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Marseille : L’ombre de la rue d’Aubagne plane sur le procès d’une copropriété dégradée

D’un côté, le ministère public qui réclame qu’un message soit « adressé à tous les propriétaires défaillants » face à la « chronique d’une mort annoncée ». De l’autre, des avocats de la défense qui estiment « n’avoir entendu aucune démonstration pénale » et plaident que « ce n’est pas la rue d’Aubagne », appelant le tribunal correctionnel de Marseille à ne pas faire « acte d’exemple ». L’ombre des immeubles effondrés de Noailles et de leurs victimes a plané ce vendredi lors d’un procès sur une copropriété dégradée, emblématique à bien des égards.

L’ancien vice-président LR de la métropole Bernard Jacquier, et propriétaire de l’un des appartements jusqu’en février 2019, est en effet l’un des douze prévenus. C’est aussi un « sachant » comme le rappelle la présidente du tribunal, qui s’étonne que l’avocat spécialiste en droit immobilier, encore en activité à l’époque des faits, n’ait pas trouvé un moyen juridique de remédier à l’inaction du syndic.

De fait, plusieurs arrêtés successifs frappent cette copropriété située dans le quartier de la Belle-de-Mai, près de la gare Saint-Charles. Le premier, en date du 4 avril 2017, constate une insalubrité, alors à caractère réversible, et prescrit des travaux. Mais aucuns travaux d’importance capables de renverser la situation ne sont effectués, et ce même après une mise en demeure de la préfecture en août 2018. Le 22 février 2019, la ville de Marseille prend cette fois un arrêté de péril imminent. L’immeuble est évacué.

« Je n’ai pas vendu, je m’en suis débarrassé »

« J’avais proposé un administrateur judiciaire, mais cela n’a pas été possible à cause des comptes débiteurs de la copropriété, se défend à la barre Bernard Jacquier. Je ne me suis pas senti en mesure d’engager une procédure pour obliger le syndic à faire une procédure à ceux qui ne payent pas leurs charges. » Il décide plutôt de vendre son bien. Un compromis est signé en octobre 2018, au prix de 4.000 euros, avec un autre propriétaire qui a déjà deux appartements dans l’immeuble, où loge aussi sa mère.

« En fait, je n’ai pas vendu, je m’en suis débarrassé, comme je ne connaissais pas la sortie du tunnel », déclare Bernard Jacquier. Son avocate, Me Béatrice Dupuy, fait valoir que les faits reprochés à son client ne courent que sur une période de deux mois, entre la mise en demeure de 2018 et la signature du compromis de vente, dans lequel il se désengage de toutes les décisions prises par la suite. Comme ses confrères, elle réfute par ailleurs l’élément intentionnel et la bonne notification de l’arrêté par le syndic.

« Pas des marchands de sommeil »

Dans ce procès, l’un des principaux prévenus, décédé depuis, manque à la barre. Sa personnalité émaille en effet le dossier, et sa triple casquette, tant il cumulait les fonctions de syndic, de propriétaire de l’un des bâtiments de l’immeuble et de gestionnaire de bien (Bernard Jacquier lui avait notamment confié la gestion du sien). « Il y a des personnes qui ne payaient pas leurs charges à cause des différends avec lui, il avait un seul compteur d’eau pour toute la copropriété », raconte l’un des prévenus qui a hérité de l’appartement en indivision de sa mère. « On faisait des AG, mais six mois après, on se revoyait, rien n’avait bougé », confie un prévenu qui avait acheté son appartement 44.000 euros, et l’a revendu en 2021 pour 10.800 euros. « J’avais dit que j’étais d’accord pour les travaux, je demandais des justificatifs de charges au syndic qui ne les fournissait pas », dit un autre propriétaire. 

« Il est évident que ces profils ne sont pas des marchands de sommeil », affirme le procureur Guillaume Bricier. Il requiert pour autant une peine de trois mois de prison avec sursis et une amende de 5.000 euros à l’encontre de chaque personnalité civile, sans faire de distinction entre elles ni relever la qualité d’élu de Bernard Jacquier. « Le devoir premier d’un propriétaire est de s’occuper de son bien, estime-t-il. Ces poursuites sont aussi là pour montrer qu’on ne peut pas ne rien faire. Nous ne sommes pas dans une AG de syndic ici, nous sommes là pour répondre à des infractions pénales. »

« Aujourd’hui on est sur un naufrage d’immeuble, et on sait malheureusement à quoi cela peut conduire dans cette ville, à l’effondrement », rappelle aussi Guillaume Bricier. La ville de Marseille s’est, de son côté, constituée partie civile. Le délibéré sera rendu le 2 juin prochain. Le sort de l’immeuble est lui d’ores et déjà scellé : il est promis à la destruction.