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Mariage pour tous : Les playlists des mariages lesbiens et gays sont-elles meilleures que celles des hétéros ?

Depuis dix ans, gays et lesbiennes peuvent enfin se mettre la bague au doigt. Le cataclysme annoncé par ses opposants ne s’est pas produit, mais la révolution des dance floor de mariage a-t-elle eu lieu ? Les playlists de mariage sur-usés par le trio de l’enfer Début de soirée-Michel Sardou-Patrick Sébastien façon « second-degré-mais-pas-trop » ont-elles été enfin décapitées sur l’autel du fameux et très cliché « bon goût » gay ?

Première grosse désillusion du côté de l’agence de mariage LoL Evénements, qui nous affirme que les play-lists de mariage sont les mêmes quel que soit le type de couple. Des musiques caméléons, « qui parlent à l’ensemble des générations, et qui permettent donc de ramener tout le monde sur la piste de danse ». Le secret ? Des tubes d’avant les nineties, remis au goût du jour. Ces soirées-là de Yannick, qui reprend du Claude François, ou encore plus récemment Yanns qui sort une reprise de Y a du soleil et des nanas. « Satisfaire tout le monde reste LA pression du mariage », ce qui n’encourage pas trop la prise de risque.

Même constat chez Esteban Buch, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris et spécialiste des rapports entre musique et politique : « Il n’y a pas fondamentalement de différence entre ce qu’écoutent les personnes LGBT+ et les personnes hétéros. Encore moins dans les mariages, ou les play-lists sont très uniformisées. »

Les mêmes sons, pas les mêmes émotions

Fin précoce de ce papier sur une morale un peu plan-plan « blabla la musique est universelle et touche tous les cœurs » ? Pas si vite. DJ, remet le son, on est reparti pour un tour d’arguments.  « Je ne sais pas si les play-lists LGBT sont meilleures que celles des hétéros, mais elles ont un enjeu plus important », souligne Léa Lootgieter, co-autrice de Les dessous lesbiens de la chanson (2019, édition Ixe), ressuscitant l’intérêt de cet article.

« Certaines paroles vont prendre une dimension bien plus grande pour la communauté gay et lesbienne, alors que les hétéros dansent dessus sans trop faire attention au sens ». C’est le syndrome Mylène Farmer : une musique chantée et dansée par toutes les sexualités, mais avec bien plus de sens et d’impact pour les personnes homosexuelles. « Beaucoup d’icônes gays et lesbiennes ont des paroles très tristes, qui rappellent les oppressions subies par la communauté, mais très dansantes. » Mylène Farmer, mais aussi Angèle et son Tout oublier, Redcar, etc. et on ne va pas faire toute la play-list à votre place.

Des paroles parfois « surinvesties ou réinterprétées, admet Léa Lootgieter, faute d’avoir beaucoup de réelles représentations ». Car, si les icônes sont aimées pleinement et les paroles militantes criées à plein poumons, elles sont rares, notamment dans un mariage. « Les chansons d’amour, forcément très présentes dans les cérémonies, évoquent rarement des relations autres qu’hétéro. Il y a une invisibilisation », reconnaît Esteban Buch.

Alors on fait avec ce qu’on a, et si on n’a pas, on détourne le sens. Léa Lootgieter prend l’exemple de Céline Dion : « La chanson On ne change pas évoque en premier lieu l’idée qu’on reste la même personne que durant l’enfance. Mais pour une personne gay ou lesbienne, des paroles comme  »On ne change pas, on met juste les costumes d’autres sur soi » revêtissent un tout autre sens. »

Danser et chanter, « déjà une victoire »

Même avec peu de chansons vraiment représentatives, ne vous inquiétez pas trop pour l’ambiance sur la piste. Car chanter et danser « occupe une part importante cette culture, comme dans toute minorité opprimée. Il y a un côté émancipateur et militant, de danser pour s’assumer et montrer qu’on est là et qu’on est vivants », développe Didier Francfort, historien de la musique.

« Il y a une culture de la fête dans la communauté LGBT+, pour renverser le stigmate et les oppressions. Il y a moins d’un siècle, il était encore interdit aux hommes de danser ensemble », développe Léa Lootgieter. Bien plus récemment, « les années Sida ont été marquées par la danse pour avoir des respirations nécessaires dans cette épreuve collective ». Le slogan du collectif militant numéro un de l’époque, Act Up, était « Danser = vivre ».

« Danser à un mariage, c’est normal et classique. Danser à un mariage gay, c’est une victoire », résume Théo, qui s’est marié à l’homme de sa vie il y a trois ans. « En y repensant, la musique n’était pas foncièrement différente des autres mariages que j’ai faits, mais on s’ambiançait plus. »

La même musique, vraiment ?

Des millénaires de persécution et de discrimination ont forcément laissé des traces. Et une certaine idée de la musique. Oui, c’est généralement les mêmes chansons, mais tout de même, quelques différences se font. « Les play-lists des mariages gays et lesbiens doivent être beaucoup moins conservatrices. Au-delà des classiques Dalida disco ou Brigitte Fontaine mâtinés d’électro, sans doute les dernières découvertes « in » doivent se trouver présentes », suppose Serge Hureau, directeur du Hall de la chanson, artiste et ancien militant du FAHR (Front d’action homosexuel révolutionnaire) au début des années 1970.

« Il y a dans la musique LGBT des sons extrêmement festif et dansant qui jouent sur la dichotomie entre tristesse et élan de vie », rempile Léa Lootgieter. Dernier argument sur ce sujet par Didier Francort : « L’expérience de vivre en étant victime de ségrégation donne une sensibilité ouverte au monde et d’avant-garde, notamment musicalement.  »

Gala contre Sardou

Enfin, l’une des grosses différences dans les mariages gays et lesbiens par rapport au mariage hétéro reste malheureusement l’absence d’une ou des deux familles, « ce qui arrive bien plus fréquemment dans le premier cas », note l’agence LoL évènement. Une absence regrettable « mais qui met moins de pression sur le choix des play-lists, et permet de débrider les choix musicaux ou d’avoir des sons plus sexuels », conclut Léa Lootgieter.

Plus festive, plus osée, plus intense et tout simplement plus symbolique, la play-list LGBT+ de mariage semble donc meilleure que celle hétéro. Ces derniers ne s’y trompent pas et piochent allègrement dedans, pour les cérémonies ou toute occasion de danser. Freed from Desire, hymne phare de la communauté LGBT+, est devenu le son officieux de deux des quatre dernières grandes compétitions de football, l’Euro 2016 et la Coupe du monde 2022. D’ailleurs, on vous laisse, c’est l’heure du « Na-na-na-na-na ».