France

Lyon : Prise d’otage, convoyeur de fonds ripou et butin hors norme… Cinq hommes jugés pour un braquage rocambolesque

L’affaire « s’inscrit dans les épisodes les plus marquants du banditisme lyonnais ». Mais force est de constater qu’elle « n’a pas livré tous ses secrets », selon les mots du juge d’instruction. Même si des « zones d’ombre demeurent » et que « tous les malfaiteurs impliqués n’ont pas tous été identifiés », cinq hommes seront jugés à partir de ce mercredi devant la cour d’assises du Rhône pour le braquage d’un fourgon à Chavornay en Suisse, le 8 février 2018.

L’opération a été orchestrée de concert par une équipe rodée, originaire de la banlieue lyonnaise, et une autre basée en Suisse, tout aussi expérimentée. Préparée près d’un an à l’avance, elle a nécessité des « repérages minutieux ». Une « organisation millimétrée et pensée dans le détail », souligne encore le juge d’instruction dans la volumineuse ordonnance de mise en accusation.

La fille du convoyeur de fonds prise en otage

Sur les bancs des parties civiles, 20 sociétés prendront place ainsi que le conducteur du fourgon et sa fille. Ce soir du 8 février, la jeune femme a vécu un véritable cauchemar. Enlevée puis séquestrée par trois malfaiteurs, désireux de faire pression sur son père afin qu’il remette à leurs complices le butin, estimé à 25 millions de francs suisses.

A 18h30, un homme se présente chez elle, dans le 6e arrondissement de Lyon. Mallette à la main, il prétexte être le plombier qu’elle a contacté pour une fuite dans son appartement. Un second, visage cagoulé, le rejoint. Ensemble, ils ligotent la trentenaire, la bâillonnent et la forcent à rentrer dans une poubelle qu’ils transportent jusqu’au camion de leur complice. Ils l’obligent ensuite à appeler son père pour le convaincre d’obéir à leurs ordres, avant de la relâcher sur une route départementale de l’Ain, aux alentours de 21 heures.

L’employé ripou

Dans le box des accusés, cinq hommes, âgés de 29 à 48 ans comparaîtront pour avoir participé à divers degrés à ce spectaculaire braquage. A commencer par Yusuf K. Lui,.est décrit comme la « pierre angulaire » du braquage, l’instigateur. C’est l’homme « sans lequel les malfaiteurs auraient eu des difficultés à mettre en œuvre leur projet criminel ». Son métier : convoyeur de fonds depuis 2017 pour la société SOS Surveillance.

Le soir des faits, il était présent dans le fourgon, aux côtés du conducteur. Selon l’accusation, c’est lui qui aurait eu l’idée du vol à main armée. Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir contacté une équipe en Suisse, avec laquelle il aurait déjà planifié un braquage en 2017. Mais aussi d’avoir informé le gang des Lyonnais « des failles du système de sécurité » de son entreprise, d’avoir « participé activement » aux réunions conspiratrices. Et d’avoir renseigné les malfaiteurs sur les habitudes de la fille de son collègue afin de la localiser.

Un « cerveau » en cavale

Le deuxième larron, Mehdi A. est en cavale. Lorsque les mailles du filet ont commencé à se resserrer, il a précipitamment quitté Vaulx-en-Velin, où il résidait, pour se faire la malle en Thaïlande, abandonnant femme et enfants. Agé de 42, il est présenté comme le « principal organisateur », « la tête pensante » du braquage. Pas moins de 18 déplacements en Suisse, observés entre le 18 mai 2017 et le 8 février 2018. Selon l’accusation, il aurait notamment « organisé et validé le scénario » permettant d’enlever et de séquestrer la fille du convoyeur. Son ADN a, par ailleurs, été retrouvé sur des caisses contenant les fonds volés. Enfin, les policiers n’ont pas manqué de s’interroger sur son train de vie « très élevé ». Sans profession et sans revenus, hormis le RSA, le couple A, menait pourtant la belle vie, entre locations de berlines de luxe et voyages à l’étranger.

Mektoub M., 47 ans, conteste formellement les faits qui lui sont reprochés. Pourtant, il aurait joué, lui aussi, un rôle essentiel. Considéré comme le bras droit du « cerveau », il aurait secondé Mehdi A. dans ses repérages, l’accompagnant également lors des réunions. On lui reproche d’avoir volé la voiture venue à la rencontre du fourgon, puis de l’avoir cachée avant de la faire disparaître définitivement. « Il était plutôt le meneur et non le suiveur ayant l’air plus expérimenté », indiquera à son sujet, l’un des suspects, lors de ses auditions. Son ADN a aussi été retrouvé sur les caisses volées.

Quelques mois après le braquage, lui et ses proches ont subitement déménagé au Cannet, puis à Cannes. De quoi intriguer les enquêteurs qui n’ont pas manqué de relever des « incohérences manifestes » entre ses revenus déclarés et ses dépenses. Officiellement sans ressources et « ayant des dettes », la famille a pourtant séjourné « dans des hôtels ou résidences quatre étoiles » à Evian-les-Bains, Mandelieu-la-Napoule et partait en vacances à l’étranger. Deux mois après le braquage, elle se trouvait d’ailleurs à Dubaï, avant de filer s’installer dans le sud de la France.

Le « gardien » du magot braqué

Benjamin du groupe, Mehdi B., âgé de 29 ans, était soupçonné d’être le faux plombier. Mais les policiers n’ont pas pu prouver formellement son implication dans l’enlèvement de la fille du conducteur, même si son téléphone portable a fréquemment « borné » près du domicile de la jeune femme, notamment le jour des faits. Néanmoins, ils restent persuadés qu’il a régulièrement échangé avec les principaux protagonistes de l’affaire, en particulier avec la « tête pensante » du groupe, décrite comme l’un de ses proches et avec lequel il avait prévu de s’enfuir en Thaïlande. Déjà condamné à 23 reprises, il est également suspecté d’avoir pris en otage, en janvier 2021 à Lyon, le fils du patron d’une société d’affinage de métaux précieux en exigeant de ce dernier plus de vingt kilos de lingots d’or.

Le cinquième accusé, Pascal G., 48 ans, était le gardien du magot. L’ « homme de confiance » de Mehdi A, rencontré trente ans plus tôt dans le quartier de la Grappinière à Vaulx-en-Velin. Lui, affirme que son rôle s’est limité à enterrer une partie du butin dans son garage, en Haute-Savoie, à la demande de son ami d’enfance. Ce qui aurait suscité bien des convoitises. Dénoncé par un appel anonyme, le quadragénaire a été lui-même victime d’une tentative de braquage à son domicile, le 20 juin 2018. Un braquage qui, selon la police judiciaire, serait l’œuvre de malfaiteurs, mécontents de ne pas avoir touché la part qui leur revenait.

Le braquage de Chavornay et son « butin hors norme » n’ont pas été sans conséquences. Loin de là. Le frère de Mektoub B., confondu avec l’intéressé, a été tué par balle le 7 juin 2020 à Vaulx-en-Velin. Enfin, Karim N. surnommé « Balak », soupçonné d’avoir « participé directement aux faits » et qui aurait dû être jugé ce mercredi, a été assassiné le 23 avril 2021, à la veille de ses 43 ans.

Le procès doit se tenir jusqu’au 7 avril.