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Christine Bravo, sous les jupons de Paris

C’est sur ce yacht de 1973 entièrement rénové qu’elle nous reçoit, tout en blanc, avec Stéphane, son nouveau mari, rencontré alors qu’elle cherchait à « vivre sur l’eau » après avoir vendu son appartement du Sentier et surtout juré de ne plus jamais se marier : « J’ai d’abord vu le bateau et ensuite j’ai regardé le gars qui le vendait, on est tombés fous amoureux, il a déchiré la promesse de vente. » On s’imagine passer une heure avec une personnalité affable ; en vérité l’échange durera trois heures et « bavarde » ne suffit pas à qualifier la personne, le ton, les anecdotes, la gouaille, mais toujours agréable, drôle et certainement pas à ses dépens, jamais avare du plus infini détail qu’elle romance et amène comme une bonne réplique de théâtre.

Plutôt qu’écrivaine, elle sera d’abord institutrice

Elle explique sa bonne nature par ses racines espagnoles, celles de son père, issu d’une famille déchirée par la guerre civile, maçon à 11 ans. On évoque sa mère qu’on sait d’origine normande mais il nous manque une information. « Ah bah, elle est morte il y a quinze jours, mais ce n’est pas de votre faute. » Cette disparition autorise Christine Bravo à en dire un peu plus sur cette branche « pas glorieuse » de sa famille : « Ils étaient tous égoutiers à Paris. C’était Zola à Bobigny, les nappes en vinyle et les rideaux en bouchons ! »

Enfant, elle rêve d’entrer à « la cadémie française », en trois mots, la « maison où habitent les écrivains ». Ado, la future animatrice est solitaire, rebelle et très lettrée. À 17 ans, elle entend des amis dire qu’il y a un « écrivain à la gare » de Villeparisis. L’écrivain, c’est Sartre, qui s’apprête à lancer Libération. Devant lui, elle évoque sa lecture du Mur, une nouvelle sur la guerre d’Espagne. L’homme des Mots lui aurait prédit un avenir littéraire.

Christine Bravo voulait être écrivaine, elle sera d’abord institutrice. « On vous enverra là où on a de la place », lui dit l’éducation nationale, et là où on a de la place c’est à Belleville. L’écriture n’est pas loin : cette expérience dans une école d’un quartier hyper popu devient une chronique dans Libé à la rentrée 1983. Archive : « Belleville. L’arrêté d’affectation est tombé sur moi comme un couperet sur un jarret de veau. Avec un os en prime, c’est à une heure de chez moi. Partout ça sent le vieux. Le vieux papier, la vieille craie. »

Un concours du quotidien le Matin de Paris la fait devenir journaliste à temps plein, sous la direction de Jean-Dominique Bauby, un nom qu’elle cite aussi souvent que celui de Sartre. Elle se lance dans le récit de son passage dans les Vosges pour l’affaire Grégory en 1984-1985 pendant que Frou-Frou le bateau fend paisiblement l’eau de la Seine depuis son départ du port de l’Arsenal à Bastille. Le récit rocambolesque des obsèques de Bernard Laroche, le cousin peut-être corbeau tué par Jean-Marie Villemin, est régulièrement interrompu pour vanter la poésie du fleuve ou pour admirer son autre bateau, une péniche où elle vit à l’année avec un pont particulièrement fleuri et même un potager. Le tout en cherchant une bille de menthe à insérer dans le filtre d’une cigarette, du bout de l’ongle. L’ongle ne suffit pas, il faut trouver une barrette à cheveux. Et surtout ne rien dire à son mari, de l’autre côté de l’embarcation. Elle a promis de ne plus fumer mais il faut bien profiter de la vie : « Un jour, ça s’arrête, comme ça. »

La chute du Matin de Paris en 1987 la pousse vers la télé. Une première expérience au côté de Frédéric Mitterrand, « incapable de lâcher le micro », ne lui laisse pas le meilleur souvenir, mais la suite est belle : Mille Bravo en 1990 sur FR3 puis ses deux plus gros succès sur France 2, évidemment Frou-Frou, une émission de société avec uniquement des femmes autour de la table, une posture inédite à l’époque et particulièrement commentée dans la presse, puis Union libre où chaque chroniqueur représente un pays européen.

La Grèce était incarnée par un journaliste grec de 29 ans, inconnu à l’époque : Nikos Aliagas. L’animateur se souvient de son casting, en 1998 : « Christine m’a demandé : ‘Tu viens de Mykonos ? Mais ils sont tous gays là-bas, non ?’ C’est comme ça qu’elle a testé ma repartie. » Leur complicité à l’antenne devient une vraie amitié dans la vie : « Nous sommes tous les deux des enfants d’ouvriers, elle est née un 13 mai, moi aussi, à treize ans d’écart, dans la même clinique. » La star de The Voice loue les analyses bien senties de son ancienne patronne : « Un jour, on faisait nos courses ensemble, elle m’a dit : « Bientôt tu seras une star, tu crois que la notoriété est un cadeau ? La notoriété, c’est quand le mec derrière toi dans la file essaie de voir la taille des slips que tu achètes ». » Le mot reconnaissance revient plusieurs fois.

Son dernier roman remonte à 2010

Après 2000, la vie médiatique de Christine Bravo est surtout marquée par les émissions de Laurent Ruquier à la télé et à la radio. On l’entend moins aux Grosses Têtes ces derniers temps, la faute à sa nouvelle vie sur l’eau et au temps passé en Corse. On lui demande un mot sur son ancien complice de micro Pierre Bénichou, mort en 2020 : « Mais il va me faire pleurer, ce con ! »

Côté vie familiale, la coquetterie l’empêche de dire qu’elle est trois fois grand-mère ; elle préfère souligner que son grand fils a lui-même trois enfants. « Mamie » ou pire « Mémé » sont bannis, préférez « Kikou ». Des années télé, elle retient qu’elle a bien profité de son argent, avec beaucoup de voyages, notamment le Mexique cher à son cœur.

Elle savoure aujourd’hui le retour des Jupons sur Chérie 25. « C’est une idée à moi, c’est mon bâton de maréchal. Chaque émission me demande deux mois de travail », biche-t-elle.

La télé d’accord, mais l’écriture ? Son dernier roman remonte à 2010. Pourquoi ne pas écrire plus ? Elle a dans sa besace les ébauches d’un roman familial, le côté Bobigny, dans les cartons depuis trente ans : « Ma mère me faisait du chantage au suicide et de toute façon, j’ai trop lu. » Kerouac, Hemingway et Flaubert la renvoient à ce qu’elle estime être sa propre médiocrité.

Vingt-quatre heures après la descente du bateau, appel d’un numéro inconnu : « Oui, c’est Christine. Votre question de merde m’a empêchée de dormir cette nuit. »