tellement impressionnés qu’ils ont tout de suite dit ‘on veut la même’!», raconte Denis Libouton.

La société, c’est Kibag, un des leaders suisses du secteur. Sur son site de Regensdorf, près de Zurich, elle recycle chaque année un million de tonnes de matériaux issus des chantiers de démolition pour en faire des graviers pour la construction. Ici la gestion des stocks est essentielle, notamment pour savoir combien de place il reste pour accueillir de nouveaux matériaux et quel volume est recyclé, prêt à être vendu.

«Avant, l’estimation se faisait à l’œil, puis on reportait les chiffres sur des feuilles excel. C’était fastidieux, cela prenait du temps et ce n’était pas précis. Nous avions toujours des doutes», raconte Urs Fischer, qui dirige le site de Kibag à Regensdorf. Pour lui et son équipe, le petit drone qui fait tout ce travail automatiquement et envoie des données précises et en temps réel directement sur les écrans et vite devenu indispensable. Au point qu’il n’imagine plus le fonctionnement de son installation sans lui.

Nyrstar, Kibag: à ces deux gros clients est venu s’ajouter cet été Axpo Tegra aux Grisons. Cette filiale du géant énergétique produit des copeaux de bois pour centrales électriques. Le système mis au point par Tinamu a du potentiel. Et dans un domaine d’avenir: celui de la transition énergétique.

Car les métaux qu’elle inventorie sont indispensables notamment aux batteries des voitures électriques. L’approvisionnement et le recyclage de ces métaux désormais qualifiés de «critiques» et «stratégiques» est une préoccupation majeureLien externe de l’Union européenne. Et leur circulation se fera en flux tendus – d’où l’importance de la gestion des stocks.

Vers les drones autonomes

«Le rôle des drones, et leur autonomie vont continuer de progresser», nous confirme (par écrit) Alcherio Martinoli, professeur associé au Laboratoire des systèmes intelligents distribués et des algorithmes de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Pour lui, l’utilité des drones n’est déjà plus à démontrer dans le cadre industriel et professionnel. D’ailleurs, «l’industrie l’a bien compris et devrait continuer d’exploiter cette technologie, qui, en plus d’offrir de meilleures observations, permet aussi de protéger le personnel». Grâce aux drones, les gens n’ont en effet plus systématiquement besoin de s’exposer à des situations ou des environnements qui peuvent être dangereux.

TINAMU

Les drones seront aussi toujours plus capables de se baser sur leurs propres capteurs plutôt que sur une source externe comme le GPS pour se localiser, relève encore le professeur. «On développe aujourd’hui de nouveaux capteurs, avec des propriétés intéressantes, comme les caméras à événements, fournissant uniquement les informations essentielles au drone, plutôt que toute l’information contenue dans une image classique».

Mais il reste des obstacles à franchir, avertit Alcherio Martinoli: «N’utiliser que des capteurs embarqués requiert de lourds calculs et implique de travailler avec de nombreuses incertitudes». Ainsi, dans un espace partagé entre humains et robots l’automatisation des tâches devient plus difficile, parce que l’environnement devient plus dynamique mais aussi à cause de consignes de sécurité bien plus strictes.

Quoi qu’il en soit, les drones sont en marche – ou plutôt en vol, et de nombreux chercheurs travaillent sur leur engagement sur des sites comme les navires, les éoliennes, les conduites forcées de barrage, les pylônes électriques, les ponts, les sites nucléaires ou les monuments historiques.

Des drones pour inspecter les structures en acier

Lignes à haute tension, ponts, éoliennes, ossatures de bâtiments industriels: l’acier est très présent dans nos sociétés et la résistance des structures qu’il forme ou soutient est évidemment un enjeu vital.

Dans ce domaine aussi, les drones pourraient mener des inspections rapides et efficaces, alors que les méthodes traditionnelles nécessitent généralement des équipements lourds pour des résultats qui restent imprécis.

En collaboration avec le Laboratoire des structures d’acier résilientes de l’EPFL, l’équipe de professeur Alcherio Martinoli a lancé en juin 2022 un projet de rechercheLien externe sur deux ans. Objectif: proposer des développements fondamentaux et des méthodes utilisant des drones pour acquérir des données sur une structure en acier de manière autonome et fiable et ainsi en faciliter l’inspection sans personnel. Cela implique le développement de stratégies de navigation pour les drones et de techniques basées sur les données qui permettent de voir si une structure en acier est déformée ou si elle subit des contraintes excessives.

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Les drones qui vont au feu

Autre exemple d’utilisation inattendue des drones: la lutte directe contre le feu. Certes, on leur fait déjà hisser des lances à incendie sur des gratte-ciel ou larguer des agents d’extinction pour empêcher les feux de forêt de se propager – mais toujours à une distance sûre des flammes.

Après MEDUSA, le drone amphibie, les chercheurs de l’Empa et de l’Imperial College London présentent FireDroneLien externe, le drone résistant à la chaleur, qui peut fournir des informations initiales importantes à partir de points chauds dangereux. En collaboration avec les pompiers, les scientifiques ont mis au point un matériau isolant capable de résister à des températures élevées. Ils se sont inspirés de la nature et d’animaux tels que les manchots et les renards arctiques qui vivent dans des températures extrêmes grâce à des couches de graisse ou de fourrure.

Ici, il s’agit plutôt d’un aérogel, matériau ultraléger presque entièrement constitué de pores remplis d’air et enfermés dans une substance polymère, du même type que ceux qu’étudie la NASA pour isoler les combinaisons spatiales.

Un prototype du FireDrone a déjà donné de bons résultats lors des premiers tests effectués sur la piste de vol de l’Empa à Dübendorf, près de Zurich. Il a également été testé à plusieurs reprises à proximité d’un feu de gaz dans une grande cuvette métallique. En théorie, le drone pourrait également être utilisé dans des environnements extrêmement froids, comme dans les régions polaires et sur les glaciers.

Des discussions sont déjà en cours avec des partenaires industriels potentiels pour poursuivre le développement du prototype.

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