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En Ukraine, les tracas d’une mobilisation qui s’accélère : « Beaucoup m’appellent pour savoir l’attitude à adopter en cas de convocation »

Les autorités ukrainiennes ont immédiatement décrété, au début de l’invasion russe, une mobilisation à la fois partielle et permanente, interdisant aux hommes en âge de combattre de quitter le pays, sans pour autant tous les mobiliser d’un coup. Mais, alors que l’armée russe passait au début de l’année à l’offensive dans la région de Donetsk et que Kiev évoque de plus en plus ses propres projets de contre-offensive, le rythme de cette mobilisation se serait, d’après des commentaires sur les réseaux sociaux, accéléré ces dernières semaines.

Des rumeurs que Kiev refuse de confirmer ou de démentir, alors que les autorités gardent le secret sur les pertes de l’armée ukrainienne autant que sur le nombre d’hommes levés depuis le début de l’invasion.

En Ukraine, les femmes partent aussi à la guerre

“Je pense qu’il y a eu [ces dernières semaines] une accélération de l’activité des centres de recrutement”, juge pourtant Andrii Novak, un avocat ukrainien du cabinet Miller Law Firm, qui s’est spécialisé depuis le début de l’invasion dans les affaires militaires. L’homme a en effet observé, depuis le début de l’année, une augmentation du nombre de consultations concernant spécifiquement la question de la mobilisation.

“Durant l’été et l’automne, j’avais beaucoup de questions de soldats blessés qui voulaient savoir quoi faire une fois sortis de l’hôpital, en termes de bureaucratie, explique l’avocat. À l’heure actuelle, je dirais qu’entre 60 % et 70 % des appels que je reçois concernent l’attitude à adopter si l’on reçoit une convocation.”

“Cela a augmenté. Aujourd’hui, la majorité des requêtes concernent le service militaire”, confirme Yulia Morii, directrice de l’ONG Iouridichna Sotnya, spécialisée depuis 2014 dans l’aide juridique aux soldats. La hotline de l’organisation a enregistré, au mois de janvier, 394 appels au sujet de la mobilisation (et plus de 3 700 en totalité), contre seulement 129 six mois plus tôt.

Des stratégies pour échapper à la mobilisation

Après plus d’un an de guerre, l’effort de mobilisation ukrainien doit aussi composer avec la fatigue grandissante d’une partie de la population. “Il y a une baisse de l’enthousiasme, bien sûr, note Andrii Novak. Au début, tout le monde voulait défendre sa ville, mais pensait aussi pouvoir rentrer chez soi une fois que cela serait fait.”

L’instauration de la loi martiale dans le pays signifie aussi que l’enrôlement dans l’armée ukrainienne se fait aujourd’hui jusqu’à une victoire à l’horizon encore flou. Conséquence : alors que les hommes en âge de combattre ont toujours l’interdiction de quitter le pays, des filières se sont développées pour leur permettre de passer la frontière clandestinement. Autre méthode dont les médias ukrainiens se font régulièrement l’écho, le versement d’un pot-de-vin à un officiel ukrainien afin d’être déclaré inapte – 1 500 dollars au membre d’une commission médicale, dans une affaire révélée dans la région de Lviv en février.

Wife Natalia cries on the grave of her husband and Ukrainian serviceman Andrii Neshodovskiy during the funeral ceremony at the cemetery in Kyiv, Ukraine, Saturday, March 25, 2023. (AP Photo/Evgeniy Maloletka)
Natalia pleure la mort au combat de son mari Andrii Neshodovskiy, à Kiev le 25 mars. ©Copyright 2020 The Associated Press. All rights reserved

Une bonne unité pour les motivés

Si certains tentent simplement d’échapper à la mobilisation, d’autres choisissent d’autres stratégies : “si tu reçois la convocation, tu ne peux pas choisir où tu seras envoyé”, note Serhii Barteniev, un ingénieur informatique de 39 ans. “Mais tu peux aussi trouver un contact dans une unité spécifique, obtenir de cette connaissance une lettre officielle disant que l’unité te réclame. Tu peux ensuite aller au commissariat militaire avec cette lettre pour rejoindre l’unité. Plusieurs de mes amis ont fait ça, et ceux qui ne l’ont pas fait ont fini dans de mauvaises unités”, explique cet homme, pour l’heure toujours dans le civil.

La méthode est courante, et même encouragée par certaines unités avides de recruter des hommes motivés. Exemple de la 47e brigade mécanisée, formée par des volontaires en mai 2022 : “on est passé de bataillon à régiment à brigade… un long et difficile chemin”, écrivait le 2 mars sur sa page Facebook Valériy Markus, le fondateur de l’unité. “Et, à chaque étape de notre croissance, la question des mesures de mobilisation a été un challenge particulier. On a tout fait pour que les commissariats militaires ne nous envoient pas des hommes à qui on a donné une convocation dans la rue, et il a fallu ensuite faire en sorte que les hommes que l’on avait sélectionnés nous soient envoyés depuis les centres d’entraînement.”

guillement

Rejoignez les brigades d’assaut du ministère des Affaires intérieures, nous garantissons des combats sur la ligne de front.

La méthode a même été reprise par le gouvernement ukrainien lui-même, qui a lancé au mois de février une grande campagne de recrutement encourageant à rejoindre huit brigades réunies sous le nom de “Garde offensive” – près de 30 000 personnes auraient, en quelques semaines, rempli le formulaire pour rejoindre l’une de ces brigades érigées en fer de lance de l’offensive à venir. “On insiste beaucoup sur le fait que tous ceux qui veulent rejoindre la Garde offensive doivent être des volontaires hautement motivés”, insiste Anastasia Pavlenko, capitaine et porte-parole d’une des brigades. Le site Internet de la campagne de recrutement n’y va lui pas par quatre chemins. “Rejoignez les brigades d’assaut du ministère des Affaires intérieures, nous garantissons des combats sur la ligne de front.”