France

Paris : Les plus beaux monuments de la capitale sont-ils condamnés à la restauration permanente ?

A quelques encablures des grands Magasins trône depuis 1875 le palais Garnier, cœur de l’Opéra de Paris, avec ses statues or et bronze, ses sculptures et son… échafaudage ! Il se dresse sur la façade principale depuis quelques jours et cache aux yeux de tous l’un des bijoux architecturaux de la capitale. « La restauration, c’est un éternel recommencement, souffle Pierre Prunet, architecte en chef des Monuments historiques, et responsable du chantier de la façade sud de l’Opéra Garnier. Et l’Opéra de Paris, c’est comme un paquebot : quand on commence d’un côté, ça vieillit de l’autre ».

Alors que cet édifice emblématique de Paris disparaît peu à peu sous un gigantesque labyrinthe vertical et métallique, bientôt recouvert par une « bâche publicitaire », qui financera les quelque 7 millions d’euros de restauration et de nettoyage, 20 Minutes s’est interrogé sur ces chantiers permanents qui permettent de conserver les plus beaux bâtiments de la capitale.

Des édifices condamnés à rester sales ?

« La dernière restauration de la façade sud a eu lieu en 1999-2000, se remémore Isabelle Morin-Loutrel, conservatrice des monuments historiques, en charge du 9e arrondissement où se situe l’Opéra de Paris. Mais normalement, pour une façade, la moyenne est supérieure à vingt ans entre deux phases de travaux. Il n’est pas impossible de voir une période de 50 ans ou plus, quand la pierre n’est pas fragilisée ou dans un contexte moins pollué ». Y a-t-il alors une fatalité pour ces édifices anciens à rester sales ? Ou du moins plus souvent en travaux qu’exposés au regard émerveillé des touristes et badauds ?

A la Mairie de Paris, Karen Taïeb, élue adjointe en charge du patrimoine depuis 2018, met particulièrement en cause la pollution au plomb, due en majorité à la circulation automobile, et à cet élément particulièrement toxique contenu dans l’essence jusque dans les années 2000. « Cette pollution atmosphérique liée aux énergies fossiles et autres combustions a beaucoup noirci les bâtiments de la capitale, à l’extérieur comme à l’intérieur. Ce qui s’est échappé des pots d’échappement pendant des années a déposé une crasse sur les édifices, nettoyée progressivement au gré des restaurations ».

La spécificité de l’Opéra Garnier

« Attention, sur ce chantier spécifique de l’Opéra de Paris, ce n’est pas uniquement un nettoyage », met en garde Isabelle Morin-Loutrel. Durant les 17 mois que doivent durer ces immenses travaux, le bâtiment sera également soumis à des consolidations, voire des remplacements de ses pierres. « Il n’y a pas tant de travaux de couverture mais les façades se dégradent beaucoup avec des pierres qui bougent, qui sont fragilisées et génèrent des tassements ou des desquamations », ajoute la conservatrice.

Pour elle, l’édifice érigé par Charles Garnier, inauguré en 1875 et classé monument historique en 1923, souffre de sa construction originelle, « qui a coûté bien plus cher que ce qui était prévu ». Elle met en partie en cause l’utilisation de matériaux low cost en cours de chantier, pour pallier « une flambée des prix et l’allongement des travaux en raison d’un arrêt prolongé dû à la guerre de 1870 ». Et Isabelle Morin-Loutrel d’ajouter : « En comparaison, Notre-Dame de Paris a super bien vieilli ».

Des délais très courts entre chaque restauration

Comme le précise Pierre Prunet, ce chantier d’envergure a été décidé après « un diagnostic diligenté parce que des morceaux de pierres étaient tombés. La façade a, dans un premier temps, était sécurisée avec des filets ». Un phénomène observé particulièrement dans la capitale en raison du très grand nombre de monuments à conserver. « Le calendrier des restaurations se décide surtout dans l’urgence, en fonction de l’état des structures et non pour des questions purement esthétiques », admet Karen Taïeb.

Ce chantier intervient donc 23 ans après le dernier ravalement de cette façade principale, une cadence régulière depuis son classement mais spécifique à ce bâtiment, avec des travaux en 1931, 1954, 1975, et donc 2000. « L’Opéra est probablement le bâtiment qui cumule le plus de soucis et a les délais les plus courts entre chaque restauration », estime Isabelle Morin-Loutrel. Ce que confirme l’architecte en chef des Monuments historiques, plus philosophe. « On restaure pour le plus longtemps possible, mais cette façade principale de l’Opéra est sans doute l’une des plus complexes de l’architecture du XIXe siècle à Paris, par sa richesse de matériaux, ses décors et qui, de plus, est extrêmement exposée ».

Pollution et incompatibilité des pierres

En effet, la façade principale de l’Opéra Garnier, située à un carrefour particulièrement emprunté, entouré de voies automobiles, fait face de plein fouet aux aléas du climat. « Elle est en plein vent, orienté plein sud, sud-ouest. Elle reçoit un ensoleillement violent et est exposée au gel, sans oublier qu’à 30 mètres de hauteur, la température n’est pas la même qu’au sol », énumère Pierre Prunet.

A cette pollution intrinsèque à Paris vient s’ajouter le vieillissement des matériaux utilisés. « Comme lorsqu’on coupe un tronc d’arbre ou qu’on extrait un minerai forgé, une pierre dès qu’elle est sortie de carrière, elle vieillit », explique l’architecte. Même problématique pour les bois et les métaux, ajoute-t-il, en précisant qu’un entretien régulier permet d’allonger les délais entre chaque restauration.

Réparer avec des mortiers plus compatibles

Isabelle Morin-Loutrel précise aussi que les pierres ne sont pas toutes compatibles : « comme dans une corbeille de fruits où certains pourrissent au contact d’autres, les pierres vieillissent moins bien si elles sont fixées à d’autres ». Une constatation que fait aussi Karen Taïeb, qui ajoute : « Dans les années 1950, on utilisait beaucoup le béton. On pensait que c’était la solution idéale pour combler les fissures. Esthétiquement, c’était parfait mais ça a aggravé certains problèmes structurels de ces édifices ».

Aujourd’hui, on connaît mieux les rapports physico-chimiques entre les matériaux, c’est-à-dire qu’on s’est aperçus que les façades de l’Opéra avaient, par exemple, été montées avec des mortiers au plâtre. Ils sont fragiles car le plâtre capte l’eau et se dissout. Après Garnier, au gré des campagnes de restauration, les joints ont été refaits avec du ciment, et le ciment et le plâtre ne fonctionnent pas bien ensemble. Désormais, on restaure avec des mortiers compatibles pour éviter ce genre de réactions », expose Pierre Prunet.

Des progrès importants ces 20 dernières années

Ainsi, avec l’avancée des techniques de nettoyage et de restauration, certains chantiers antérieurs sont remis en cause, même si dans le cas de l’Opéra Garnier, Pierre Prunet tempère. « La restauration d’il y a 20 ans a été faite de façon relativement rigoureuse. Notre-Dame de Paris, dont la restauration par Viollet-le-Duc est contemporaine, puisqu’elle s’achève en 1863, utilise aussi du plâtre pour reficher des pierres. Or, on y constate des dégradations similaires des parements, un siècle et demi après ».

Concernant le nettoyage et la restauration de ces édifices emblématiques, les deux experts constatent un net progrès. Pierre Prunet évoque notamment le traitement du plomb, déjà cité par l’adjointe à la Mairie de Paris, en charge du patrimoine. « Le plomb sur les bâtiments est aussi une source de risques pour les compagnons et salariés qui travaillent sur ces chantiers, déroule l’architecte. Cette approche préventive n’existait pas aujourd’hui. Il y aura désormais un traitement spécifique qui intègre le nettoyage et la décontamination ».

Une restauration avant les JO

« Avant de lancer un chantier de restauration, il faut plusieurs années d’études et de diagnostics », détaille Karen Taïeb. « Je travaille sur le projet de réfection de la fontaine des Innocents, dans le 1er arrondissement. Les premières réflexions et travaux de préparation ont débuté fin 2018 pour une restauration qui va débuter en juillet et s’achever un an plus tard juste avant les JO. »

« Avoir une ville avec tous ses bâtiments propres en même temps est impossible », tranche encore Karen Taïeb. D’ailleurs, comme le confie la conservatrice des monuments historiques, Isabelle Morin-Loutrel, « on a toujours restauré les bâtiments à Paris. Les monuments historiques sont nés en 1837, d’abord avec un seul inspecteur, puis une commission, puis des services plus étoffés ». Pour en arriver aujourd’hui, à tenter de conserver au maximum l’existant et « transformer le moins possible au moment de la restauration ». « Et continuer de faire de Paris la plus belle ville du monde encore longtemps », conclut Karen Taïeb.