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“Certainement la première fois qu’une décision du Conseil Constitutionnel est aussi attendue »: la réforme des retraites va-t-elle être validée ?

Une décision capitale

Concrètement, les neuf personnalités du Conseil vont se réunir sous la houlette de leur président, Laurent Fabius, au Palais Royal à Paris. Ayant déjà auditionné plusieurs députés de la Nupes et du groupe indépendant Liot, qui avaient déposé des recours, ces “Sages” vont se pencher sur le texte de loi afin de contrôler la constitutionnalité de ses mesures et de la procédure utilisée. Ils vont en débattre et doivent rendre une décision commune, dont nul ne saura si elle a été le fruit de virulentes empoignades ou d’un réel consensus car les débats sont tenus secrets.

En réalité, il n’y a pas trente-six possibilités, il y en a trois, résume Luc Rouban. Un, le Conseil constitutionnel valide la loi et elle est aussitôt mise en œuvre. Deux, il la censure partiellement, ce qui est à mon avis le plus probable, en retoquant certaines mesures périphériques comme l’index sénior (permettant de mesurer le taux d’employabilité de salariés de plus de 55 ans dans les entreprises, NdlR), mais sans toucher au fond de l’affaire. Dans les deux cas, la contestation peut continuer mais la mobilisation sera moindre, même si elle peut tomber dans la radicalité, car le rapport de force sera clairement en faveur du gouvernement et l’opinion publique se lassera.” Ce serait alors pour Emmanuel Macron l’occasion “de clore le débat une fois pour toutes et de passer à autre chose”, estime Luc Rouban.

Un président “désavoué juridiquement, discrédité politiquement et aboli symboliquement” ?

Mais, troisième scénario, le Conseil peut aussi déclarer cette loi contraire à la Constitution. Certains avancent qu’il aurait toutes les raisons de le faire, au motif notamment que la procédure utilisée a été dénaturée (la réforme des retraites a été inscrite dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale uniquement, selon certains, afin que l’article 47.1, qui sert à limiter le temps des débats, s’applique). “Si le Conseil censure la réforme en intégralité, cela remettrait les compteurs à zéro, estime Luc Rouban, et obligerait le gouvernement à entamer de nouvelles négociations avec les syndicats. Mais je ne crois pas trop à cette option.” Les conséquences d’une telle décision seraient en tout cas majeures. “Ce serait désavouer le président juridiquement, le discréditer politiquement et l’abolir symboliquement”, analyse Pierre Brunet, professeur de droit public, dans une tribune publiée dans Le Monde.

La réforme bloquée par un référendum ?

Les subtilités de la politique française ne s’arrêtent pas là. Les Sages doivent aussi donner, ou non, leur feu vert au référendum d’initiative partagée (RIP), cher à la gauche et aux syndicats. Cette procédure pourrait ouvrir la voie à un référendum sur une proposition de loi visant à ce que l’âge de départ à la retraite ne puisse pas dépasser 62 ans. Si le RIP est validé par le Conseil constitutionnel, les députés devront obtenir le soutien de 10 % du corps électoral, soit 4,8 millions de signatures environ, en l’espace de neuf mois maximum. “Mais les modalités de cette disposition sont très complexes, analyse Luc Rouban. Depuis son entrée en vigueur en 2015, le RIP n’a été tenté qu’une seule fois, au sujet de la privatisation d’Aéroports De Paris, mais il n’a recueilli qu’un million de signatures et a échoué.”

Un Conseil impartial ?

Sur France 2, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, s’est dit “confiant” quant à la décision des Sages, estimant qu’elle serait “l’aboutissement du cheminement démocratique”. Et Emmanuel Macron a déjà fait savoir qu’il proposerait aux syndicats un “échange qui permettra d’engager la suite et de tenir compte” du verdict du Conseil constitutionnel.

Mais même si la réforme est validée, la colère d’un certain nombre de Français ne se dissipera pas de sitôt. “Ça n’enlèvera rien au rejet démocratique, au rejet politique, au rejet social”, a prévenu Manon Aubry, eurodéputée La France Insoumise (LFI).

D’autant que certaines voix, dont celle de Marine Le Pen, s’élèvent dans l’opposition pour s’interroger sur la probité et l’indépendance des membres du Conseil constitutionnel, pourtant soumis à un devoir d’impartialité, au motif qu’ils sont nommés par des responsables politiques (trois le sont par le président de la République, trois par celui du Sénat et trois par celui de l’Assemblée nationale). Le sort de la réforme des retraites est en tout cas entre leurs mains !