France

Nice : La ville ouvre au public le Saint des saints de sa vidéosurveillance

Petite déception pour les premiers inscrits. La « visite » promise se limitera finalement à une seule des trois salles du Centre de supervision urbain (CSU). Les photos ont aussi été interdites et des formulaires ont dû être signés. « La Cnil s’est montrée très inquiète quand on leur a dit qu’on voulait accueillir du public. Ici, on a quand même accès à beaucoup d’images », justifie Véronique Borré, la directrice adjointe de la mairie de Nice. La ville la plus vidéosurveillée de France a décidé d’ouvrir à tous les portes du QG où convergent les flux de ses 4.113 caméras. Soit une pour 84 habitants. Un record, et de loin.

Et si cette sorte de « régie » ultra-connectée de 350 m2, placardée d’écrans, a déjà été rendue accessible à des associations de quartier et à des délégations d’autres villes et d’autres pays, c’est la première fois que les Azuréens y sont conviés largement et régulièrement. Avec un engouement déjà certain. Les séances, quasi-hebdomadaires, ont été prises d’assaut. « Je suis très curieuse. En Niçois, on dit ficanas. On est quand même dans le Saint des saints de la sécurité et ça fait très longtemps que je voulais voir ça », souffle Maryse, 56 ans, parmi les dix invités de la séquence portes ouvertes inaugurale, jeudi soir.

En HD et avec de grandes capacités de zoom

Elles ont toutes été prévues pour quinze personnes. Pour celle de jeudi, il y a eu cinq défections « à cause des grèves », fait savoir une porte-parole de la municipalité. Mais « tout est complet sur les créneaux que nous avons ouverts jusqu’au mois de juin, alors on va devoir déjà en proposer d’autres », explique le premier adjoint au maire, Anthony Borré, prêt à dérouler près de deux heures d’une opération séduction pro-vidéosurveillance. Ou en tout cas de transparence, selon lui : « Il est normal que chaque Niçois qui, sur ses impôts, finance ces équipements de sécurité et ce centre, puisse avoir des informations et savoir comment on travaille. »

Car plus qu’une « visite », en compagnie de son épouse, cadre de la mairie, et du directeur de la police municipal himself, les participants ont surtout eu droit à des explications, à un cours théorique, assis autour de la table de la salle de réunion, parfois transformée en « salle de crise », tout en haut de l’immeuble de l’avenue Borriglione. Le maire, Christian Estrosi, n’était pas là en personne jeudi soir, mais sa photo et un mot de bienvenue s’affichent sur des télés géantes. « C’est ici que nous accueillons le préfet et les forces de l’ordre pour les grands événements », indique Anthony Borré.

Au fond de la pièce, huit écrans diffusent des images en direct. Toutes les caméras de la ville peuvent y être affichées. Un opérateur, joystick en main, fait la démonstration. « Tout est en HD, avec parfois de grandes capacités de zoom, précise la directrice adjointe. Regardez là, nous sommes sur la tour Bellanda et on peut voir clairement l’aéroport à 5 km de là. » L’image, partie du début de la promenade des Anglais, arrive très vite jusqu’à la tour de contrôle, avec une netteté qui impressionne l’assistance.

« Niveau incivisme, on atteint des sommets »

« Nous avons aussi des caméras dômes [qui tournent à 360°], d’autres totalement autonomes, alimentés par des panneaux solaires, notamment pour surveiller les cours d’eaux depuis la tempête Alex, et certaines thermiques, pour détecter des présences humaines sur la promenade du Paillon », précise Véronique Borré. Les bus sont désormais également équipés, en plus des tramways, en temps réel. Depuis l’élection de Christian Estrosi, en 2008, le nombre de dispositifs a été multiplié par 15, passant de 280 à plus de 4.000, en quinze ans.

Pour sécuriser les parvis des écoles, intervenir sur des flagrants délits… Anthony Borré loue leurs applications actuelles. Y compris contre les dépôts sauvages et les incivilités, vidéos d’ordures déposées anarchiquement à l’appui. « Niveau incivisme, on atteint des sommets », juge Maryse. « Franchement, ils sont pourris les gens », tranche un autre visiteur. Le premier adjoint vante aussi le bénéfice de la vidéosurveillance « pour résoudre les enquêtes, avec « environ 2.000 réquisitions judiciaires par an ».

La ville milite pour la reconnaissance faciale

Il fait aussi la promotion des autres usages que la municipalité aimerait en faire, rappelant devant un auditoire déjà conquis qu’elle demande depuis plusieurs années des « évolutions législatives pour pouvoir faire appel à la reconnaissance faciale ». « Il nous manque par exemple quelques minutes du parcours du terroriste du 14-juillet. Nous n’avons pas réussi à les retracer. L’intelligence artificielle aurait sans doute pu nous aider. Elle est plus efficace que l’œil humain », ajoute-t-il.

« Il faut que ça reste encadré, mais pour trouver des individus dangereux, je suis totalement pour, appuie Alexandre, 57 ans, dans l’immobilier. On vit dans un monde dangereux et il faut s’adapter. Moi, je n’ai pas peur de ces avancées. Je n’ai rien à me reprocher. Je suis parisien à la base, je vis à Nice depuis quinze ans et j’ai toujours été favorable à la vidéosurveillance. Ceux qui, avant, en avaient peur la réclament aujourd’hui. Ce n’est plus une question de gauche ou de droite. C’est devenu transpartisan. »

En 2021 pourtant, l’opposition écologiste niçoise était montée au créneau pour dénoncer « l’efficacité très relative de cette technologie », qui ne permettrait d’identifier les auteurs d’infraction que « dans 1 à 3 % des cas », et surtout son « coût exorbitant ». Interrogée par 20 Minutes sur le budget global investi, la ville n’a pas pu répondre dans l’immédiat. « Il y a parfois des idées reçues, de la démagogie, des arguments d’opposants, même s’ils sont de moins en moins nombreux, mais nous n’avons pas à rougir de nos résultats. » Plus prompte à donner certains chiffres que d’autres, la municipalité indique que la vidéosurveillance aurait permis « 8.000 interpellations depuis 2010 ».

Dans un Hôtel des polices en 2025

Et elle continue de croire dur comme fer en ses effets. Christian Estrosi a annoncé cette semaine encore l’installation de nouvelles caméras à « lecture automatique des plaques d’immatriculation », pour tenter d’endiguer des trafics de drogue croissants dans le quartier sensible des Moulins. Une façon, selon lui, de « tenter d’identifier et suivre les dealers et les consommateurs », tout en « permettant d’apporter des preuves à la police ».

En 2025, le CSU devrait déménager dans le futur Hôtel des polices dont la construction a démarré dans l’ancien hôpital Saint-Roch, un peu plus au Sud. Financé à 75 % par l’Etat, cet espace de 4.000 m2 où seront mutualisés les effectifs des polices nationales et municipales, devrait accueillir 2.000 agents au total. Le centre névralgique de la vidéosurveillance, rebaptisé Centre d’hypervision urbaine et de commandement, y aura droit à un mur d’écrans de 25 m de long et 6 m de haut.