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Emmanuel Macron et Mark Rutte font souffler un vent nouveau sur les relations franco-néerlandaises

Depuis quelque temps, les deux hommes ne se quittent plus. Après le chancelier allemand Olaf Scholz, le ministre-président du gouvernement néerlandais est le dirigeant européen que le président français fréquente le plus. Il s’est rendu à plusieurs reprises aux Pays-Bas depuis le début de son premier mandat, en 2017. Et Mark Rutte s’est rendu huit fois à Paris depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Le 11 avril, Emmanuel Macron effectuera la première visite d’État d’un Président français aux Pays-Bas depuis 2000, sous Jacques Chirac.

Ils déjeunent à la Rotonde, se donnent des accolades amicales, les relations économiques entre les deux pays sont au beau fixe. Tout le monde se souvient cependant de l’épisode à l’été 2020 et du désaccord entre “les cigales et les fourmis” . Mark Rutte s’opposait à la création un emprunt européen pour aider les pays de l’Union européenne, et singulièrement les plus touchés, à se relever et à se relancer économiquement après la pandémie de coronavirus. Ce refus néerlandais avait créé des frictions entre les Pays-Bas et la France.

Un sommet européen interminable accouche d’un accord sur le budget et le plan de relance européens

Emmanuel Macron poussait, lui, avec la chancelière allemande Merkel, la Commission européenne et d’autres pour la mise en place d’un plan de relance financé par des deniers européens, alors que Mark Rutte considéré comme le “chef de file des frugaux” (qui comprenait aussi l’Autriche et les pays nordiques) y était farouchement hostile. Le Néerlandais avait fini par se rallier à l’idée lors de l’interminable sommet européen sur le budget de juillet 2020. Comment les deux hommes se sont-ils si soudainement rapprochés ?

Un éloignement avec l’Allemagne ?

Certains, comme Marie Krpata, chercheuse à l’Institut français des relations internationales, estime que le rapprochement entre Paris et La Haye est dû à un éloignement entre la France et l’Allemagne. “La relation franco-allemande est très ancrée depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, mais on a vu apparaître un éloignement et des désaccords notamment avec la guerre en Ukraine. L’Allemagne est la première économie européenne et avec l’inflation sur les prix de l’énergie causée par l’invasion, ce pays va devoir faire face à de nombreux défis pour garder sa place de numéro 1. Le sevrage des hydrocarbures russes n’était pas si évident. Il y a aussi eu les achats des chasseurs F35 américains par l’Allemagne, qui remettent en question les accords avec la France en matière d’armement aérien…” En bref, Emmanuel Macron craint “une asymétrie” avec l’Allemagne, qui dispose de plus de moyens que la France. “Il a donc cherché à multiplier les accords avec d’autres États européens”, conclut la jeune femme.

La ministre néerlandaise des Affaires Économiques et des Politiques climatiques Micky Adriaansens corrobore ce dernier point lors d’une interview accordée à La Libre. “Nous devons être plus forts en Europe, et penser à resserrer nos liens bilatéraux.” La ministre évoque aussi la similitude entre les situations sociales des deux pays. “Nous avons dû faire face à de nombreuses crises ces derniers temps, qui ont des conséquences néfastes sur le prix de l’énergie et les Néerlandais ont vécu des moments difficiles. Ce sont aussi des ressemblances que nous avons avec la France.” Et de conclure. “Nous ne pouvons nous en sortir qu’ensemble. C’est pour cela que nous avons besoin de la France et de l’Union européenne.”

Le Brexit a aiguisé la conscience que les deux pays ont besoin l’un de l’autre

Pour son collègue des Affaires étrangères, Wopke Hoekstra, le rapprochement franco-néerlandais doit beaucoup au Brexit, au soutien commun que leurs pays apportent à l’Ukraine et à l’amitié entre deux hommes, qui font partie tous les deux de la famille des libéraux et démocrates européens. Installé à l’arrière de son véhicule pour cette interview, Wopke Hoekstra sourit fièrement. Il prononce quelques mots en français pour expliquer que c’est un “grand plaisir de recevoir le Président de la République” puis explique sa perception de la relation entre les deux pays : “Il y a eu de nombreux épisodes où la France et les Pays-Bas ont dû se soutenir l’un et l’autre à travers les siècles, mais depuis quelques années cette relation connaît un nouveau souffle.” Il ajoute : “Je ne suis pas non plus surpris que les deux dirigeants se soient retrouvés rapidement. Le Brexit a montré qu’il était encore plus important de faire équipe avec ceux qui pensent comme nous.”

La relation étroite entre Emmanuel Macron et Mark Rutte ne serait que le résultat des craintes quant à l’avenir de l’Europe ? Wopke Hoekstra n’en est pas du tout convaincu, il pense d’ailleurs que “les relations personnelles comptent beaucoup dans la diplomatie” et que celles nouées par le président français et le Premier ministre néerlandais “jouent en faveur” de la bonne entente des deux pays.

La seule ombre qui plane sur cette “bromance” ? Un refus de Mark Rutte que les Pays-Bas investissent dans un fonds souverain européen pour financer la transition énergétique et écologique. Emmanuel Macron est persuadé que c’est la réponse à adopter face à l’Inflation reduction act américain, par le biais duquel les États-Unis dégagent un budget de 420 milliards de dollars pour subsidier les secteurs de la transition énergétique. Mark Rutte a déjà formulé un refus, préférant utiliser “l’argent déjà disponible”. Un point qui sera débattu à nouveau lors de la visite du Président français. L’insistance néerlandaise pour le respect de l »orthodoxie budgétaire” comme l’appelle Marie Krpata qui pourrait jeter un froid entre les deux dirigeants européens.