Belgique

« Vu l’escalade de la violence à Bruxelles, en tant que policier, je dois adapter mon comportement »

Lors de vos patrouilles, pour quels types de faits êtes-vous amené à intervenir ?

Pour tout type de faits. Je pratique l’intervention de première ligne donc ça peut concerner une personne tombée de son lit qu’on doit relever, une agression, des nuisances, de la consommation de stupéfiants, une personne agressive…

Faites-vous souvent face à des situations tendues ?

Evidemment ! Quand c’est tendu, dans la toute grande majorité des cas, cela concerne des stupéfiants, de l’alcool ou une personne au caractère explosif. En 20 ans, j’ai vu la relation entre la police et les citoyens devenir de plus en plus tendue. Il y a moins de respect aujourd’hui.

Avez-vous déjà essuyé des coups ?

Bien sûr. Pour rétablir l’ordre public, parfois, il suffit de discuter pendant une heure. A d’autres moments, c’est inutile car la personne continue de nous cracher dessus, de nous insulter. Et quand vous la privez de liberté, il arrive qu’elle se débatte, qu’elle donne des coups. Je me suis déjà retrouvé avec un doigt ou une côte cassés. On est maintenant mieux protégé, grâce notamment au gilet pare-balles. Mais il est clair que ces situations sont parfois difficiles à gérer parce qu’on est dans l’espace public, qu’on est filmé…

Quand vous intervenez dans un quartier plus sensible et que les jeunes sont présents en nombre, vous sentez-vous en insécurité ?

La crainte doit être bannie. Il faut discuter avec les meneurs, ne pas montrer qu’on a peur, tout en étant bien conscient des conséquences si la situation s’échauffe… Même quand j’arrête une personne, je lui montre du respect et je discute. Il y a deux-trois ans, nous étions deux patrouilles face à un début d’émeute dans une cité. Un gars influent, la trentaine, a débarqué et a calmé tout le monde. Ce gars, je l’avais pourtant déjà arrêté plusieurs fois et on s’était même battu un jour. Ce soir-là, il m’a expliqué être devenu papa, s’être rendu compte des délits qu’il avait commis et vouloir maintenant que le calme règne dans la cité. Sans son intervention, les conséquences auraient pu être différentes pour nous, mais aussi pour le quartier car les renforts seraient arrivés en force.

Mais, pour le même prix, l’individu aurait pu mettre de l’huile sur le feu…

Effectivement. Quand des jeunes vous jettent des pierres, par exemple, il est inutile d’essayer de parlementer car ils sont déjà dans l’attaque. On voit une escalade de la violence. Il y a dix ans, quand j’étais de garde pour le Nouvel an, on nous appelait pour des tapages, des bagarres ou des états d’ébriété et, quand on arrivait, dans des cafés par exemple, les gens dansaient avec nous. Depuis trois ou quatre ans, on doit systématiquement enfiler la tenue de RoboCop car on sait qu’on va se faire canarder. Un soir, notre véhicule était près d’une cité et une trentaine de gars nous ont attaqués avec des feux d’artifice. On avait l’impression d’être à Bagdad. A deux-trois mètres de nous, ils peuvent nous blesser très fortement, voire nous tuer avec de tels explosifs.

Illustration picture shows police, as small riots break out, in the streets of Brussels city center, after Morocco lost the semi-final match of Morocco vs France, at the FIFA 2022 World Cup, on Wednesday 14 December 2022. BELGA PHOTO JAMES ARTHUR GEKIERE

Comment les raisonner ?

Il faut leur demander s’ils veulent vraiment cela dans leur quartier. Car même ceux qui commettent des délits sont très protecteurs de leur quartier. La répression doit être très stricte, mais il faut travailler en amont avec les agents de quartier, les éducateurs de rue pour aider ces jeunes, mais aussi leur expliquer le travail des policiers, qui consiste avant tout à assurer la sécurité de tous… Mais il est évident que le dialogue avec les policiers en intervention est difficile. Imaginez si on vient de leur saisir des stupéfiants, les jeunes ne seront pas dans un état d’esprit constructif… Les agents de quartier, eux, les connaissent, ainsi que leurs parents. Ils sont moins dans la répression que nous.

Ces jeunes se plaignent des délits de faciès et des contrôles d’identité à répétition. Les policiers doivent-ils revoir leur approche ?

Les policiers doivent répondre à une attente de sécurité des citoyens. Si nous sommes appelés pour du tapage ou pour des problèmes de stupéfiants et que, dans le quartier, nous tombons sur un jeune connu pour de tels faits, nous allons évidemment le contrôler. Cela répond aux indices de temps et de lieu. S’il vient d’être contrôlé par une autre patrouille, le dispatching ne nous a pas forcément prévenus, et je peux comprendre que ça soit énervant pour lui. Ce que les policiers doivent éviter, c’est supposer que le gars doit être contrôlé juste parce qu’il porte un bob et un sac banane. Même dans les cités difficiles, les individus qui créent des délits et génèrent de l’insécurité représentent une minorité.

Le ton employé par les policiers lors des contrôles est aussi pointé du doigt…

Vu l’escalade de la violence, je dois adapter mon comportement. Quand je fais un contrôle, je suis d’abord très strict, car je dois avant tout assurer la sécurité de mon collègue et la mienne. On ne sait pas toujours à qui on a affaire. Pour la personne au volant, par exemple, ça peut paraître agressif car je demande d’enlever les clés, de montrer les mains. Evidemment, si le conducteur n’a rien à se reprocher, c’est très impressionnant. Après avoir opéré le contrôle, il faut donc bien expliquer les raisons de nos injonctions. Et là, la pression retombe. Moi, je garde toujours à l’esprit qu’un collègue s’est fait tirer dessus, il y a quelques années, lors du contrôle d’un véhicule…

Avez-vous déjà été attiré dans un guet-apens ?

Oui, je l’ai vécu. Quand on arrive sur place, on se fait caillasser et on bat en retraite. Mais ça arrive moins qu’avant dans ma zone. Il faut toujours se demander quelles sont les raisons. Généralement, c’est qu’un événement s’est produit, comme lorsqu’un policier a dépassé les limites et que les images ont circulé dans les médias.

Les situations dans votre zone sont-elles moins problématiques que dans des communes comme Molenbeek ou Anderlecht ?

Elles sont tout aussi graves mais moins récurrentes car il y a moins de monde à gérer. Quand il y a des problèmes, c’est souvent avec des personnes extérieures au quartier car, comme je le disais, les jeunes des quartiers sensibles vont plutôt protéger leur zone de vie.

Y a-t-il des zones de non droit à Bruxelles ?

Ca, je ne dirais pas. Mais, dans certains quartiers, mieux vaut que les policiers n’interviennent pas seuls. On n’atteint pas le niveau de dangerosité de cités d’autres pays, mais on doit faire attention car on s’en rapproche. S’il n’y a pas assez de renforts dans la zone, les policiers ne vont pas dans certaines cités car ils doivent avant tout assurer leur intégrité physique. Tout dépend aussi de l’heure d’intervention, des faits pour lesquels on a été appelé, de la colère des jeunes…

Comment déterminer le moment où vous devez faire appel à la contrainte ?

Quand une personne ne réagit pas à nos injonctions, on doit faire usage de la contrainte. Cela doit être proportionné et il doit y avoir des indices de danger, on ne sort pas son arme comme ça. Dans ma carrière, j’ai dû sortir maximum dix fois mon arme contre quelqu’un. Nous sommes formés pour pouvoir déterminer la manière de réagir.

Bruxelles - Siege IPM: Christophe Dewigne - Policier de la zone Montgomery. A Bruxelles le 11 avril 2023
Christophe Dewigne ©JC Guillaume

Estimez-vous être bien formé ?

Après avoir été formé à l’école de police, une fois qu’on entre dans une zone, on a un entrainement tous les deux mois, ce qui n’est pas assez. D’autant que, dans certaines zones, c’est encore moins. On s’entraîne aussi au tir, dans un stand, au moins tous les 15 jours. Ces situations sont loin de refléter la réalité, mais c’est utile. On reçoit aussi des heures à allouer au sport. Mais on est parfois en manque de personnel donc l’entrainement physique peut passer à la trappe car les patrouilles sont prioritaires.

L’aspect psychologique face à des personnes nerveuses ou menaçantes est important aussi…

Oui, nous sommes aussi formés à cela. Mais l’expérience dans ce cas-ci est prépondérante, d’où l’importance de mettre un nouveau policier au côté d’un plus expérimenté. Un exemple : ce n’est pas parce qu’une personne d’origine africaine vous parle très fort qu’elle vous agresse. Mais ça, le petit nouveau ne le sait pas forcément, et il peut se sentir en insécurité. C’est tellement subjectif qu’il est important d’avoir les conseils d’un plus ancien.

Avez-vous déjà vu un collègue déraper ?

J’ai déjà senti des collègues sous tension face à des individus très nerveux. Là, c’est mon devoir de dire « je prends le relais ». On reste humain… Et quand il y a effectivement violence d’un policier, ça doit être jugé par un magistrat.

Et vous, avez-vous déjà dérapé ?

Non, mais j’aurais pu. Très jeune policier, j’avais un an d’expérience et, alors que ma maman était gravement malade, le gars ne faisait que l’insulter, me cracher dessus, me taper… Un collègue m’a bien encadré et je me suis retiré de l’intervention.

Quand vous rentrez chez vous après une soirée mouvementée, trouvez-vous le sommeil ?

Je me refais le film de la soirée. Mais le plus difficile, ce sont les affaires avec des décès d’enfants. En étant parent, c’est dur de s’endormir. Mais on est bien encadré par la cellule psycho-sociale. Et on peut en discuter avec le collègue présent lors de l’intervention.

Qu’est-ce qui vous motive dans votre boulot ?

Quand on retrouve un enfant disparu, quand on arrête un individu recherché, quand notre hiérarchie nous félicite, quand des gens nous remercient en nous croisant : c’est pour tout ça que je fais ce métier.