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Attendu depuis plus de deux ans, le procès de l’ancien président du Kosovo Hashim Thaçi s’ouvre lundi à La Haye

Anciens dirigeants de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), la guérilla qui combattit le régime de Slobodan Milosevic en 1998-1999, les quatre hommes sont accusés d’avoir ordonné kidnappings, détentions extrajudiciaires, actes de torture et meurtres de civils serbes ou roms du Kosovo, mais aussi de rivaux politiques albanais, suspectés de “collaboration” avec le pouvoir serbe. En tout, pas moins de 170 charges criminelles, concernant des faits commis dans 17 lieux de détention, quinze au Kosovo et deux en Albanie.

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Les Chambres spécialisées, rattachées au système judiciaire du Kosovo mais “délocalisées” aux Pays-Bas, doivent juger les crimes imputés à l’UÇK qui ne l’ont pas été par le Tribunal pénal international (TPIY). Leur création est la conséquence directe du fracassant rapport présenté en 2010 par le député suisse Dick Marty devant le Conseil de l’Europe. De ce rapport, on a surtout retenu un potentiel trafic d’organes extraits sur des détenus sommairement abattus, mais il décrivait un vaste système d’exactions, qui s’est poursuivi dans les mois suivant la fin de la guerre, quand des milliers de soldats de l’Otan étaient déployés dans le Kosovo placé sous administration provisoire des Nations Unies.

Dimanche après-midi, plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues de Pristina, à l’appel de quasiment tous les partis politiques du Kosovo. Cette “Marche pour la justice” dénonçait la tentation de “mettre sur le même plan” les crimes commis par le régime de Belgrade et les combattants de l’UÇK. Pour l’une des organisatrices, la députée Eliza Hoxha, du Parti démocratique du Kosovo (PDK), la formation d’Hashim Thaçi, “ce ne sont pas seulement les accusés qui sont mis en jugement, mais une des pages les plus glorieuses de l’histoire du peuple du Kosovo”. Elle dénonce une volonté de “transformer les victimes en agresseurs”.

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Dans le passé, plusieurs commandants de l’UÇK ont été acquittés par le TPIY, comme l’ancien Premier ministre Ramush Haradinaj, qui a fait l’objet de pas moins de trois procès. Tous ont achoppé sur le même écueil : beaucoup de témoins cités par l’accusation ont mystérieusement “disparu”, parfois victimes d’accidents de la route, ou bien se sont rétractés à l’audience, en raison de fortes pressions pesant sur eux-mêmes ou leurs familles. Les Chambres ont fait une priorité de la protection des témoins, mais c’est une gageure dans un petit pays comme le Kosovo.

Autre pierre d’achoppement potentielle, comme le TPIY, les Chambres spécialisées cherchent à établir la réalité d’une “entreprise criminelle commune” et se focalisent sur la responsabilité de commandement, pas forcément aisée à prouver dans le cas d’une guérilla… La défense des accusés, assurée par des ténors internationaux du barreau, entend bien jouer de cet argument, comme l’avocat américain Gregory Kehoe, qui présente Hashim Thaçi comme un “combattant de la liberté” et l’UÇK comme “une armée spontanée” et très peu organisée.

Le procès d’Hashim Thaçi et de ses co-accusés s’ouvre plus de vingt ans après les faits, et l’historienne Iva Vukušić, interrogée par Radio Free Europe, pointe le rôle ambivalent du temps, qui fait disparaître les témoins mais permet aussi que des faits longtemps cachés finissent par remonter à la surface, comme l’ont montré certains procès du TPIY. Cette experte de la justice internationale exprime l’espoir que le procès ne dure pas trop longtemps – “pas plus de deux ou trois ans”.