France

Seine-Saint-Denis : Jusqu’à un an de prison ferme requis contre les « cowboys » de la CSI 93

Jonathan S. en est désormais certain. « S’il n’y avait pas les vidéos, pour moi, c’était foutu : c’était la comparution immédiate puis le quartier des arrivants en prison », estime ce chauffeur poids lourd, aujourd’hui âgé de 40 ans. Le 30 mai 2019, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), des policiers déboulent dans la rue où il possède un barber shop. Les fonctionnaires palpent et contrôlent l’identité de plusieurs personnes qui font du sport sur le trottoir. Quelques minutes plus tard, Jonathan S. et Louqmane T., un jeune homme de 19 ans, sont menottés et emmenés au commissariat où ils sont placés en garde à vue.

Leur interpellation a été houleuse, écrivent dans leur rapport les agents de la CSI 93 qui déposent plainte contre eux pour outrage, rébellion et violence sur personne dépositaire de l’autorité. Ces derniers l’ignorent, mais des caméras de surveillance ont capté toute la scène. Et l’exploitation des images, dans le cadre d’une enquête menée par l’IGPN – la police des polices –, a révélé une succession de bavures commises par les policiers présents lors de l’opération.

Un comportement de « voyous »

Quatre ans après les faits, deux brigadiers et deux gardiens de la paix de la CSI 93, âgés de 35 à 43 ans, comparaissent ce jeudi devant la 14e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny. Riahd B., Loic P., Olivier D. et Yohann P. sont jugés pour détention de drogue, vol, faux en écriture par personne dépositaire de l’autorité publique, et violences.

« Nous n’avons pas besoin d’une police qui fonctionne comme ces quatre fonctionnaires ont fonctionné durant des mois », souligne le procureur adjoint de Bobigny, Loïc Pageot, qui requiert des peines allant de six mois avec sursis à deux ans de prison dont un an avec sursis. Ce jour-là, les prévenus « se sont comportés comme des voyous » et « ont sali l’image de cette institution », déplore le représentant du ministère public. La décision du tribunal a été mise en délibéré au 15 juin.

A l’audience, les policiers racontent qu’ils étaient en mission dans la cité Emile Cordon, haut lieu du trafic de stupéfiants de la ville. Leur arrivée est annoncée aux dealers et aux consommateurs par les cris des guetteurs. « Il y a eu un message radio annonçant que des individus partaient en courant en direction de la rue Claude Monet », affirme à la barre Yohann P., pull bleu marine et blanc, fine barbe. Dans la bouche des prévenus, toute personne n’étant pas de la police est un « individu » et représente un danger potentiel pour eux.

« J’ai voulu débloquer une situation qui était bloquée »

« On sait par notre expérience que les gens vont se réfugier dans les commerces aux alentours de la cité », poursuit-il. « Ils font mine d’être là depuis un certain temps », complète son ancien collègue Loïc P., les cheveux grisonnants, chemise bleue et pantalon noir. Les policiers se focalisent alors sur un petit groupe « d’individus ». La tension, disent-ils, monte d’un cran. « Notre présence n’est pas la bienvenue », complète Riahd B., qui était le chef de l’unité Alpha 2.

La présidente, Dominique Pittilloni, note pourtant, en regardant les vidéos projetées dans la salle d’audience, que la rue à l’air « calme » et qu’on « ne voit personne courir ». Jonathan S. est assis et écoute de la musique. Il ne comprend pas la présence des policiers et leur demande la raison de ce contrôle d’identité. Riahd B. jette alors à ses pieds un sac blanc qui, selon la partie civile, contenait des pochons d’herbe de cannabis. « J’ai voulu débloquer une situation qui était bloquée », clame le quadragénaire, crâne rasé et blouson de cuir marron. Mais, jure-t-il, ce sac ne contenait pas de drogue. « Je l’ai sorti et je lui ai dit : c’est quoi ? C’était pour lui dire que quelque chose m’intéressait derrière lui. » « Je ne vois pas en quoi ça allait le calmer », lui répond l’un des assesseurs qui se demande si Riahd B. ne cherchait pas plus simplement à justifier ce contrôle d’identité pour le moins cavalier.

« Je n’avais aucune mauvaise intention », ose le prévenu. Et ce dernier d’ajouter : « Je n’ai rien contre eux, je ne les connais pas. Pourquoi j’irais mettre un sac de stupéfiants à leurs pieds ? Ce n’est pas dans mes habitudes d’agir ainsi. »

Soudain, le brigadier-chef attrape Jonathan S. par les chevilles pour le faire tomber au sol en vue de l’interpeller. Dans le jargon policier, on appelle cette technique une « Chicago ». « On l’apprend à l’école de police », indique l’ancien gradé, reconverti depuis les faits en brancardier. La victime reçoit plusieurs coups et fait l’objet d’une tentative d’étranglement. Il finira avec dix jours d’incapacité totale de travail (ITT). « Je n’avais pas le choix », assure Riahd B. « A partir du moment où il résiste pendant tout le contrôle avec ses bras… »

Un téléphone volatilisé

Témoin de la scène, Louqmane T. sort son téléphone et se met à filmer les fonctionnaires. Rien ne l’interdit rappelle le procureur. Mais en l’apercevant, le sang de Loïc P. ne fait qu’un tour. Le policier se dirige vers le jeune homme, lui arrache l’appareil des mains et le met dans sa poche. « Je suis sur cette intervention et je ne sais pas ce qu’il a filmé, se justifie-t-il. Pour ma sécurité et celle de ma famille, je ne souhaite pas être reconnu sur les réseaux sociaux. »

Le téléphone ne sera jamais retrouvé. Loïc P. tente ensuite d’interpeller la victime qui, dit-il, tentait de « s’opposer à l’interpellation » de Jonathan S.. « Sur les vidéos, on ne le voit pas s’interposer physiquement », remarque la présidente. « Je n’ai pas dit qu’il s’interposait physiquement, j’ai dit qu’il était virulent, répond l’ancien fonctionnaire qui travaille désormais dans le BTP. « Il ne nous parlait pas correctement, la violence ce n’est pas que physique… »

« À aucun moment je ne me suis opposé au contrôle. Je voulais juste récupérer mon téléphone », déclare à la barre le jeune homme. Riahd B. se lève, le pousse et lui assène un coup de poing. « J’ai senti qu’il voulait en découdre », fait valoir l’ancien flic. « Quand je vois un collègue en difficulté, en tant que chef je réagis, quitte à faire n’importe quoi », déclare-t-il aplomb pour justifier ces « violences légitimes ».

« S’il n’y avait pas cette vidéo, on n’en serait pas là »

Sur leur procès-verbal, les policiers tentent de justifier le contrôle d’identité et les interpellations qui en ont découlé. « Ce n’est pas le meilleur PV de ma vie », reconnaît Loïc P., qui a passé 13 ans au sein de la sulfureuse CSI 93, une unité aux méthodes controversées visée par une quinzaine d’enquêtes depuis 2019. Son procès-verbal est écrit au commissariat de Saint-Ouen, sur un bureau situé à proximité des toilettes et de la machine à café. Il y a « du passage », et le policier est toujours sous « adrénaline » après une opération « stressante ». Il oublie de mentionner l’heure de l’interpellation, le téléphone confisqué ou le jet du sac plastique par son collègue. « Les erreurs, les inexactitudes dans ce PV vont dans un seul sens, vers l’accusation » des deux parties civiles, remarque le procureur adjoint.

Tout au long de l’audience, les prévenus n’ont de cesse de clamer que leur intervention était « carrée ». « Le contrôle d’identité est carrément validé », estime même Loïc P. « S’il [Jonathan S.] s’était laissé contrôler, on n’en serait pas là aujourd’hui », ajoute Riahd B.. Me Raphaëlle Guy, l’avocate des deux parties civiles, le reprend. « S’il n’y avait pas cette vidéo, on n’en serait pas là aujourd’hui ».