France

Attentat de la rue Copernic : Un procès 42 ans après et un box des accusés désespérément vide

C’était il y a 42 ans et six mois précisément, le 3 octobre 1980. Ce jour-là, à 18h35, la synagogue de la rue Copernic, dans le 16e arrondissement de Paris, est pleine à craquer. « Au milieu de l’office, on a entendu une énorme déflagration puis la verrière s’est effondrée sur nous, se remémore Corinne Adler, qui fêtait ce jour-là sa bat-mitsvah (pendant féminin de la bar-mitsvah) avec quatre autres adolescents. Je crois que j’ai tout de suite compris ce que c’était un attentat. » Dans la rue, juste devant le bâtiment, une bombe vient d’exploser. Un motard qui passait par là, le chauffeur d’une famille présente à l’office et une touriste israélienne sont tués sur le coup. Le concierge de l’hôtel en face, grièvement blessé, décédera peu après. Dans la synagogue, une quarantaine de personnes sont également blessées.

Mais ce lundi, alors que s’ouvre enfin le procès de cet attentat antisémite, le box des accusés sera, sans l’ombre d’un doute, vide. Hassan Diab, un universitaire libano-canadien de 70 ans, est renvoyé devant la cour d’assises spécialement composée pour assassinats et tentative d’assassinats, soupçonné d’avoir confectionné la bombe de pentrite, un explosif militaire, et de l’avoir déposée devant le bâtiment. Mais après trois années de détention provisoire en France, l’homme, qui a toujours clamé son innocence, est reparti au Canada en janvier 2018. Rien d’illégal dans ce retour : un non-lieu a été rendu dans ce dossier… avant d’être finalement invalidé trois ans plus tard. Un énième revirement dans ce dossier ô combien sinueux.

Qui est Alexander Panadriyu ?

Retour en octobre 1980. A l’époque, il n’y a pas d’analyses ADN, encore moins de vidéosurveillance. Mais rapidement, en remontant la piste de la Suzuki sous laquelle était caché l’explosif, la brigade criminelle identifie un certain Alexander Panadriyu. Ce Chypriote a acheté, quelques jours avant l’attentat, le véhicule. En cash et en dollars. Coup de chance : il a laissé l’adresse de son hôtel et a même rempli – et ce sera décisif pour la suite des investigations – une fiche de renseignements. Le veilleur de nuit comme une prostituée qui travaille régulièrement dans l’établissement se rappellent très bien d’un jeune homme parlant français avec un accent, relativement petit, qu’ils pensent « arabe ». Mais à l’époque, la piste privilégiée est celle d’un attentat « néo-nazi ». Un homme l’a même revendiqué, il s’avérera être un affabulateur. Quant à Alexander Panadriyu, son identité est fausse. Le dossier glisse progressivement dans les limbes du système judiciaire français.

En 1999, coup de théâtre : une note des renseignements arrive sur le bureau du juge d’instruction. Cette fois, elle attribue l’attentat à un groupe terroriste dissident du Front de libération de la Palestine : le FPLP-OS. Surtout, apparaît le nom d’Hassan Diab, professeur de sociologie au Canada, diplômé de l’université de Syracuse aux Etats-Unis et qui a quitté le Liban en 1987. En recoupant divers éléments, les enquêteurs apprennent que le passeport de l’universitaire a été découvert en octobre 1981 dans les affaires d’un voyageur en provenance du Liban, au milieu d’autres papiers d’identité.

Hassan Diab est jugé à partir de lund pour l'attentat de la rue Copernic
Hassan Diab est jugé à partir de lund pour l’attentat de la rue Copernic – Justin Tang/AP/SIPA

Les autorités libanaises sont formelles, le document est un vrai et la photo qui y est apposée ressemble trait pour trait au portrait-robot établi peu après l’attentat. Un autre élément retient l’attention : le passeport indique que son propriétaire s’est rendu en Espagne entre le 20 septembre et le 7 octobre 1980, des dates entourant la commission de l’attentat. Or, les services de renseignement en ont la conviction : le commando est arrivé et reparti par l’Espagne.

Passeport perdu et expertise graphologique

Mais une nouvelle fois, l’enquête végète et il faudra attendre 2007 pour qu’un juge d’instruction, Marc Trévidic, se replonge dans le dossier. Il fait notamment effectuer des analyses graphologiques entre la fiche de renseignements retrouvée à l’hôtel et l’écriture d’Hassan Diab, plusieurs experts y voient une concordance. En 2008, il demande au Canada l’extradition de l’universitaire. De l’autre côté de l’Atlantique, le mis en cause plaide pour une homonymie et explique avoir perdu son passeport mais avoir tardé à le déclarer « trop occupé par ses examens ». Surtout, il jure n’avoir jamais appartenu à la FPLP-OS ni à aucune organisation politique. Certains témoignages affirment le contraire mais aucun élément n’atteste formellement son lien avec le groupuscule. Quant aux analyses graphologiques, elles sont remises en cause par des contre-expertises.

Et c’est bien là toute la difficulté de ce dossier : s’il existe un faisceau d’éléments concordants contre Hassan Diab sont-ils suffisants pour le renvoyer devant une cour d’assises ? Le juge canadien qui en 2014 a finalement accepté son extradition a estimé que les charges étaient « faibles » mais la procédure légale. « Cette prise de position est inédite et reflète les carences de ce dossier », insiste Fabien Goa, chercheur à Amnesty International. L’organisation milite depuis des années pour que la France abandonne les charges pesant contre le Libano-Canadien. « A chaque étape, des magistrats ou des experts indépendants ont trouvé des failles. Il y a un effet cumulatif qui rend ce dossier non équitable », insiste le chercheur.

Un non-lieu finalement invalidé

Déféré en 2014, Hassan Diab passera près de trois ans en détention provisoire en France. Jusqu’en janvier 2018. L’affaire connaît un nouveau rebondissement : les magistrats instructeurs estiment que les charges qui pèsent à son encontre ne sont « pas suffisamment probantes et qu’elles se heurtent à des trop d’éléments à décharge ». Ils décident donc de rendre un non-lieu. Parmi les éléments qui expliquent cette décision : le doute persistant sur sa présence en France au moment de l’attaque. En 2016, après des années à garder le silence, son ex-femme a affirmé qu’il l’avait conduite à l’aéroport le 28 septembre 1980, date à laquelle le possesseur du passeport se trouvait déjà en Europe. Les juges considèrent que ce témoignage, même s’il est sujet à caution, mérite d’être pris en compte.

Le procureur général fait immédiatement appel. Et en 2021, Hassan Diab apprend depuis le Canada qu’il est renvoyé devant la cour d’assises spéciale. « Pour les parties civiles, toute cette procédure, ça a été l’ascenseur émotionnel, confie Me David Père, avocat d’une victime ainsi que l’association française des victimes du terrorisme (AFVT). A chaque rebondissement, cela ravivait les blessures et suscitait des espoirs ou au contraire des déceptions. » Mais qu’attendre d’un procès lorsque le box est vide ? Certes, des témoins et experts se succéderont à la barre pour permettre aux jurés – exclusivement des magistrats – de se forger une intime conviction mais ces trois semaines d’audiences permettront-elles de lever les zones d’ombre de l’affaire ? Corinne Adler l’espère ardemment. « J’aimerais réussir à me faire une idée, comprendre si Hassan Diab a une part de responsabilité. Même 42 ans après, on a besoin de ces réponses. » Le verdict est attendu le 21 avril.