International

”Je ne regrette pas mon acte” : Justyna, première militante condamnée pour avoir aidé une femme à avorter en Pologne, poursuit son combat

Les Polonaises avaient “plus de droits en 2004”, lorsque le pays est entré dans l’Union européenne (UE), “qu’aujourd’hui, en 2023. C’est ridicule”, pointe l’eurodéputé polonais Robert Biedron, issu du groupe des Socialistes et Démocrates européens, qui a organisé mardi un déjeuner en présence de Justyna Wydrzyńska et de Natalia Broniarczyk.

Toutes deux sont des piliers du collectif Avortements sans frontières, créé en 2019 pour informer les femmes polonaises sur l’IVG et les aider à y avoir recours, soit avec des médicaments soit dans d’autres États de l’UE. Une mission cruciale, dans un pays qui interdit pratiquement l’avortement, et que Justyna prend à cœur. En février 2020, lorsqu’elle a pris connaissance du cas d’Ania, une Polonaise enceinte de douze semaines, coincée avec un mari violent en pleine pandémie de Covid-19, désespérée au point de se faire du mal, l’activiste n’a pas hésité à agir. Vu l’urgence, elle lui a envoyé elle-même des pilules abortives, que le partenaire d’Ania a découvertes. Alertée, la police a saisi les médicaments et s’est tournée vers Justyna. Car la loi polonaise criminalise non pas l’acte en lui-même, mais toute personne qui aide à l’accomplir.

Condamnée pour avoir sauvé une vie

”Lors de ma condamnation, le tribunal a décidé que sauver la vie d’Ania était socialement préjudiciable”, regrette Justyna, qui fera appel de ce verdict et est prête à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. “Je ne regrette pas mon acte”, a-t-elle poursuivi devant le Parlement européen, où elle était invitée mardi à prendre la parole en commission Droits des Femmes, dirigée par Robert Biedron.

« J’ai placé une sonde de Foley dans le col de l’utérus. (…) J’ai porté ce cathéter pendant des jours. Quand il est tombé, je l’ai remis dans le col de l’utérus. Je l’ai fait dans la salle de bain, en silence »

Non, ce que l’activiste regrette c’est de ne pas avoir pu éviter à Ania de vivre l’horreur. La semaine dernière, cette femme a accordé pour la première fois un entretien à la presse. Son récit, publié dans Oko. press, fait froid dans le dos. On apprend à quel point sa grossesse l’a rendue malade, sans que les médecins n’agissent. Mais aussi ce qu’elle a dû s’infliger, pour y mettre un terme. “J’ai d’abord essayé de dilater le col de l’utérus avec ma main. J’ai entendu dire que les sages-femmes accélèrent parfois le travail de cette façon. […] J’ai attendu des contractions, mais elles ne sont jamais venues. Alors j’ai placé une sonde de Foley dans le col de l’utérus. […] J’ai porté ce cathéter pendant des jours. Quand il est tombé, je l’ai remis dans le col de l’utérus. Je l’ai fait dans la salle de bain, en silence”, raconte la Polonaise, qui a fini à l’hôpital, avec une infection.

Sentiment de solitude

Justyna laisse s’échapper quelques larmes quand elle évoque ce témoignage. Car le sentiment de solitude, c’est aussi ce qu’elle a senti lorsqu’elle a décidé d’avorter en 2006. Diplômée en chimie, l’ingénieure est devenue activiste, et n’a plus quitté le combat. “Avortement Sans Frontières a besoin d’argent”, a-t-elle déclaré ouvertement devant les eurodéputés, les appelant aussi à augmenter la pression sur le gouvernement polonais.

Le collectif doit aider toujours plus de femmes à recourir à l’IVG depuis que la Cour constitutionnelle polonaise, inféodée au pouvoir, a même écarté, en 2020, cette pratique en cas de malformation du fœtus. Ce fut l’effet le plus concret de la destruction de l’état de droit en Pologne, que l’UE peine toujours à enrayer.

La Pologne marche dans les pas de Viktor Orban, l’Europe déchante

En théorie, les seules exceptions restent les IVG en cas viol ou de danger pour la santé de la mère, mais elles sont la plupart du temps ignorées par les médecins, qui préfèrent ne pas s’attirer d’ennuis, comme l’illustre le cas d’Ania. Résultat : au moins six femmes sont décédées depuis 2020, s’étant vues refuser une IVG. “Les docteurs attendent. Ils attendent que la vie, non pas seulement la santé, de la mère soit en danger. Ils attendent que le fœtus meure de lui-même, quitte à risquer une septicémie”, dénonce Natalia. Car le parti Droit et Justice au pouvoir vante sa position dure en matière d’IVG, se servant de la justice comme outil de pression.

Toujours plus de besoins

Dans ce contexte, depuis 2020, Avortement Sans Frontières a permis à plus de 100 000 Polonaises d’accéder à un avortement (soit une moyenne de 107 par jour). La plupart ont eu recours aux médicaments, efficaces jusqu’à douze semaines de grossesse. Plus de 2000 femmes ont dû être accompagnées à l’étranger dans les pays où l’IVG est permise pendant le deuxième et le troisième trimestre, comme en Belgique, en France et surtout aux Pays-Bas. Pendant ce temps, tous les prix (pilules, soins, trajets, hôtels…) explosent, sous l’effet de l’inflation – qui exacerbe aussi la pauvreté… Parfois “nous devons financer un déplacement à 100 %”, tant la personne manque de moyens, nous explique Justyna. “Cela prouve que si vous n’avez pas d’argent, vous ne devriez pas être forcée à avoir un enfant.”

L’Union européenne s’est gardée jusqu’ici de se mêler des droits reproductifs, qui restent une compétence des États membres. Mais le groupe S&D fera de la défense et de l’harmonisation des droits des femmes dans l’UE un projet politique phare en vue des élections européennes de 2024, a-t-on appris mardi. Objectif : forcer la prochaine Commission européenne à agir sur ce terrain. Ce n’est pas gagné. “Mais je ne peux pas imaginer qu’on ait des standards communs en matière de roaming ou des plaques d’immatriculation, et pas pour les droits des femmes”, dénonce M. Biedron. Il cite également une étude de l’Onu, qui estime qu’il faudra encore 300 ans au niveau mondial, et 60 en Europe, avant d’atteindre l’égalité des genres. “On risque donc d’atterrir sur Mars avant” que les femmes aient les mêmes droits que les hommes, dénonce l’eurodéputé polonais.

À regarder également sur LaLibre.be