France

La France à l’Eurovision 2023… Chronique d’un gâchis annoncé

« Pour moi, La Zarra a gagné aujourd’hui en rendant fière la France, par sa prestation d’un chic et d’une identité française dont on peut être très fiers », déclare Alexandra Redde-Amiel, la cheffe de délégation, juste après la finale du concours Eurovision, dans la nuit de samedi à dimanche. Ironiquement, au moment où elle prononce ses mots, Tattoo, la chanson de la vraie gagnante, Loreen, est diffusée plein pot dans le centre de presse de Liverpool (Royaume-Uni).

Il n’est de toute façon plus l’heure de commenter la seizième place de La Zarra avec sa chanson Evidemment. Tout est balayé par le geste esquissé par l’artiste lorsqu’elle a entendu le nombre de points que le public lui a attribués.

La chanteuse l’assure, ce n’était « absolument pas » un doigt d’honneur, mais « un geste culturel, générationnel », pour exprimer « la déception ». « Je m’excuse si cela a été mal interprété », écrit-elle un peu plus tard en story sur Instagram. Sans doute ne mesure-t-elle pas l’effet produit par ce mouvement furtif devant 160 millions de téléspectateurs (dont 3.5 millions sur France 2), ni que chacun le perçoit à sa manière, comme un signe de mépris, de dépit, comme une insulte ou une bravade hilarante.

« Il était temps qu’elle réponde que ce n’était pas un doigt d’honneur. Maintenant que tout ça va être remis à sa place, il n’y aura pas d’événement », espère Alexandra Redde-Amiel. En vain, cette affaire alimente depuis deux jours maintenant la chronique médiatique, parfois pour le pire. Cette histoire de doigt est le point final (ou de suspension, tant il semble que l’épilogue reste à écrire) d’une aventure Eurovision chaotique. Tout paraissait pourtant avoir bien commencé.

Liaison malheureuse

Rembobinons. Début janvier, la cheffe de délégation raconte avoir eu un « coup de cœur » pour La Zarra. « Elle a toutes les qualités que je recherche : elle est une artiste complète, avec du charisme, de la voix et la chanson », argue-t-elle. Une évidence telle que les titres soumis par Anne Sila, selon nos informations, et Slimane, selon Le Parisien, ont été retoqués. Il a ainsi été décidé d’assumer ce choix pris en interne en se passant de sélection nationale télévisée où le public aurait son mot à dire.

Le 17 février, avec deux semaines de retard sur l’échéance annoncée, la chanson est révélée à une poignée de journalistes et de fans. « Mon cœur, mes mains, mes yeux, mes reins », chante La Zarra au tout début d’Evidemment. Pas grand monde ne remarque la ressemblance avec l’ouverture de La Femme, un morceau de Barbara Pravi – qui l’a précédée il y a deux ans sur la scène de l’Eurovision : « Mon corps, mes jambes, mon dos, mes bras, mes mains, mes os »… Ce qui saute aux oreilles de beaucoup, en revanche, c’est l’erreur de liaison « de vouz’a moi de moi z’a vous ». La Zarra, que l’on découvrira par la suite peu encline aux remises en question, est prête à assumer ce qui s’appelle poétiquement un velours, mais pas la délégation. Résultat, sur la version finale de la chanson officialisée deux jours plus tard, le « z » malheureux a disparu.

L’accueil de la chanson par les aficionados de l’Eurovision en France et à l’étranger est des plus chaleureux. Evidemment ne tarde pas à faire figure de favorite. Un bon résultat est sur orbite. Or, le chemin à parcourir n’aura rien d’une promenade de santé.

Une mystérieuse intolérance au « gluten »

Le 8 mars, dans une story Instagram, La Zarra écrit : « J’ai pris une décision, il en va de mon bien-être mental et physique car ces derniers temps, je me sentais lourde et engourdie, très confuse. Je n’arrive plus à faire mon travail et j’ai perdu ma créativité. Donc j’arrête. » Ce message étrange coïncide peu ou prou avec la date limite pour envoyer le dossier de candidature définitif aux organisateurs du concours. La Zarra renonce-t-elle à participer à l’Eurovision ? Si c’était le cas, il serait trop tard pour trouver un plan B.

20 Minutes cherche, en vain, à joindre Capitol, la maison de disques de La Zarra, et la délégation tricolore. Puis, une heure après son post, la chanteuse publie une vidéo dans laquelle elle précise qu’elle arrête… le gluten. Une bonne blague ? Pas vraiment. Lorsqu’on la croise à Amsterdam (Pays-Bas) un mois plus tard, l’artiste informe qu’elle n’avait tenu personne au courant de sa publication et précise qu’elle n’a aucun problème avec le gluten. « Je peux le consommer, ça ne me ballonne pas. Mais il y a certaines choses qui me font le même effet », nous glisse-t-elle. « Cela représente beaucoup de choses, ces fausses promesses… », se borne-t-elle à dire pour expliciter sa métaphore, sans expliquer si elle évoque sa vie personnelle ou professionnelle.

Coup de gueule supprimé

La Zarra s’enorgueillit d’être « un électron libre » et de poster ce qu’elle veut sur les réseaux sociaux, malgré les mises en garde de la délégation. Elle le prouve lors de la semaine de l’Eurovision en publiant en story Instagram une vidéo dans laquelle elle répond aux xénophobes qui l’insultent et stigmatisent ses origines marocaines. « Je vous pisse à la gueule et je vous encule avec un concombre », cingle-t-elle en se filmant devant son hôtel. Le coup de gueule sera finalement supprimé et la délégation fera son maximum pour en faire disparaître toute trace.

Ce jour d’avril où on la rencontre à Amsterdam, en revanche, La Zarra maintient la story publiée le matin dans laquelle elle s’en prend à la propreté de sa chambre d’hôtel qui sentirait « la moisissure » et dont les oreillers seraient constellés « de taches de sang ». Cette mésaventure conditionne sa journée, met son humeur dans des dispositions de montagnes russes, et cela culmine, en début de soirée, par son retrait du concert auquel elle devait se produire. Les organisateurs néerlandais l’ont encore en travers de la gorge.

La Zarra étant « épuisée émotionnellement », selon la délégation, sa participation au concert pré-Eurovision de Londres du lendemain est également annulée. Désormais, la représentante de la France sera tenue à l’écart des médias jusqu’à son départ pour Liverpool. Mais le mal est déjà fait, d’anciens collaborateurs se répandent dans la presse sur le caractère « ingérable » de La Zarra et son côté « diva ». « Elle est une grande timide et manque de confiance en elle. Souvent, les gens qui ont ce caractère compensent en cherchant à se faire remarquer », confie à 20 Minutes un artiste qui a collaboré avec elle et la soutient bec et ongles.

Un coach vocal appelé en catastrophe

Le 26 avril, pour sortir du silence, à travers une vidéo, la chanteuse mise sur la simplicité, et laisse au placard ses tenues sophistiquées. Elle remercie ses soutiens et se dit « plus que jamais déterminée à porter avec fierté et amour les couleurs de la France ». De quoi être rassurés ?

Pas vraiment. En coulisses, la dernière ligne droite s’organise dans l’urgence et le stress. La Zarra n’est pas du tout en confiance niveau chant. Elle a raconté dans un direct sur Instagram avoir perdu sa voix en fin d’année dernière à cause d’un problème ORL. On ignore si la délégation était au courant de ces soucis. Sa performance à Madrid (Espagne), début avril, est la seule où on l’entend chanter Evidemment en live et sans montage. Même pour la révélation de la chanson dans 20h30 le dimanche, elle ne l’a pas interprétée alors que l’émission de France 2 se termine habituellement par un live… Son passage sur scène madrilène est loin d’être parfait mais, qu’importe, elle emballe la salle qui était conquise d’avance. Cependant, cette performance en demi-teinte a peut-être instillé le doute dans l’esprit de La Zarra, une semaine avant les échéances d’Amsterdam et Londres.

La chanteuse doit donc reprendre confiance. Le hic, c’est que le courant ne passe pas entre elle et la coach vocale avec laquelle elle doit travailler. En catastrophe, la délégation se met en quête d’un sauveur capable de redonner foi à l’artiste en un temps record (trois semaines, donc) et réussit à convaincre l’un des plus réputés. C’est lui qui embarque pour Liverpool. Avec un certain succès : de répétition en répétition, on constate à l’oreille les effets de leur collaboration.

Traitement de faveur

Autre paire de manches, même urgence : les questions vestimentaires. Dans un revirement de toute dernière minute dont elle a le secret, La Zarra porte son choix sur Romain Thévenin. Il était temps : le créateur parisien a à peine eu plus d’une semaine pour concevoir la tenue de scène et les robes de cocktail de la représentante de la France.

Dès l’arrivée à Liverpool le 3 mai, les jours de la délégation française se suivent et ne se ressemblent pas. Au relatif beau temps succèdent des heures plus tourmentées. La Zarra parle de son « perfectionnisme » mais d’autres n’y voient que du pinaillage zélé. L’organisation tourne en bourrique. Exemple : après chaque répétition, les traditionnelles photos tardent à arriver sur le site Internet de l’Eurovision. Le retard se compte en heures. La chanteuse exige de les valider. Un cliché pris dans les coulisses, sur lequel elle ne se trouve pas en valeur disparaît même de la base d’images a posteriori. La production accepte cela alors que les autres artistes n’ont pas vraiment droit à ce traitement de faveur.

Acte manqué

Le 5 mai, au lendemain de sa première répétition, La Zarra nous dit être dans un état d’esprit « électrique », et le mot a alors une connotation positive. Lorsqu’on la retrouve le mercredi suivant, elle emploie le même terme, désormais chargé de tension. Durant le court entretien qu’elle accorde à 20 Minutes, l’artiste semble distante et contrariée. Entre les lignes, elle se prépare à un résultat moins clinquant que ce qu’elle espérait et clamait.

Puis vient la finale du samedi. La Zarra est au rendez-vous. Elle livre sa meilleure performance de la semaine – sa prestation de la veille, sur laquelle les jurés internationaux l’ont évaluée, était plus fragile. Elle aurait pu quitter Liverpool sur ce satisfecit, mais sa spontanéité en a décidé autrement.

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Avec le recul, son geste frondeur apparaît comme un acte manqué. Une manière de dire que derrière la façade policée d’une candidature engagée pour la gagne se dissimulait une réalité bien moins reluisante. Tout se racontait là, sous nos yeux, notamment dans les réponses aux journalistes et les posts cryptiques sur les réseaux sociaux. L’explication de son geste controversé est même disponible sur la chaîne YouTube officielle de l’Eurovision (cf. la vidéo ci-dessus) ! Interviewée par l’animateur britannique Rylan, qui lui avance qu’au Royaume-Uni, faire le signe de la paix avec les doigts, en tournant la main, est une insulte, La Zarra fait la démonstration du geste qu’elle reproduira le samedi soir. « Au Maroc, on fait ça avec les doigts, c’est très intense », indique-t-elle en éclatant de rire.

Au sein de la délégation, beaucoup attendaient ce dimanche 14 mai pour tourner la page, arrêter de sauver les meubles et passer enfin à autre chose. Le soulagement devra attendre. Il y a une communication de crise à gérer.