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À un an des élections, le paysage politique européen penche vers la droite

La campagne élecorale devrait confirmer la droitisation de l’espace politique européen, ce dont témoignent les récentes élections, en Suède, en Finlande ou en Grèce, mais aussi le ton du débat sur la migration qui a encore animé les discussions des chefs d’État et de gouvernement des Vingt-sept, réunis en sommet à Bruxelles ce jeudi.

Ce n’est d’ailleurs par un hasard si les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) ont déjà entamé les manœuvres électorales, en tirant la barre davantage à droite et en cherchant à faire entendre une voix distincte, sinon dissonante. Le PPE a pourtant formé, au début de la législature, une sorte de coalition avec le groupe des socialistes et démocrates (S&D) et les libéraux-macronistes de Renew (et l’appui fréquent des Verts). A l’été 2019, celle-ci avait soutenu l’élection d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne et validé ses priorités.

Participposition des conservateurs

Mais en septembre 2022, cependant, l’Allemand Manfred Weber, à la fois président du PPE et du groupe au Parlement européen, avait répondu au discours sur l’état de l’Union prononcé à Strasbourg par Ursula von der Leyen, par une intervention très critique sur les actions de la Commission… alors que sa compatriote est une des têtes de gondole du PPE.

Ensuite, depuis plusieurs mois, et sur divers dossiers – dont le volet sur la reconnaissance biométrique dans le règlement sur l’intelligence artificielle (IA) ou, plus récemment encore, la loi sur la restauration de la nature – les conservateurs sont devenus un partenaire récalcitrant, qui n’hésite pas à se retirer des négociations quand il est insatisfait. “Le PPE est complètement en mode “élections” et, sous certains aspects, peu sérieux, parce qu’il ignore les faits et se concentre sur la propagande”, déplorait récemment à Strasbourg l’Italien Brando Benifei (S&D), rapporteur du texte sur l’IA. Le PPE “flirte de plus en plus avec la droite de la droite. Dans les votes, on se détache de plus en plus. Il ne reste quasiment plus rien de la « majorité von der Leyen”, soupire un député libéral.

La loi sur la restauration de la nature, enjeu d’une féroce bataille politique européenne

“Weber essaie de se démarquer tant au niveau national qu’au niveau européen”, observe Eric Maurice, responsable du bureau bruxellois de la Fondation Robert Schuman. Le PPE a beau rester le plus grand groupe du Parlement européen, avec 177 élus sur 705, ce qui caractérise son évolution au cours des dernières années, “c’est la perte de pouvoir dans les grands États membres et même de représentativité, à part en Allemagne. C’est un parti dont le centre géographique et idéologique a bougé”, rappelle Eric Maurice. Vers l’est de l’Union, et vers la droite.

Les forces politique en présence en Europe
Les forces politique en présence en Europe ©IPM Graphics

Le PPE fait les doux yeux à l’Italienne Meloni

Il y a quelques jours, le Français Pascal Canfin (Renew), président de la commission du Parlement européen a accusé le PPE de “trumpisme”. Sans aller jusque-là, le coprésident du groupe des Vert, Philippe Lamberts, parle de “dérive” pour évoquer l’évolution du PPE. L’exemple le plus patent est la relation de proximité que Manfred Weber cherche à nouer avec la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, et son parti post-fasciste Fratelli d’Italia. “Weber adopte la stratégie des partis nationaux affiliés au PPE en Suède, en Finlande, en Italie, en Espagne (au niveau municipal et régional ; NdlR) : s’allier avec l’extrême droite. C’est une convergence politique qu’ils assument entièrement”.

Le parti de Giorgia Meloni cultuive l’ambiguïté sur son rapport au fascisme

D’aucuns prêtent au PPE l’ambition de former après les élections une alliance avec les très droitiers Conservateurs et réformistes européens (le groupe des Fratelli d’Italia), annoncé en hausse en 2024, et peut-être les libéraux de Renew. Pur fantasme, assure une insider du PPE. Après les élections, il n’y aura pas de majorité possible autre que PPE-S&D-Renew” – les trois groupes devraient perdre des plumes, mais limiter les dégâts au scrutin de 2024.

Le parlement européen
Le Parlement européen ©IPM Graphics

Renew ne veut pas d’une alliance de droite et le rapprochement PPE-ECR est impossible en raison de la domination sur les seconds du parti ultra-conservateur, nationaliste et eurosceptique Droit et Justice (PiS), au pouvoir en Pologne.

Il n’est cependant pas exclu que le PPE tente d’attirer à lui des partis “raisonnables” du groupe ECR, comme la N-VA ou les Tchèques de l’ODS. “Où met-on la frontière entre les partis raisonnables et ceux qui ne le sont pas ?”, interroge Philippe Lamberts. “Les Finlandais, les Démocrates de Suède, les Espagnols de Vox », des formations d’extrême droite qui travaillent dans leur pays avec les conservateurs « en font-elles partie ?” Et les Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, au pouvoir à Rome ? Jusqu’ici, il faut reconnaître qu’elle s’est plutôt montrée raisonnable et qu’elle joue le jeu sur les questions économiques et de politique étrangère”, souligne une source européenne. Qui ajoute, malicieux, “de Weber et Meloni, qui est la proie de l’autre ?”

La source du PPE n’en démord pas : les chrétiens-démocrates allemands de la CDU, plus puissante délégation du groupe et du parti paneuropéen, ne veulent pas d’une alliance avec l’ECR. “ll pourrait cependant y avoir des coopérations ponctuelles”, entre les conservateurs et les “encore-plus-conservateurs”, comme c’est déjà le cas, avance le même interlocuteur. Notamment pour la désignation des top jobs, ou l’élaboration du programme politique pour la législature 2024-2029. On notera, à cet égard, que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, soigne, elle aussi, sa relation avec Giorgia Meloni et se montre attentive aux préoccupations de l’Italie – les deux femmes se sont rendues récemment ensemble en Tunisie pour conclure un marché avec le pouvoir local pour qu’ils retiennent les migrants.

Ursula von der Leyen devra plaire à tout le monde pour rempiler

Même si elle reste muette sur le sujet, il fait de moins en moins de doute que l’Allemande briguera un second mandat à la tête de la Commission européenne. Elle aura besoin du soutien du PPE, sa famille politique. Entre Manfred Weber qui, en 2019, briguait la présidence de la Commission et celle qui a obtenu le poste, ce n’est pas le grand amour”, admet la source conservatrice. “Les électeurs du PPE et la CDU/CSU (la famille chrétienne-démocrate allemande, NdlR) ne se reconnaissent pas nécessairement dans la politique de la Commission von der Leyen”, pointe Eric Maurice. On imagine mal, cependant, le PPE jeter la carte “présidence de la Commission”, qu’il a en main, au risque de ne pas la récupérer. La même réflexion vaut pour Berlin qui préférera sans doute garder une Allemande au 13e étage du Berlaymont, même si la CDU de Mme von der Leyen est dans l’opposition. Éric Maurice ne voit pas les chefs d’État et de gouvernement la désavouer. “Son bilan est aussi le leur. Même si elle a pris de l’autonomie, elle a mis en œuvre leurs priorités”.

“Si elle y va, on la soutiendra, parce que c’est notre famille”, est la ligne officielle du PPE. Avec, sans doute, des exigences en matière de programme – le PPE a par exemple fait passer assez clairement le message qu’il voudrait que la Commission lâche du lest sur les questions environnementales. Mais dans le même temps, Ursula von der Leyen devra(it) veiller à ne pas perdre le soutien des socialistes, des libéraux et de même des Verts, dont elle aura sans doute besoin.

L’Allemande a-t-elle course gagnée avant même de s’être élancée ? “On dit que von der Leyen sera dans un fauteuil si elle est décidée de se représenter, mais ce n’est pas aussi certain que ça”, estime la source européenne. “Quoi qu’il en soit, ce sera beaucoup plus compliqué d’avoir à la fois l’unanimité au Conseil européen et une majorité au Parlement européen que par le passé” pour choisir le numéro 1 de la Commission.