International

En Inde, les Intouchables investissent les réseaux sociaux: “Le gouvernement ne s’en prend pas à nous directement, mais des trolls nous attaquent »

Issue de la communauté des Intouchables appelée aussi Dalits, Meena dirige une rédaction de 17 journalistes. “Nous avons des correspondants dans tout le nord de l’Inde, au Rajasthan, au Bihar, dans l’Uttar Pradesh et le Madhya Pradesh. Les autres sont à Delhi et ils peuvent rester en télétravail”, dit-elle pour expliquer le calme qui règne dans ses bureaux étroits et proprets.

Une ascension sociale exceptionnelle

Étonnant parcours que celui de cette dame qui est la première dans sa famille à avoir fait des études supérieures. “Mes parents ne sont jamais allés à l’école. Quand mon père nous a élevées avec mes deux sœurs, il était sûr d’une chose : ses filles allaient faire des études. ” Après le lycée, Meena entre à l’école de journalisme de l’Université publique Jamia Millia Islamia de Delhi en 2010 grâce notamment à la discrimination positive.

Son ascension sociale en dit long sur le paradoxe autour des Dalits, 75 ans après l’indépendance. La Constitution, qui proclame l’égalité des chances, combinée aux mesures de discrimination positive ont permis à Meena d’avoir une existence que ses parents n’auraient jamais espérée pour eux-mêmes. Elle emploie surtout des Intouchables et des reporters de basses castes.

Pourquoi le gouvernement indien tarde-t-il à actualiser le recensement de sa population, bientôt la plus nombreuse sur terre?

Victime de menaces

Dans le même temps, Meena et ses journalistes couvrent chaque semaine des agressions, des actes de barbarie ou des viols sur les Intouchables. Les crimes contre cette communauté ont augmenté de 17 % entre 2017 et 2021 avec 50 900 affaires par an, soit une plainte toutes les dix minutes. Les Indiens des castes supérieures déversent parfois un flot d’injures et de menaces contre Meena Kotwal sur les réseaux sociaux. Fin 2021, elle a été menacée de mort après avoir brûlé le Manusmriti, un texte vieux de presque 2000 ans qui codifie les castes dont il délimite leur fonction respective dans le corps social. L’Onu a écrit au gouvernement indien en février 2022 pour demander que la journaliste soit protégée. “J’ai déposé deux plaintes contre ceux qui m’ont harcelée. C’était il y a deux ans. La police n’a encore arrêté personne”, pointe Meena. Et d’ajouter que : “Le gouvernement n’aime pas qu’on couvre les attaques contre les Intouchables, ni les agressions envers la minorité musulmane, ni tout ce qui donne une mauvaise image de l’Inde. Il ne s’en prend pas à nous directement. Ce sont des trolls, sorte de voyous du Net, qui nous attaquent en postant des commentaires injurieux, des photomontages humiliants”, déplore Meena.

Cette violence apparaît comme une réaction des castes supérieures face à l’énergie déployée par les Intouchables pour résonner davantage dans l’espace public. “L’arrivée de Twitter, YouTube, Facebook et Instagram nous a permis de faire entendre notre voix. C’est comme si on s’était emparé du micro que les journalistes ne nous tendaient jamais. Maintenant, nous avons notre propre micro”, développe Meena, motivée par l’idée de lutter contre l’absence des Intouchables dans la presse. Un rapport publié l’an dernier par Oxfam démontrait qu’aucun Intouchable n’était représenté à la direction des grands médias.

Isolé, The Mooknayak se repose sur des dons individuels en ligne même s’il a reçu 18 000 dollars de Google et YouTube. Ces difficultés ne découragent pas Meena Kotal qui n’imagine pas travailler ailleurs. “Un jour, un recruteur a refusé de m’embaucher parce qu’il ne voulait pas “d’agitateur” dans la rédaction.