France

Immeubles effondrés à Marseille : « La fatigue, on connaît, on sait faire »… Les marins-pompiers au bout de l’effort

La pelle mécanique s’est tue pour un temps. Un camion de chantier démarre, emportant son chaotique chargement mêlant pierres de tailles, poussière et débris de matériaux. Pelles et balais en main, Yann* et trois autres marins-pompiers enjambent la rubalise du périmètre de sécurité avant de disparaître derrière un drap occultant le chantier de déblaiement des numéros 15, 17 et 19 de la rue de Tivoli. Près de 72 heures après l’effondrement d’immeubles à Marseille, une centaine de pompiers continuent à être en permanence mobilisés nuit et jour sur les décombres.

Avec eux, c’est l’espoir, chaque heure plus mince, d’un miracle qui se maintient. Deux des huit corps emportés par cette catastrophe étaient, ce mardi soir, toujours recherchés par les secours. Une opération de recherche et de secours exceptionnelle par son ampleur et sa durée qui a transformé le boulevard Eugène Pierre en caserne ambulante. Des dizaines de véhicules de pompiers de tous types sont stationnés le long de cette rue à double sens fermée à la circulation.

« On se distrait comme on peut »

Partout, des pompiers essayent de se reposer, leur tenue d’intervention encore chargée de poussière lorsqu’ils n’ont pas pris le temps de l’ôter. Affalé sur un sac, à l’ombre d’un micocoulier à côté duquel a été déposé un module comprenant du matériel de sauvetage, Patrick* scrolle sur Tik Tok des vidéos l’aidant à penser à autre chose que le drame en cours.

Plus loin, un barnum a été monté entre quatre jardinières où poussent de jeunes bambous et supportant deux poutres faisant office de banc. Un groupe de marins-pompiers s’y repose, grignotant une pâtisserie, une barre chocolatée, autant de délicatesses offertes par les commerçants du quartier. En face, de l’autre côté du boulevard, deux marins-pompiers échangent quelques sourires en se montrant leur téléphone : « On pourrait croire qu’on déconne, mais on se distrait comme on peut », se sent obligé de justifier l’un d’entre eux. Arrivé à huit heures du matin, il ne repartira que le lendemain à la même heure. Son collègue a fait la journée de dimanche, était de repos lundi, avant de revenir ce mardi matin. « La fatigue, on connaît, on sait faire, on est habitués », résume ce quadragénaire aux yeux cernés, à l’uniforme impeccable et aux rangers fraîchement cirées.

Des marins-pompiers organisés comme sur un navire

Ces gardes de 24 heures « sont le fonctionnement habituel de caserne des 2.600 professionnels militaires, marins-pompiers de Marseille », détaille le commandant en second, capitaine de vaisseau Christophe Guillemette. Pour permettre d’avoir cent pompiers mobilisés en permanence sans perdre en cadence, les équipes sont organisées en quarts, comme sur un navire. « Plutôt en tiers », corrige le capitaine de vaisseau. « Les différentes équipes, de sauvetage, de déblaiement, cynotechnique, de soutien ou sanitaire, fonctionnent en cycles de travail et de repos de six heures », poursuit-il. Pour autant, pas question de passer six heures en continu sur les décombres.

« On part souvent pour trente minutes à une heure sur site avant de revenir et de repartir plus tard », précise un marin-pompier de retour d’intervention. Un rythme qui s’adapte toutefois en permanence, selon l’évolution de la situation : « Lorsqu’il fallait travailler sous appareil respiratoire (au début de l’opération alors qu’un violent incendie couvait sous les décombres), les périodes d’interventions étaient plus courtes », donne à voir le commandant en second.

Travaux à la main

Maintenant que la pelle mécanique n’intervient plus que très ponctuellement pour ôter les débris les plus lourds ou charger les camions des amoncellements déjà inspectés et mis à l’écart, l’essentiel des travaux se font à la main et les temps sur site s’allongent nécessairement. Cela d’autant plus que les secours sont de plus en plus régulièrement contraints d’évacuer le monticule de débris. A mesure que celui-ci diminue, les murs encadrant ce trou béant montrent des signes de fébrilité. Mardi soir, plus de 950 mètres cubes de gravats avaient déjà été évacués, alors que les secours estiment qu’il en reste un peu de plus de 500.

Ce déploiement de forces permet de jouer sur le rythme le plus soutenu possible cette course contre-la-montre, et le désespoir entraîne dans son sillage toute une logistique. Et, une nouvelle fois, comme sur un navire, les marins-pompiers de Marseille sont autonomes pour mener des opérations de longues durées. Des équipes sont dédiées à l’avitaillement. La cantine du bataillon a été délocalisée au rez-de-chaussée de l’école Roosevelt, située sur le haut de la rue de Tivoli. Au premier étage du bâtiment où résonnent d’ordinaire des rires d’enfants, des lits de camp ont été montés. De quoi dormir un peu et manger chaud, si le cœur y est, avant de repartir une pelle en main et l’espoir chevillé au corps. Les opérations sont attendues pour durer encore plusieurs jours.

*N’ayant pas l’autorisation de s’exprimer par leur hiérarchie, les témoignages sont anonymes.