International

Les Vingt-sept font un pas pour “bâtir la défense européenne” et entament un « update géopolitique » de leurs politiques communes

L’enjeu majeur ce rendez-vous était après tout la validation du plan d’achat commun de munitions, qui doit permettre d’accélérer la livraison d’obus à l’Ukraine (1 million en douze mois) et le rythme de production de l’industrie de défense européenne. Négocié en quelques semaines à peine, ce projet inédit avait été déjà validé lundi par les ministres des Affaires étrangères, de sorte qu’il ne restait plus aux dirigeants qu’à donner leur bénédiction.

Ce qu’ils ont fait, sans hésiter. Surtout après avoir écouté parler Volodymyr Zelensky, intervenu par vidéoconférence. Le président ukrainien voyageait dans un train, la connexion était instable. Mais l’émotion du chef de guerre était palpable. Après s’être rendu à Bahkmout, il était jeudi en déplacement dans la région de Kherson, quotidiennement bombardée par la Russie. “Il était marqué par la situation dramatique sur le terrain”, confie un insider. Outre des obus, M. Zelensky a demandé aux Européens des missiles à longue portée et des avions de chasse modernes – que les Occidentaux ont rechigné jusqu’ici à livrer.

Guerre en Ukraine: Zelenky demande aux Européens des missiles et des avions de combat

En matinée, Antonio Guterres, secrétaire général de l’Onu, avait, lui, peint un sombre tableau de l’impact mondial de la guerre en Ukraine sur prix de l’énergie ou l’insécurité alimentaire – défis qui viennent d’ajouter à une crise climatique face à laquelle le Portugais a également tiré la sonnette d’alarme. De quoi renforcer le sentiment d’urgence des Européens pour aider l’Ukraine à gagner.

Cette semaine, l’UE a déboursé une nouvelle enveloppe de prêts à l’Ukraine de 1,5 milliard d’euros. La présidente de la Commission européenne a par ailleurs haussé le ton sur la question des enfants ukrainiens enlevés et déportés par la Russie vers son territoire. “C’est un rappel horrible des périodes les plus sombres de notre histoire. C’est un crime de guerre”, a déclaré la Ursula von der Leyen, annonçant qu’une conférence internationale sera organisée, en coopération avec la Pologne, pour “exercer une pression internationale afin que toutes les mesures possibles soient prises pour retrouver la trace de ces enfants”.

Une direction claire

“L’Europe n’a jamais été aussi claire sur la direction qu’elle veut prendre”, se félicitait un diplomate, soulignant que “vingt-sept pays démocratiques et souverains continuent d’agir de manière décisive et unifiée, sans aucun signe de fatigue”. En ce sens, l’enjeu du plan validé jeudi est aussi à terme “de bâtir une industrie de défense européenne”, a insisté M. De Croo. “C’est un pas supplémentaire, concret vers une réelle défense européenne”, a enchéri Charles Michel, président du Conseil européen.

Sommet européen: les traités commerciaux de l’Union européenne nécessitent une sorte d' »update géopolitique », selon Alexander De Croo

La Commission présentera une proposition pour accélérer la production de munitions, a annoncé la présidente Ursula von der Leyen. Un soutien financier sera apporté via le budget européen. “Il s’agit de construire, agrandir et réaffecter les installations de fabrication. Et de renforcer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en munitions”, a-t-elle expliqué.

Quant à la compétitivité des entreprises ou à la politique commerciale, ce sommet a acté la volonté de “faire un update géopolitique de ce qu’on fait”, a noté M. De Croo, constatant le besoin “d’un peu plus de stratégie et d’un peu moins de naïveté”. Cela marque donc le début d’une réflexion qui sera longue et certainement complexe.

… mais des divergences qui persistent

D’autant que certaines divergences persistent entre les Vingt-sept sur la manière concrète de faire face aux défis mondiaux, autant économiques que climatiques. Les Européens ont évité ce jeudi que les discussions dérapent sur la question du nucléaire, que le président Emmanuel Macron veut défendre comme une énergie de transition verte, alors que l’Allemagne refuse d’en entendre parler. La question a été évoquée, mais indirectement, au détour d’une discussion sur un sujet qui embarrasse Berlin : le sort des moteurs thermiques des voitures. Si ceux-ci devaient être interdits à partir de 2035, selon un texte-clé du plan climat européen, l’Allemagne a dû rétropédaler, en raison du blocage de l’un des membres de la coalition du chancelier Olaf Scholz.

Ainsi, Paris et Berlin pourraient-ils éventuellement négocier un compromis qui les arrange tous les deux. À savoir, lâcher chacun du lest, tant sur la question du statut du nucléaire, que sur celui des moteurs thermiques. Une “analogie” en ce sens a été faite. Une réunion bilatérale franco-allemande est prévue vendredi matin alors que les relations entre les deux pays sont tendues depuis des mois. “Sur le nucléaire, il y a des opinions très prononcées. Des pays qui sont idéologiquement contre, et de la même manière certains qui sont très favorables. La Belgique a, elle, une position très pragmatique”, a précisé quant à lui M. De Croo, expliquant qu’il s’agit de prendre en compte les bénéfices du nucléaire, tout en pariant sur les technologies du futur, produisant moins de déchets.

Quoi qu’il en soit, sur la lutte contre le changement climatique, l’UE “ne doit pas changer de cap”, a insisté le Premier ministre belge, en référence aux tentations à Berlin, mais aussi à Rome, de pousser à la baisse les ambitions européennes. Antonio Guterres a même plaidé pour agir davantage, de manière déterminante : “Nous sommes proches du point de basculement”, qui rendra impossible de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré.