France

Transport en commun : Le tarif unique qu’expérimente l’Allemagne, une bonne idée pour la France ?

Prendre le bus à Privas, en Ardèche, le lendemain le RER A à Paris et un autre jour encore le métro à Toulouse ou le tramway au Mans… Le tout pour un seul billet acheté à un tarif unique en début de mois. Vous en rêvez en France ? L’Allemagne l’a fait et s’apprête à le faire encore. Le 1er mai, l’État fédéral lancera le « DeutschlandTicket », un passe valable dans tout le pays, sur les transports en commun locaux et régionaux. Des trains au bus, en passant par le métro et le tramway. Le tout pour 49 euros par mois.

L’été dernier, de juin à août, l’Allemagne avait déjà expérimenté la tarification unique à un prix, plus incitatif encore, de 9 euros par mois. Objectif : pousser les Allemands à laisser la voiture au garage pour prendre les transports en commun. Cinquante-deux millions billets ont été vendus sur les trois mois de l’opération et Destatis, l’institut allemand de statistiques, a constaté une nette hausse du nombre de trajets quotidiens en train, de 30 km ou plus. « Plus 44 % par rapport à la même période en 2019 », communiquait-il en septembre dernier.

Peu de voitures enlevées des routes allemandes ?

Stéphanie Lopes d’Azevedo, directrice économie et technique de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) attire tout de même l’attention sur le côté face de l’opération. En commençant par rappeler son coût « non négligeable » pour l’État allemand : 2,5 milliards d’euros. « Pour autant, ça n’a permis de réduire que très faiblement la part modale de la voiture dans les déplacements des Allemands l’été dernier », pointe-t-elle.  « Le nombre de trajets routiers [toujours sur 30 km ou plus] est resté constant par rapport à 2019 », constate en effet Destantis.

Comment l’expliquer ?  « L’attractivité des transports publics n’est pas tant liée au prix, déjà nettement moins cher que la voiture, explique Stéphanie Lopes d’Azevedo. Elle se joue sur l’offre. L’enjeu est bien plus alors d’augmenter les fréquences et les amplitudes horaires sur le réseau existant et de développer de nouvelles lignes là où il en manque : les zones rurales et périurbaines. »

Pour Stéphanie Lopes d’Azevedo le ticket à 9 euros a pu même avoir l’effet inverse que celui visé, en dégradant l’expérience voyageur par un afflux trop massif de nouveaux usagers sur certaines lignes. « Dans certaines gares et sur certaines lignes touristiques, c’était la cohue, », confirme Michel Quidort, vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers de transport (Fnaut)*, qui était en Allemagne l’été dernier.

Ne pas regarder que le prix…

Mais ce dernier insiste sur le caractère exceptionnel de l’opération, instaurée aussi dans le but de marquer les esprits. Le DeutschlandTicket, lui, s’inscrit plus dans la durée avec une expérimentation au moins jusqu’en 2025. A 49 euros, il pèsera moins aussi sur les finances publiques, même si l’État fédéral et les seize länder devront mettre chacun 1,5 milliard d’euros au pot par an. Et à ce tarif, les Allemands devraient moins se ruer dessus également, ce qui devrait permettre d’éviter la surcharge sur certaines lignes.

Mais au risque alors de perdre toute utilité ? « Le tarif reste avantageux** et puis, il ne faut pas regarder que le prix, estime Michel Quidort. Le « DeutschlandTicket » garde ce côté très pratique de pouvoir voyager très facilement, sans avoir à jongler entre les tarifs et les abonnements, ni craindre d’être verbalisé parce qu’on s’est trompé de ligne. Cette simplicité est une demande forte des usagers. Y compris en France. »

Pas une priorité en France ?

Justement, à quand un DeutschlandTicket de notre côté du Rhin ? A la Fnaut, on n’en fait pas la demande.  « L’Allemagne a pu mettre un tarif unique parce que le pays a une offre de transports bien plus développés que la nôtre, en particulier sur les trains régionaux », estime son vice-président. Stéphanie Lopes d’Azevedo soulève également la question éthique que pose la tarification unique, la même d’ailleurs que pour la gratuité des transports déjà appliquée dans plusieurs villes françaises. « Il faut bien sûr, des tarifs spécifiques pour les personnes en situation de fragilité, commence-t-elle. Mais en moyenne, en France, par leurs billets et abonnements, les usagers participent à hauteur de 32 % au fonctionnement des transports en commun. C’est plus faible que chez bon nombre de nos voisins. Le reste est apporté par les employeurs et les collectivités locales. »

L’UTP tient à cet équilibre que risque de rompre la tarification unique, en baissant les recettes voyageurs et en demandant aux collectivités locales et à l’État de mettre au pot pour compenser. « C’est d’autant moins d’argent alors qui va à la modernisation et le développement du réseau, la priorité absolue », reprend Stéphanie Lopes d’Azevedo.

Viser au moins le billet unique ?

Reste le billet unique… à ne pas confondre avec la tarification unique. Soit donc la possibilité de prendre n’importe quel réseau de transports dans le pays en utilisant un seul support (carte, application, ticket papier…). C’est ce volet de l’expérience allemande que retient avant tout Clément Beaune, ministre des Transports, qui vise un billet unique en France d’ici deux ans. Un groupe de travail a été lancé en ce sens début février et pourra s’appuyer notamment sur des solutions en place dans certaines régions, comme la carte Korrigo en Bretagne ou le passe Navigo en Ile-de-France.

Une bonne nouvelle pour Michel Quidort. « Un pas dans le bon sens », glisse aussi Valentin Desfontaines, responsable « transports » au Réseau action climat, fédération d’ONG environnementales. Mais trop timide à ses yeux, lui qui renvoie au bilan 2022 des émissions de gaz à effet de serre françaises publié au début du mois. Si elles ont globalement baissé de 2,5 %, « celles liées au transport, principal secteur émetteur en France, ont augmenté de 2 % », pointe-t-il. Valentin Desfontaines rappelle alors que le ticket unique à 9 euros a tout de même permis, en trois mois, d’éviter l’émission d’1,8 million de tonnes de CO2, selon les calculs de la VDV, l’association des entreprises de transports allemands. « C’est loin d’être négligeable alors qu’on a toutes les peines du monde à baisser les émissions de ce secteur. »

Valentin Desfontaines invite alors à ne pas choisir entre les investissements massifs dans le réseau et une tarification unique attractive. « Il faut faire les deux en même temps et c’est tout le mérite de l’Allemagne, mais aussi de l’Autriche, d’assumer ce choix politique fort bien qu’onéreux », glisse-t-il, en étant convaincu qu’il pourrait être fait aussi en France. « En 2022, les ristournes non ciblées sur les carburants ont coûté 7,5 milliards d’euros aux finances publiques », remémore-t-il.

*Michel Quidort est par ailleurs président de la FEV (Fédération européenne des voyageurs).

** A 49 euros, le « Deutschlandticket est quelques euros moins cher que le « job ticket », un abonnement que proposent déjà plusieurs länder allemands, précise Michel Quidort. Certes, il ne permet pas de voyager dans tout le pays mais offre d’autres avantages que n’a pas le Deutschlandticket. »