France

Pourquoi les politiques aiment tant s’adresser aux « classes moyennes » ?

C’est la nouvelle cible favorite de l’exécutif. Depuis plusieurs semaines, le gouvernement est aux petits soins pour les classes moyennes. Le ministre du Budget, Gabriel Attal, s’est notamment engagé le mois dernier à « continuer à bâtir un plan Marshall pour les classes moyennes », évoquant des mesures sur les salaires et les services publics. « Pour les classes moyennes, le vrai sujet est celui du décrochage ou du déclassement. La France à qui on dit : C’est pas possible », a également justifié Emmanuel Macron dans son interview au Parisien. Faire référence à cette catégorie de Français est un poncif de la communication politique. Mais pourquoi les responsables politiques s’y réfèrent-ils si souvent ?

Un terme loin d’être nouveau en politique

L’évocation des classes moyennes dans le discours politique n’est pas nouvelle et s’appuie, dans l’entre-deux-guerres, sur une réalité sociologique. « C’est l’avènement d’une France du tertiaire, qui s’est peu à peu homogénéisée, et devient l’axe de la société française. Elle prend alors une expression politique avec des associations de défense des classes moyennes, contre la fiscalité notamment », assure l’historien Jean Garrigues, président du Comité d’histoire parlementaire.

« Le terme est ensuite repris de manière très politique dans les années 1970 par Valérie Giscard d’Estaing, et son idée de « deux Français sur trois », cette France médiane, qui correspond alors à sa volonté de se positionner ni à droite ni à gauche, à prendre le contre-pied du gaullisme et du discours de la gauche articulé sur les classes populaires », ajoute le chercheur. L’expression fait florès et aujourd’hui, le terme de « classes moyennes » est utilisée tant par la droite que la gauche, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon. L’entrée de ce terme dans la communication politique de tous les bords s’explique par ses contours très flous.

Un concept aux contours flous…

Sur le site même du ministère de l’Economie, il est précisé que « la notion de classe moyenne, bien que couramment utilisée, ne fait pas l’objet d’une définition précise ». Gabriel Attal a donné sa propre définition, dans une interview à Ouest France, lorsqu’il évoquait en avril « l’allègement » de la pression fiscale à venir sur les classes moyennes. « On peut donner des définitions statistiques. Mais la réalité est différente selon les territoires, disait-il. Pour moi, ce sont avant tout les Français qui ne comptent que sur leur travail pour vivre, pas sur les aides ni sur un gros patrimoine ». Si la notion de « classe moyenne » est facilement intelligible – la population située au centre de l’échelle sociale, entre les catégories populaires et les plus aisées – elle n’a pas vraiment de critères objectifs.

L’OCDE rassemble dans les classes moyennes les personnes touchant entre deux tiers et deux fois le revenu médian (1.837 euros net par mois en France), c’est-à-dire entre 1.300 et 3.700 euros. Pour l’Observatoire des inégalités, une personne seule est considérée comme appartenant à la classe moyenne si elle gagne entre 1.500 et 2.700 euros. Mais si les économistes utilisent le revenu, d’autres critères sont parfois utilisés : niveau d’étude, catégories socioprofessionnelles… « C’est un concept opaque, très difficile à stabiliser, car il dépend de nombreux critères et évolue dans le temps », assure Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS et membre du CEVIPOF. « Il porte aussi une dimension subjective : comment les gens se perçoivent dans la société ? C’est là-dessus que joue la classe politique, ça leur permet de désigner une classe victime. Victime du capital et des plus riches, pour certains, de ceux qui « profitent », du système social pour d’autres… », ajoute-t-il.

… bien utile pour la classe politique

Un flou pratique pour manier l’expression comme on l’entend. Pour l’exécutif, les « classes moyennes » sont récemment citées comme exemple de « la France qui travaille », les opposant aux Français touchant « des aides sociales », voire à « ceux qui ont le temps d’accueillir des ministres avec des casseroles ». De son côté Jean-Luc Mélenchon l’invoque pour justifier de taxer davantage les plus riches, n’estimant « pas normal que la classe moyenne porte sur son dos toute la société ». Marine Le Pen l’associe plus volontiers aux classes populaires, victimes de la mondialisation.

« L’évocation de la classe moyenne permet de ne pas parler des classes populaires, de donner l’idée d’une grande classe centrale, d’une société qui intègre tout le monde, alors que la tendance est plutôt inverse, à un déclassement qui s’appuie sur des critères objectifs », dit Luc Rouban. « Le terme, qui s’est cristallisé pendant les Trente glorieuses autour d’une réalité sociologique, est devenu difficile à manier avec l’appauvrissement des classes moyennes, et ce sentiment de décrochage économique et culturel, qu’on a retrouvé chez les gilets jaunes », abonde Jean Garrigues. « Comme toujours, le discours politique suit l’évolution de la société.  Aujourd’hui, c’est devenu une sorte d’attrape-tout, autour de ce sentiment de déclassement.»