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Børge Ousland: « On est assis sur un tas d’or. C’est pour cela que l’on doit montrer l’exemple et éviter de donner des leçons »

Le palmarès de Børge Ousland est incomparable. Il a traversé la mer arctique et le continent antarctique, a rejoint les pôles Nord et Sud. Il l’a fait sans aide, en autonomie intégrale. Sa gloire est blanche comme neige quand la crédibilité peut vite s’épuiser si sont révélés coups de pouce en douce ou autre parachutages inopinés. La notoriété d’Ousland est forte en Scandinavie mais réservée à un public de connaisseurs à l’international. Le Français Jean-Louis Etienne, défricheur apprécié en ce domaine, le définit comme « l’explorateur polaire le plus authentique qui soit ». Et Benoît Heimermann, son biographe, l’inscrit dans la lignée des Nansen et Amundsen.

À l’inverse de ses devanciers, Ousland est un héros des années glisse. Il effleure une planète qui ne l’impressionne, ni ne l’angoisse. Il est le frère en légèreté des grimpeurs et des surfeurs, des marins et des kayakistes de l’extrême. Il coupe le manche de sa brosse à dents et déchire les couvertures des rares livres qu’il emporte. Il se fait tracter par des cerfs-volants et se positionne par satellite. Son biographe pointe son talent principal : « Børge sait lire la glace et déchiffrer sa texture, prévenir des dangers qu’elle dissimule. » Et décrit sa façon de faire : « Il s’interdit fantaisie et improvisation. » Børge Ousland admet que « la préparation et le contrôle » sont les clés de la réussite. Mais il tient à préciser qu’une fois sorti d’affaire, il peut s’avérer « plus relax, moins sérieux ». Et même « fêtard », précisent ses amis.

Il s’est acheté une île au-dessus du cercle polaire

On s’attendait à voir un Viking doublé d’un homme des bois, Thor couplé à Odin. Børge Ousland mesure plus de 1, 90 m mais a la sveltesse des marathoniens. Avant ses traversées, il prend du poids, fait des réserves de gras. Vu ses dispositions naturelles, il aurait pu imaginer une carrière olympique en ski de fond ou en biathlon. Mais les siens se tenaient éloignés de l’univers de la compétition. Son père était un artiste qui gagnait sa vie comme publicitaire. Original plus que marginal, il faisait vivre sa famille dans une grande maison au confort rudimentaire.

Sur cette presqu’île au sud d’Oslo, il n’y avait ni télévision ni tout-à-l’égout, et les toilettes étaient au fond du jardin. Souvenirs du gamin accoutumé à la sobriété rugueuse : « L’ambiance n’était pas fondamentaliste, juste minimaliste. »

Avec les revenus engrangés grâce à ses sponsors, à ses interventions en entreprise et à ses conseils techniques, Ousland s’est acheté une île au-dessus du cercle polaire. Il a tenu à ce que des architectes de renom soignent le design de la dizaine de maisonnettes qu’il y a installées. S’y croisent des contemplatifs des glaces et des conquérants de l’inutile en quête de camp de base.

La Norvège est un étonnant pays de cocagne qui ruisselle de ressources naturelles et tient à sa neutralité boréale. Børge Ousland a fait son service militaire dans les forces spéciales. Cela lui fait un point commun avec Mike Horn, autre tenteur d’impossible. Un hiver, dans la nuit éternelle, ils ont uni leurs talents pour dompter la banquise craquelée. Mike Horn doit à Børge Ousland d’en être revenu. Le Sud-Africain est le double inversé du Norvégien. Le premier est tapageur et démonstratif quand le second néglige les feux de la rampe et tient sa langue. Børge Ousland : « On n’est pas copains, mais on se respecte. On est comme le yin et le yang. C’est ce qui fait la force de notre association. » Dernièrement Horn s’est vu reprocher d’avoir eu le fusil exagérément mitrailleur en Namibie, à l’époque de l’apartheid. Børge Ousland le défend : « Il était jeune. Il a fait ce qu’il devait pour son pays. » Analyse du biographe : « Ousland ne critiquera jamais Horn. Il est bien élevé, pas du genre à cracher dans la soupe. Il fonctionne comme un guide de haute montagne avec son client. Ajoutons qu’il connaît la mentalité des troupes d’élite. »

Børge Ousland se serait bien vu astronaute. À défaut, il a débuté comme plongeur. Ils vivaient à huit dans un caisson, à 300 mètres de fond, labourant les champs pétrolifères et gaziers. Il est l’un de ces pionniers qui se flattent d’avoir contribué à la richesse de la nation et à son indépendance énergétique. Mais il n’hésite pas pour autant à critiquer les facilités actuelles de son pays : « On est assis sur un tas d’or. C’est pour cela que l’on doit montrer l’exemple et éviter de donner des leçons. »

Børge Ousland n’est pas né écolo, il l’est devenu. Ce pragmatique voit s’abîmer ses terres d’aventure qui sont à la fois son terrain de jeu, son outil de travail et son domaine d’excellence. Il lance l’alerte à sa manière, avec retenue, tissant son retour d’expérience de constats d’évidences. Ces derniers temps, le jeune sexagénaire écume les glaciers les plus volumineux, manière de signaler qu’ils vont disparaître. En les parcourant, il prouve et éprouve la débâcle en cours. C’est comme s’il fallait toujours que son corps fasse l’effort pour valider son propos quand l’époque serait plutôt aux indignations sur canapé et aux pétitions sur change.org. Réduire à zéro son empreinte carbone poussant fatalement à la tétanie et à l’inactivité.

Un homme d’ordre, qui aime quand ça file droit

Il aurait pu être ministre, il a préféré rester ancré côté société civile. Plus simple, moins compromettant. Ce père de trois enfants est un homme d’ordre, qui aime quand ça file droit et apprécie de pouvoir entreprendre à sa guise. Mais, il n’a rien d’un ermite qui vivrait dans sa bulle. Il rappelle que l’actuel secrétaire général de l’Otan est un Norvégien, souhaite la fin de Poutine et l’entrée d’une Russie apaisée dans l’Union européenne. Il vient de finir la lecture de l’Archipel du Goulag de Soljenitsyne.

Pendant ses voyages en solitaire, où il faut souvent patienter dans le duvet dans l’attente que les éléments se calment, il s’est aperçu que les ouvrages trop complexes ne lui apportaient ni détente ni réconfort. Tout en écoutant Jimi Hendrix ou Tom Waits, il lui arrive de dévorer Tolkien, de se régaler des évasions de Papillon, le taulard, de parcourir la Bible même s’il est peu croyant et surtout de piocher à l’aveuglette dans ce qu’il nomme son « sac de poèmes » où maximes et quatrains se mélangent. Avant que, le ciel enfin dégagé, il ne soit l’heure de rechausser les skis.